15 octobre 1917 : Mata Hari est fusillée à Vincennes ou la vérité nue sur l’agent H-21

Il est encore tôt ce matin d’octobre 1917 à la prison de Saint-Lazare. Une femme sort de sa cellule. Grande (1,75 m), coiffée d'un grand canotier et vêtue d'une robe élégante garnie de fourrures, avec un manteau jeté sur les épaules, elle a rendez-vous avec la mort.


5 heures viennent de sonner. Au polygone de tir de Vincennes , elle refuse d'être attachée au poteau ou qu'on lui bande les yeux. Elle lance un dernier baiser aux soldats du peloton d'exécution. Le 24 juillet dernier, le 3ème conseil de guerres de Paris a déclaré, Margaretha Geertruida Zelle, connue sous le nom de Mata Hari, coupable d’espionnage et d’intelligence avec l’ennemi en temps de guerre.

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Debout devant le peloton d’exécution, la condamnée pense à ses heures de gloire. Mata Hari a conquis le Tout-Paris avec ses danses sulfureuses et ce nom si exotique. Pourtant tout est inventé. Elle n’est ni hindoue, ni originaire d’une quelconque région pittoresque qui fait rêver la France coloniale de ce début de siècle. Les danses exotiques, qui font son succès, n’ont pas grand-chose à voir avec les coutumes orientales. Elle est née dans une petite ville hollandaise, en 1876, dans un milieu aisé. Mais, après la faillite de son père, elle est élevée à La Haye dans une famille d’accueil. Ses danses, à l’origine de l’invention du strip-tease, sont la compilation de simples souvenirs d’un séjour aux Indes néerlandaises avec son ex-mari, un officier de marine, avec qui elle a eu deux enfants. Mariée à 18 ans avec un homme de dix-neuf ans son aîné, Margaretha divorce à la suite du décès de son fils et décide de s’installer à Paris. Faute d’argent, elle perd la garde de son second enfant. Elle a 27 ans.

Margaretha devient une « cocotte », ces femmes qui se font entretenir par des hommes, entre courtisane et prostituée. Elle se fait connaître sous le nom de scène « Lady Mc Leod » (le nom de son ex-mari) puis prend le nom de « Mata Hari » (« œil du jour » en malais). En 1905, avec le soutien d’Emile Guimet, orientaliste fortuné, elle crée un spectacle érotique. Le succès est immédiat. Elle devient l’égérie de la Belle Epoque. Pendant dix ans, elle va parcourir toutes las capitales européennes avec son numéro d’effeuillage. Les amants se succèdent et font sa fortune. Elle aime l’uniforme, même si celui-ci est allemand. En 1914, elle est à Berlin lorsque la guerre est déclarée entre la France et l’Allemagne.

Entre le 3 août 1914, jour de la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France, et le 13 février 1917, date de son arrestation à Paris, les versions de la biographie de Mata Hari varient sensiblement les unes des autres sur ses allées et venues entre la France, la Hollande, l’Allemagne, l’Espagne et l’Angleterre. Certaines dates et certains faits ne correspondent pas selon les versions. Toujours est-il que ses trajets entre pays belligérants ou neutres (plus ou moins) interrogent.

Les années ont passé. Agée de 39 ans, Mata Hari est dépassée par des danseuses plus jeunes, plus en phase avec les canons de beauté, plus à la mode. Margaretha ne fait plus recette. Son train de vie exorbitant en fait une femme endettée au bord de la ruine. En 1915, elle vend son hôtel luxueux de Neuilly et loue une modeste maison à La Haye. Elle y reçoit la visite du consul d'Allemagne Carl H. Cramer qui est intéressé par cette femme polyglotte introduite auprès des milieux du pouvoir et lui propose de rembourser ses dettes en échange de renseignements stratégiques pour l'Allemagne en retournant à Paris.

En 1916, elle s’amourache d’un soldat russe blessé alors qu’il combattait au côté de l’armée française. Il est hospitalisé à Vittel. Mata Hari y fait la connaissance de Georges Ladoux, un des hauts responsables du contre-espionnage français. Il va lui offrir la coquette somme d’un million de francs pour tenter de séduire des hauts dignitaires allemands stationnés en Belgique, dans le but de leurs soutirer des informations. En contrepartie, Mata Hari, qui peine à joindre les deux bouts avec ses dépenses exorbitantes et qui veut s’occuper de son soldat meurtri, accepte. Elle s’envole pour la Belgique. Lors d’une escale à Falmouth, en Angleterre, elle est interceptée par un agent du MI-5. Elle prétend appartenir aux services secrets français. Ment-elle ? Est-elle le jouet des services français ?

On la retrouve à Anvers où elle aurait reçu une formation au centre de renseignements allemand. Le 24 mai 1916, elle embarque pour l’Espagne. Les services français identifie l’agent au service de l’Allemagne sous le code H-21 comme étant Mata Hari, à la suite d’un message codé entre l’attaché militaire allemand à Madrid et Berlin. Mais le code utilisé par les Allemands est, étrangement, bien connu des Français. Pourquoi ? Mata Hari ne se retrouve-elle pas au centre d’un jeu de manipulation et d'intoxication de part et d'autre ?

En janvier 1917, elle rejoint à Paris son capitaine russe. Le 13 février 1917, le contre-espionnage français fait une perquisition dans sa chambre de l'hôtel Élysée Palace sur les Champs-Élysées. On ne trouve pas de preuve incontestable. Elle est tout de même arrêtée par le capitaine Bouchardon, connu pour son « zèle » lors des interrogatoires des présumés espions. Il est connu pour ne rien lâcher et serait allé jusqu’à faire condamner des innocents pour calmer le moral des troupes, déchiré par des mutineries de plus en plus fréquentes. Quoi de plus jouissif que d’épingler une telle pointure à son tableau de chasse. L’interrogatoire mené par l’officier, à la prison Saint-Lazare, n’apporte en fait que très peu d'informations. Poussée à bout, Mata Hari craque et reconnaît qu’elle est bien H21.

L’enquête va être sommaire, à peine cinq mois entre son arrestation et le verdict de culpabilité. Son procès ne dure que 3 jours.

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Le froid de cette matinée d’octobre et le bruit des fusils qu’on arme font revenir Margaretha au temps présent. Alors que les soldats la mettent en joue, Mata Hari sourit : « Quelle étrange coutume des Français que d'exécuter les gens à l'aube ! » L’officier commandant lève son sabre. « Feu ! » Un bruit sec retentit. La danseuse s'écroule tête en avant. L’officier se dirige vers le corps inerte. Le coup de grâce est moins éclatant. La balle va arracher une partie du visage.

Pourtant, comme l’a reconnu plus tard André Mornet, le substitut du procureur lors de son procès, « il n'y avait pas de quoi fouetter un chat ». Frédéric Guelton partage cet avis : "Il y a de quoi l’incarcérer pour avoir été recrutée par les Allemands, mais de là à l'exécuter... Elle ne méritait pas le sort qu’elle a connu". Pour l’historien, la fin de Mata Hari a surtout servi à l’époque, la propagande d'État française : "Nous sommes en 1917, une année terrible. Il fallait montrer qu’en dépit des offensives allemandes, de la révolution russe et des mutineries, la France allait tenir bon jusqu’à la victoire. En faisant fusiller une femme, l’État montre qu’il va jusqu'au bout. »

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k572253q/f1.item.r=mata%20hari.zoom
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k621699b/f1.item.r=mata%20hari.zoom
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