19 novembre 1703 : « l’homme au masque de fer » meurt à la Bastille


Le 19 novembre 1703, meurt, à la Bastille, un prisonnier dont on ne doit pas prononcer le nom au point de l’avoir oublié. On ne connait ni son âge, ni les motifs de son incarcération. Sous la plume de Voltaire, ce prisonnier va devenir un symbole de l'absolutisme monarchique. 

Le philosophe va consacrer une partie du chapitre XXV du « Siècle de Louis XIV » (1751), dans lequel il affirme que le personnage a été arrêté l’année de la mort de Mazarin en 1661. Il est le premier à mentionner le « masque dont la mentonnière avait des ressorts d'acier qui lui laissaient la liberté de manger avec le masque sur le visage » en ajoutant : « On avait ordre de le tuer s'il se découvrait. » Il précise également que le prisonnier était traité avec les plus grands égards, que « son plus grand goût était pour le linge d'une finesse extraordinaire et pour les dentelles » et qu’on y jouait de le musique. L'anecdote de l'assiette d'argent sur laquelle le prisonnier inscrit son nom et qu'il lance par la fenêtre de la prison a été rajoutée lors de la réédition de 1752 du « Siècle de Louis XIV ».

Alexandre Dumas s'empare de la description faite par Voltaire et s'en inspire pour un personnage secondaire dans son livre Le Vicomte de Bragelonne (publié en plusieurs épisodes de 1847 à 1850) : il s'agirait de Philippe, frère jumeau de Louis XIV. Né avant lui, il compromettrait la légitimité du Roi Soleil. Cette hypothèse gagne du terrain au cours du 20e siècle, lorsque plusieurs célèbres films hollywoodiens présentent l'histoire d'un frère jumeau mis sous les barreaux de façon injuste.

Mythe ou réalité, le prisonnier inconnu de la Bastille entrait dans la légende.
 
Que sait-on de ce prisonnier tenu au secret ?

En plein règne de Louis XIV, le 4 septembre 1687, une gazette janséniste interdite informe ses lecteurs que, Monsieur de Saint-Mars, avait conduit « par ordre du roi » un prisonnier d'État au fort de l’île Sainte-Marguerite, en Provence.

« Personne ne sait qui il est ; il y a défense de dire son nom et ordre de le tuer s'il l'avait prononcé ; celui-ci était enfermé dans une chaise à porteurs ayant un masque d'acier sur le visage, et tout ce qu'on a pu savoir de Saint-Mars était que ce prisonnier était depuis de longues années à Pignerol, et que les gens, que le public croient mort, ne l'est pas. »

Le 3 octobre 1698, une autre gazette annonce que « M. de Saint-Mars a pris possession du gouvernement de la Bastille, où il a fait mettre un prisonnier qu'il avait avec lui, et il en a laissé un autre à Pierre-en-Cise, en passant à Lyon. » La présence d’un prisonnier arrivé avec son geôlier Bénigne Dauvergne de Saint-Mars quand celui-ci devint gouverneur de la Bastille, est confirmée par un registre d'écrou le 18 septembre 1698 :

« Du jeudi 18 de septembre à trois heures après-midi, monsieur de Saint-Mars, gouverneur du château de la Bastille, est arrivé pour sa première entrée venant de son Gouvernement des îles Sainte-Marguerite et Honnorat, ayant avec lui dans sa litière un ancien prisonnier qu'il avait à Pignerol, lequel il fait tenir toujours masqué, dont le nom ne se dit pas [...] lequel prisonnier sera servi par M. de Rosargues, que M. le Gouverneur nourrira ».

On sait aussi que, le 19 novembre 1703, est mort à la Bastille un prisonnier ainsi mentionné sur le registre d'écrou de la prison, tenu par le lieutenant Étienne du Junca :

« Du même jour, lundy 19 novembre 1703, ce prisonnier inconnu, toujours masqué d'un masque de velours noir, que M. de Saint-Mars, gouverneur, avait amené avecque luy, en venant des illes Sainte-Marguerite, qu'il gardoit depuis longtemps, lequel s'étant trouvé un peu mal en sortant de la messe, il est mort le jour d'hui sur les dix heures du soir [...] et ce prisonnier inconnu gardé depuis si longtemps a été enterré le mardi à quatre heures de l'après-midi, 20 novembre dans le cimetière Saint-Paul, notre paroisse ; sur le registre mortuère on a donné un nom aussi inconnu que M. de Rosarges, major, et M. Reil, chirurgien, qui ont signé sur le registre. » avec cette adjonction en marge : « J'ai appris depuis qu'on l'avoit nommé sur le registre M. de Marchiel, qu'on a payé 40 livres d'enterrement. »

Le registre paroissial de Saint-Paul mentionne pour sa part :

« Le 20, Marchioly [ou Marchialy] âgé de quarante-cinq ans environ, est décédé dans la Bastille, duquel le corps a été inhumé dans le cimetière de Saint-Paul sa paroisse, le 20 du présent, en présence de M. Rosage, majeur de la Bastille et de M. Reghle chirurgien majeur de la Bastille qui ont signé. »

En 1769, le père Griffet (mort en 1771) précise dans son « Traité des différentes sortes de preuves qui servent à établir la vérité dans l'histoire » :

« Le souvenir du prisonnier masqué s'était conservé parmi les officiers, soldats et domestiques de cette prison, et nombre de témoins oculaires l'avaient vu passer dans la cour pour se rendre à la messe. Dès qu'il fut mort, on avait brûlé généralement tout ce qui était à son usage comme linge, habits, matelas, couvertures ; on avait regratté et blanchi les murailles de sa chambre, changé les carreaux et fait disparaître les traces de son séjour, de peur qu'il n'eût caché quelques billets ou quelque marque qui eût fait connaître son nom. »

Il semble que le prisonnier masqué ait suivi Saint-Mars lors de ses mutations successives. Ainsi, une lettre de Louvois à Saint-Mars du 12 mai 1681 précise :

« Sa Majesté [...] a trouvé bon de vous accorder le gouvernement d'Exilles […] où elle fera transporter ceux des prisonniers qui sont à votre garde, qu'elle croira assez de conséquence pour ne pas les mettre en d'autres mains que les vôtres »

Le 25 juin 1681, Saint-Mars précise : « J'aurai en garde deux merles que j'ai ici, lesquels n'ont point d'autre nom que messieurs de la tour d'en bas ». L'un des deux prisonniers en question décède à la fin de 1686 ou au début de 1687. Le survivant arrive à Sainte-Marguerite le 30 avril 1687.

Alors que le prisonnier devait arriver à Pignerol le 24 août 1669, Louvois, dans un courrier du 19 juillet, avait écrit à Saint-Mars :

« (…) il est de la dernière importance qu'il soit gardé avec une grande sûreté et qu'il ne puisse donner de ses nouvelles en nulle manière et par lettre à qui que ce soit […] de faire en sorte que les jours qu'aura le lieu où il sera ne donne point sur des lieux qui puissent être abordés de personne et qu'il y ait assez de portes, fermées les unes sur les autres, pour que vos sentinelles ne puissent rien entendre. Il faudra que vous portiez vous-même à ce misérable, une fois par jour, de quoi vivre toute la journée et que vous n'écoutiez jamais, sous quelque prétexte que ce puisse être, ce qu'il voudra vous dire, le menaçant toujours de le faire mourir s'il vous ouvre jamais la bouche pour vous parler d'autre chose que de ses nécessités ».

En 1691, lorsque Louvois meurt, son fils, Barbezieux, lui succède, et écrit à Saint-Mars pour confirmer ces instructions :

« Lorsque vous aurez quelque chose à me mander du prisonnier qui est sous votre garde depuis vingt ans, je vous prie d'user des mêmes précautions que vous faisiez quand vous suiviez à M. de Louvois. »

Le prisonnier n’était certainement pas constamment masqué. Il semble plus probable qu'il n'ait été astreint à porter un masque que pendant les transferts, pour éviter qu'un passant puisse le reconnaître. Encore le port d'un masque n'est-il véritablement avéré qu'en 1698, lors du transfert à la Bastille. Dans un récit (publié dans l’Année littéraire le 30 juin 1778) de l'étape de Saint-Mars dans son château de Palteau, faite par son petit-neveu :

« En 1698, écrit M. de Palteau, M. de Saint-Mars passa du gouvernement des Isles Sainte-Marguerite à celui de la Bastille. En venant en prendre possession, il séjourna avec son prisonnier à sa terre de Palteau. L'homme au masque arriva dans une litière qui précédait celle de M. de Saint-Mars ; ils étoient accompagnés de plusieurs gens à cheval. Les paysans allèrent au-devant de leur seigneur ; M. de Saint-Mars mangea avec son prisonnier, qui avait le dos opposé aux croisées de la salle à manger qui donnent sur la cour ; les paysans que j'ai interrogés ne purent voir s'il mangeait avec son masque ; mais ils observèrent très bien que M. de Saint-Mars, qui était à table vis-à-vis de lui, avoit deux pistolets à côté de son assiette. Ils n'avaient pour les servir qu'un seul valet-de-chambre, qui allait chercher les plats qu'on lui apportait dans l'anti-chambre, fermant soigneusement sur lui la porte de la salle à manger. Lorsque le prisonnier traversait la cour, il avoit toujours son masque noir sur le visage ; les paysans remarquèrent qu'on lui voyait les dents et les lèvres, qu'il était grand et avait les cheveux blancs. M. de Saint-Mars coucha dans un lit qu'on lui avait dressé auprès de celui de l'homme au masque. »

La légende de ce prisonnier mythique serait née de la rancœur d'un courtisan de Louis XIV, le marquis de Barbezieux, fils de Louvois, ministre de la guerre du roi Soleil. N'ayant pas réussi à acquérir la confiance du roi, à l'image de son père, il aurait tout bonnement lancé des rumeurs à la cour, faisant courir le bruit que le souverain enfermait son frère derrière un masque.

Plus d'une cinquantaine d'hypothèses ont été formulées, prétendant livrer l'identité du mystérieux détenu. Ont été suggéré entre autre les noms :

1. Du duc de Beaufort, cousin germain de Louis XIV, et un des chefs de la Fronde.
2. De Nicolas Fouquet, le surintendant des finances, tombé en disgrâce pour avoir osé défier le Roi-Soleil par sa richesse et ses prévarications.
3. Du comte Ercole Mattioli, un juriste ambitieux devenu secrétaire d'État du duc de Mantoue.
4. La plus célèbre reste celle d'un supposé frère clandestin du roi, avancée par Voltaire au XVIIIe siècle.
5. Du fils de Louis XIV et de Louise de La Vallière, Louis de Bourbon, rejeté de la Cour à cause de son homosexualité.
6. D’un fils indésirable d'Anne d'Autriche.
7. De James de la Cloche, fils illégitime de Charles II d'Angleterre.
8. De Molière, le dramaturge du roi ne serait pas mort sur scène mais emprisonné sous pression des Jésuites.
9. De Henri II de Guise, prince de Joinville et frère de Marie de Lorraine dite « Mlle de Guise ».
10. De Vivien l'Abbé de Bulonde, lieutenant-général de l'armée française.
11. De D’Artagnan, le célèbre mousquetaire.
12. Du nain Nabo, un esclave noir qui aurait fait une fille à la reine Marie-Thérèse d'Autriche.
13. D’un fils naturel de Cromwell ou encore du duc de Monmouth.
14. D’Eustache Dauger ou Danger, arrêté pour un crime inconnu en 1669, aurait été valet auprès de Nicolas Fouquet alors détenu dans la forteresse de Pignerol. Il aurait ainsi eu connaissance d'informations sensibles. Lors de son emprisonnement, Eustache Dauger est transféré dans plusieurs lieux, toujours en compagnie de Saint-Mars.
15. D’Eustache de Cavoye, plusieurs théories ayant en commun le fait de considérer qu'Eustache Dauger (ou d'Oger ou Oger) de Cavoye et Eustache Dauger de Pignerol sont la même personne. Il a été suggéré que cet Eustache de Cavoye était en fait :
a. Le chirurgien Auger compromis dans l’affaire des poisons.
b. Le fils caché de Louis XIII
c. Un fils adultérin d’Anne d’Autriche avec un capitaine des Mousquetaires, véritable père de Louis XIV (d’où la ressemblance entre les deux demi-frères).
16. De François de Vendôme, duc de Beaufort, prince de sang royal et véritable père de Louis XIV.
17. D’un certain Martin – valet du huguenot Roux de Marsilly qui fut arrêté et condamné à la roue en 1669 – qu'on aurait mis au secret parce qu'il en savait trop sur la conspiration de son maître.

Aujourd'hui, une théorie défendue par l'historien Jean-Christian Petitfils semble faire consensus. L'auteur avance une toute autre solution à l'énigme et révèle un nom : celui du valet Eustache Danger. Ce dernier pourrait avoir eu accès à des secrets d'Etat et été témoin de conversations entre Louis XIV et Charles II, le roi d'Angleterre. Ce dernier souhaitait devenir catholique et demandait l'appui de la France contre la Hollande.
 

Rares sont les mystères qui ont soulevé autant d'intérêt et de passion que celui de l'homme au masque de fer, prisonnier d'Etat, enfermé sur ordre de Louis XIV au donjon de Pignerol, dans la citadelle Sainte-Marguerite, mort à la Bastille en 1703. Nul n'avait le droit de l'approcher ni de lui parler, hormis son geôlier. Nul ne pouvait connaître le motif de sa détention, ni son identité. Cette troublante énigme n'a cessé de piquer la curiosité des historiens et romanciers. De multiples solutions ont été imaginées pour résoudre ce mystère, la plus célèbre faisant de cet inconnu un frère jumeau du roi, masqué à cause de sa trop frappante ressemblance. Ce livre est le dossier complet, jamais présenté à ce jour, des dernières découvertes. Après un examen méthodique des documents d'archives (beaucoup nouveaux ou inédits), l'auteur apporte à cette énigme les explications les plus logiques et les plus incontestables. Mais le livre va bien au-delà. Il étudie la formation au siècle des Lumières d'un mythe redoutable et maléfique, s'attaquant à la légitimité du trône et à ce qui constituait le coeur même de la monarchie d'Ancien Régime : le mystère du pouvoir, le secret du roi. C'est tout un pan de l'histoire des mentalités qui se dévoile ici.

Docteur d'Etat en science politique, historien, grand connaisseur du XVIIe siècle, auquel il a consacré de nombreux ouvrages, Jean-Christian Petitfils a publié plusieurs biographies chez Perrin, notamment : Fouquet, Lauzun, Louise de la Vallière, et son magistral Louis XIV, unanimement salué par la critique et couronné par trois prix littéraires, dont le Grand Prix Gobert de la Biographie historique de l'Académie française.

Éditeur ‏ : ‎ Tempus Perrin (1 avril 2004)
Langue ‏ : ‎ Français
Poche ‏ : ‎ 320 pages
ISBN-10 ‏ : ‎ 2262021716
ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2262021719
Poids de l'article ‏ : ‎ 200 g
Dimensions ‏ : ‎ 11 x 2.2 x 17.9 cm
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