J'ai lu et aimé : Le Totalitarisme sans le goulag - De Mathieu Bock-Côté
Dans un nouvel essai percutant intitulé Le totalitarisme sans le goulag (La Cité), Mathieu Bock-Côté sonne l’alarme: le totalitarisme, qu’on croyait figé dans le 20e siècle, est bien présent à l’heure actuelle. Il s’agit, écrit-il, d’une «pathologie irréductible de la modernité» qui a la particularité de revenir, même si elle peut changer de visage. Un peu à l’image d’un virus, le totalitarisme aurait-il muté? C’est au nom du progressisme et sous couvert de lutte contre la prétendue extrême droite que se réactive aujourd’hui la mécanique du totalitarisme affirme l'essayiste. Une thèse qui devrait susciter la controverse !
" Les Occidentaux ont voulu se faire croire après la chute du communisme que l'histoire du totalitarisme était derrière eux, qu'elle ne les concernait plus. Au pire redoutaient-ils l'apparition d'un totalitarisme doux, à visage humain, mais ils ne le croyaient pas vraiment, ne le prenaient pas au sérieux. Et pourtant, le totalitarisme revient. Dans l'incrédulité générale, puisqu'il revient sans goulag, car il n'en a plus besoin. Et il revient sous une forme paradoxale.Nos sociétés veulent croire que ce qu'elles appellent "l'extrême-droite' les menace existen tiellement, comme si elle sortait des enfers pour les y ramener avec elle.
Cette catégorie politique fantomatique, in définissable, manipulée et instrumentalisée, sert essentiellement à étiqueter tous ceux qui s'opposent au régime diversitaire. Mais pas seulement : toute personnalité de gauche n'adhérant pas à la doxa ambiante est désormais frappée de cette marque de l'infamie.
La lutte contre la prétendue "extrême-droite' justifie aujourd'hui une suspension progressive des libertés, le retour de mécanismes d'ostracisme et un contrôle social croissant, prétendant éradiquer le mal du cœur de l'homme. En d'autres mots, ce n'est pas "l'extrême-droite' qui nous menace, mais la lutte contre "l'extrême-droite' qui nous conduit au totalitarisme. Je sais cette thèse contre-intuitive. Je me donne la mission ici de la démontrer. "
Mathieu Bock-Côté
Éditeur : La Cité (9 novembre 2023)
Langue : Français
Broché : 272 pages
ISBN-10 : 2258201640
ISBN-13 : 978-2258201644
Poids de l'article : 249 g
Dimensions : 12.3 x 2.2 x 21.3 cm
CHRONIQUE DE MARIE-FRANCE BORNAIS
Rejoint à Paris pour une entrevue téléphonique, Mathieu Bock-Côté explique que l’écriture de ce nouveau livre est née de deux obsessions qui se croisent. «La première, c’est que j’ai toujours trouvé que lorsqu’on faisait le bilan du 20e siècle – un siècle assez terrible –, on n’avait pas retenu assez la leçon de ce qui nous avait conduits dans des régimes totalitaires», dit-il.
«J’ai toujours trouvé qu’on avait tiré des leçons de surface de la chose et que nos sociétés sont beaucoup moins favorables qu’elles ne le croient aux libertés. Ça fait vingt ans que je pense à cette question-là souvent. Je l’ai déjà abordée d’une manière ou de l’autre dans mes autres livres, mais je n’avais jamais pris la peine d’y consacrer un ouvrage en tant que tel.»
La question de base, c’est «une vieille obsession intellectuelle», précise l’auteur. «Est-ce que nos sociétés, finalement, ne risquent pas de retomber, par des formes nouvelles, qui ne ressembleraient pas à celles d’hier, dans des sociétés qui sacrifieraient la liberté en croyant construire le paradis sur Terre.»
Les termes pour parler de la vie politique
Deuxièmement, Mathieu Bock-Côté trouve que notre manière de parler de la vie politique, et les catégories qu’on utilise pour parler de la vie politique (gauche, extrême gauche, droite, extrême droite), nous éloignent complètement de la réalité.
«Ce sont des termes qu’on utilise pour les lancer au visage des gens pour les salir, sans prendre la peine de les définir minimalement. On ne sait jamais de quoi on parle. Ça fait qu’on a une vie politique un peu confuse où tout le monde se diabolise tout le temps, sans prendre la peine d’entendre minimalement les arguments des uns et des autres.»
Cet ouvrage est donc à son avis «une méditation sur la possibilité que s’affaisse la liberté dans nos sociétés, que s’affaissent aussi nos identités, en même temps, et par ailleurs sur une vie démocratique brouillée par le fait qu’on a remplacé le débat par la diabolisation.»
Mathieu Bock-Côté: «J’ai cherché désespérément une définition convaincante de l’extrême droite, je ne l’ai pas trouvée»
Cet article est issu du Figaro Magazine
Votre nouveau livre s’intitule Le Totalitarisme sans le goulag. Vous expliquez que le totalitarisme ne se résume pas au goulag. Certes, mais ce n’est pas un détail. Ne faites-vous pas un peu vite litière des dizaines de millions de morts du nazisme et du communisme? Un totalitarisme sans le goulag ni les camps de concentration, est-ce vraiment un totalitarisme?
Nous avons naturellement, et c’était essentiel, retenu la leçon de l’horreur absolue du nazisme. Je ne suis pas certain toutefois qu’il en soit de même pour le communisme. Mais plus largement, c’est une erreur immense de croire que le totalitarisme a épuisé ses possibilités au siècle dernier. Nous avons enfermé ce dernier dans l’image du goulag, qui n’est assurément pas un détail, mais qui ne lui est pas consubstantiel. Le totalitarisme peut s’en passer dans une société qui dispose, à l’échelle de l’Histoire, de mécanismes de contrôle social absolument inédits pour assurer le conditionnement d’une population.
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Encore faut-il définir le totalitarisme. Le totalitarisme est la pathologie politique fondamentale de la modernité: il repose sur une conception utopiste du politique, prétendant accoucher d’un homme nouveau, porteuse d’une révélation religieuse inconsciente de l’être, et se croyant même scientifique. Un monde parfait serait possible. Tous doivent s’y soumettre, et y adhérer officiellement de manière ostentatoire. Qui s’y refuse sera tôt ou tard traité comme un ennemi de l’humanité qu’il faudra anéantir civiquement. L’utopisme ne comprend pas qu’il bute sur la nature humaine: s’il échoue, c’est à cause de saboteurs qui entravent, pour de sordides raisons, l’avènement du monde idéal - le «propagateur de haine» est le saboteur d’aujourd’hui.
Nos sociétés sont transformées en camp de rééducation à ciel ouvert: la population, infantilisée, doit être rééduquée à temps plein. Mais l’homme n’est pas une pâte à modeler, quoi qu’en pensent les ingénieurs sociaux. Pour peu que le commun des mortels se mette à douter de la nouvelle révélation, on cherchera à l’enfermer dans un système idéologique dont il ne pourra s’extraire, sans risquer la dénonciation des nouveaux commissaires politiques qui utiliseront tous les termes pour marquer socialement les déviants: racistes, sexistes, transphobes, complotistes, et évidemment, extrême droite. C’est la logique du politiquement correct dont nous sommes familiers. Aujourd’hui, c’est au nom de l’idéologie diversitaire que se réactive la mécanique du totalitarisme.
Mathieu Bock-Côté : "Le concept d’extrême-droite ne sert qu'à disqualifier l'adversaire"
L’Express : Vous dénoncez un "totalitarisme sans le goulag." Mais le totalitarisme, n’est-ce pas précisément ce qui implique le goulag ?
Mathieu Bock-Côté : Il existe, dans la matrice même de la modernité, une "tentation totalitaire", la prétention, à partir d’une certaine vision du Progrès, à avoir le monopole du vrai, du juste et du bien, et de construire la société idéale à partir de là. La modernité, quoi qu’on en dise, n’a pas rompu avec le religieux mais l’a tout simplement réinvesti dans le monde, en l’espèce au nom de la science et de la rationalité. Comme le disait le philosophe Eric Voegelin, il s’agit d’un phénomène d’"immanentisation de l’eschaton". La modernité veut accomplir le paradis sur terre en délivrant l’homme du mal. Elle ne considère plus que le mal est dans le coeur de l’homme mais dans une institution sociale qu’il faut détruire et remodeler. Par suite, elle produit l’enfer. Il y a un fondamentalisme de la modernité. Cela a donné, au XXè siècle, le nazisme et le communisme avec, dans ce dernier cas, cette idée réitérée selon laquelle cela aurait pu mieux se passer si des forces réactionnaires ne s’y étaient opposées.
Aujourd’hui, le goulag a beau avoir disparu, la tentation totalitaire de la modernité fonctionne de façon similaire. Il y a comme un "avant" et un "après" l’Histoire qui permet désormais de trancher qui se trouve du bon côté. Si vous êtes un vrai moderne, vous êtes du bon côté de l’humanité ; dans le cas contraire, vous n’êtes pas un adversaire politique mais un ennemi de l’humanité, hostile à son émancipation.
Mathieu Bock-Côté : "Le concept d’extrême-droite ne sert qu'à disqualifier l'adversaire" – L'Express (lexpress.fr)
«On nous condamne à un monde désexualisé, puritain et insultant»
Entretien avec Mathieu Bock-Côté par Elisabeth Lévy
Causeur. Le titre de votre livre appelle une question évidente : le totalitarisme sans le goulag, c’est mieux qu’avec, non ?
Mathieu Bock-Coté. Naturellement, cela va de soi, mais c’est du totalitarisme quand même, pour peu qu’on comprenne que ce dernier est inscrit dans la matrice de la modernité et en représente une tentation insurmontable. La modernité génère la tentation totalitaire et la tentation totalitaire génère l’esprit de procès. Nous pensions le totalitarisme intrinsèquement dépendant des techniques de domination monstrueuse propres au XXe siècle. Aujourd’hui, il n’a pas besoin de tuer, il lui suffit d’imposer comme un Bien ultime la transparence sociale intégrale, qui légitime le contrôle des pensées, des arrière-pensées, des discours, des comportements au quotidien, en plus de transformer la société en camp de rééducation à ciel ouvert. Cela donne une conception standardisée, interchangeable, ennuyeuse de l’existence.
En vous lisant, j’ai été frappée par les similitudes entre le régime diversitaire et l’un de ses alliés, qu’on peut appeler le « régime féminitaire », ainsi que par les similitudes entre eux et leur ancêtre soviétique. Mais vous traitez plus longuement le militantisme trans…
Ce qui m’intéresse, ce sont les zones de friction, où l’idéologie dominante se révèle dans sa radicalité violente. Le néoféminisme est omniprésent, avec le soupçon généralisé jeté sur le désir entre les sexes – et je l’aborde dans mon livre. Toutefois, là où le régime veut nous forcer à franchir les barrières de la logique, c’est sur la question du genre. Nous obliger à dire qu’un homme peut être enceint revient, comme le disait Orwell, à nous imposer de croire que « deux plus deux égale cinq ».