J'ai lu et aimé : "L’Obsession égalitaire, comment la lutte contre les inégalités produit l’injustice" - De Erwan Le Noan

Consultant, essayiste, chroniqueur à L’Opinion, et professeur à Sciences po. Erwan Le Noan vient de faire paraître aux éditions Les Presses de la Cité un remarquable ouvrage : "L’Obsession égalitaire, comment la lutte contre les inégalités produit l’injustice". Ascenseur social en panne, libertés menacées, omniprésence de l’État… l’essayiste pointe le risque de faire de l’égalitarisme une injonction à l’uniformité. Une lecture de salubrité intellectuelle qui ne saurait être plus à propos.


Quel est le cœur du mal français ?
Confondre l'égalité des droits et l'égalité réelle.
Ce qui conduit aux plus grandes injustices.

Les statistiques sont formelles : la France est l'un des pays les plus égalitaires du monde. Pourtant, les Français sont inquiets. Ils s'exaspèrent d'un État toujours plus pesant et de politiques toujours moins efficaces.
Quelle est la raison profonde de ce mal français ? L'obsession égalitaire, à l'origine de bien des blocages minant la société.
En confondant égalité et uniformité, la quête toxique de l'égalité décapite les succès par la multiplication des impôts et la réglementation des comportements ; en assimilant différence de situation à discrimination, elle interdit des politiques adaptées à chaque défi. Pis encore, elle dévalorise le mérite et empêche la mobilité. De fait, la lutte pour l'égalité en vient à produire des injustices, de la frustration, et à menacer l'équilibre démocratique...


Éditeur ‏ : ‎ Presses de la Cité (19 octobre 2023)
Langue ‏ : ‎ Français
Broché ‏ : ‎ 368 pages
ISBN-10 ‏ : ‎ 2258203384
ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2258203389
Poids de l'article ‏ : ‎ 330 g
Dimensions ‏ : ‎ 12.2 x 2.5 x 21.1 cm


"Chroniques de livres de l'IREF" écrit par Matthieu Creson

Convoquant habilement histoire, histoire des idées et données chiffrées, celui-ci viendra ainsi s’ajouter aux très nombreux livres et articles dénonçant depuis des années les méfaits des politiques de redistribution à tout-va, qui creusent toujours un peu plus nos déficits, alourdissent une fiscalité qui n’est déjà que trop accablante, et finissent même par aggraver les maux qu’elles prétendaient atténuer. Pourquoi nous acharnons-nous alors à maintenir de telles politiques, alors que leurs échecs sont documentés par le menu depuis si longtemps ? Parce que la France souffre d’une pathologie que l’auteur nomme « l’obsession égalitaire », et qu’il juge être la principale cause des blocages qui paralysent notre société.

Qu’il s’agisse de l’extrême gauche, de l’ONG Oxfam (qui a affirmé que « les inégalités tuent »), de Thomas Piketty ou encore du pape François pour ne citer qu’eux, on entend toujours la même rengaine : les inégalités dans le monde ne cesseraient de croître. Erwan Le Noan tord le cou à cette idée reçue. Notre société est incomparablement plus riche et même moins inégalitaire que celle du XIXe siècle. De plus, les inégalités entre pays riches et pays pauvres se sont non pas creusées mais resserrées. L’extrême pauvreté dans le monde est en net recul depuis trente ans : alors que la population mondiale a augmenté de presque » milliards de personnes au cours de cette période, 128 000 personnes sont sorties quotidiennement de l’extrême pauvreté entre 1990 et 2015 (p. 66). Et depuis le début des années 2000, le PIB par tête a augmenté plus rapidement dans les pays les plus pauvres que dans les pays les plus riches (p. 77). Tout cela non pas grâce à l’interventionnisme étatique, qui règlemente, taxe et redistribue, mais grâce au capitalisme libéral et mondialisé. L’auteur consacre d’ailleurs toute une partie du livre à montrer, statistiques à l’appui, que « l’économie de marché, inscrite dans le modèle démocratique, a été dans l’histoire le meilleur instrument de lutte contre les inégalités » (p. 27). Le capitalisme est en réalité, pour reprendre le titre de l’un des chapitres de l’ouvrage, « le meilleur allié de l’égalité ». C’est donc le constat de ce décalage entre la réalité et le discours ambiant qui est à la base du livre d’Erwan Le Noan.

Or non seulement les politiques étatiques mises en place du fait de notre obsession égalitaire se révèlent inefficaces et même contreproductives, elles nuisent encore au principe de liberté individuelle, qui est pourtant, ou devrait être, à la base même du fonctionnement de nos démocraties modernes. Elles portent également atteinte à un autre de ses fondements : le respect des droits de propriété (p. 124). Sans souscrire au propos de l’anarcho-capitaliste Murray Rothbard selon lequel « l’impôt, c’est le vol », Erwan Le Noan souligne les méfaits et les injustices d’une fiscalité excessive et confiscatoire. « L’extension de la fiscalité, écrit-il avec raison, marque (…), de fait, un recul du droit de propriété et, par suite, de la liberté » (p. 131). Les gouvernements devraient se faire un devoir d’abaisser les dépenses publiques et le niveau de prélèvements obligatoires, ne serait-ce que par respect de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui consacre à l’article 2 « les droits naturels et imprescriptibles de l’homme » que sont « la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ».

Qui plus est, ajoute l’auteur, l’inégalité n’est pas nécessairement mauvaise en tant que telle. L’égalité devant la loi est évidemment un principe absolu, mais l’inégalité économique ne devrait pas être combattue comme elle l’est par les pouvoirs publics. Le marché, la libre concurrence entre individus, l’initiative privée agissent ici bien plus efficacement que l’État. C’est, nous dit l’auteur, « la disparité des situations de départ qui peut contribuer à susciter l’envie de dépasser des conditions insatisfaisantes » (p. 262).

La lecture de L’Obsession égalitaire nous montre clairement comment les dirigeants français, et plus largement européens, font doublement fausse route en voulant lutter contre le faux problème de l’inégalité. D’abord, parce que, nous l’avons dit, leurs politiques interventionnistes exacerbent plus qu’elles n’apaisent le mal ; ensuite parce que leur cible devrait être non pas les inégalités mais les injustices (p. 26). Erwan Le Noan a raison : est-il normal que dans notre pays plus de la moitié des ménages ne payent pas l’impôt sur le revenu ? Est-il normal que ce même impôt sur le revenu soit très largement supporté par les classes moyennes supérieures ? De plus, il faut que cesse la folie ultragauchiste de vouloir saigner fiscalement les très riches qui, comme le dit très justement l’auteur, « ne sont pas des voleurs mais des innovateurs » (p. 271). Il est tout à fait contraire aux principes d’une démocratie libérale bien-portante de vouloir extorquer le fruit des efforts de créativité et de travail consentis par ces inventeurs, efforts qui finissent d’ailleurs bien souvent par bénéficier très largement au reste de la société ! Autre injustice que dénonce Erwan Le Noan avec raison : les barrières à l’entrée de certains secteurs excessivement protégés, qui, en voulant réguler la concurrence, nuisent à l’intérêt du consommateur. Plus de concurrence, c’est en effet aussi moins d’injustice (p. 323).

Pour toutes ces raisons, et à l’heure du retour d’un certain discours idéologique antilibéral dans notre pays, le dernier livre d’Erwan Le Noan est une lecture de salubrité intellectuelle qui ne saurait être plus à propos.


Propos recueillis par François Miguet pour Le Point

Après La France des opportunités (Manitoba/Les Belles Lettres, 2017), l'essayiste Erwan Le Noan enfonce le clou. Dans son nouvel opus, L'Obsession égalitaire, comment la lutte contre les inégalités produit l'injustice*, plus dense et ambitieux, le consultant, maître de conférences à Sciences Po Paris et chroniqueur au quotidien L'Opinion, analyse ce qu'il estime être « le cœur du mal français ». À savoir, selon ses termes, « l'obsession égalitaire, à l'origine de bien des blocages minant la société ».

Il démontre, avec de nombreuses statistiques et études à l'appui, que la France est loin d'être « l'enfer inégalitaire » tant décrié sur les réseaux sociaux. Au contraire ! Surtout, il rappelle que la lutte pour l'égalité réelle se fait bien souvent au détriment de la liberté des individus. Et que, sous le couvert de bonnes intentions, elle peut mener à des injustices flagrantes, brider les initiatives, dévaloriser le mérite, et même, paradoxe ultime, empêcher la mobilité sociale. Là réside la force de cet essai, inspiré par les meilleurs auteurs libéraux classiques, d'Alexis de Tocqueville à John Rawls.

Le Point : La France est l'un des pays les plus égalitaires au monde, selon les statisticiens. Comment se fait-il, alors, qu'une bonne partie de la population, peut-être même la majorité, soit persuadée du contraire ?

Erwan Le Noan :
La principale explication, ce sont les contraintes liées à la mobilité sociale. Chaque Américain, même tout en bas de l'échelle, se considère comme un milliardaire en devenir, ou comme « un millionnaire temporairement empêché », selon la formule de l'auteur des Raisins de la colère, John Steinbeck. Les Français n'ont pas cet espoir ; ils pensent que la société est figée. Ce ressenti est d'ailleurs justifié. Notamment parce que, chez nous, les nombreuses mesures fiscales, scolaires ou redistributives, prises au nom de l'égalité, rigidifient la société et découragent l'effort et le mérite. Pour atteindre l'un des niveaux d'égalité les plus élevés d'Europe, la France a déployé une contrainte économique et un contrôle social très puissants, qui entravent la liberté de ses citoyens. Résultat, c'est un pays égalitaire, mais c'est aussi un pays injuste. C'est cela qui pose problème.

Selon vous, il faut en effet distinguer les « inégalités justes », fondées sur la distinction méritocratique, des « inégalités injustes »…

C'est le malheur français. On confond l'inégalité et l'injustice, l'égalité et l'uniformité. Or, toutes les inégalités ne sont pas injustes ! Le mérite de chacun doit être pris en compte. Pour en faire la démonstration, j'ai fait l'expérience suivante dans un de mes cours à Sciences Po Paris avec des étudiants qui dénonçaient les inégalités : j'ai retranché des points à ceux qui avaient obtenu les meilleures notes pour les réattribuer à ceux dont les travaux étaient moins bons. Vous imaginez leur réaction ! L'inégalité de notation entre des élèves qui ne fournissent pas le même effort est juste. De même que l'inégalité salariale entre des personnes qui fournissent des prestations différentes.

Au passage, je ne m'explique pas, qu'en France, les grands dirigeants de société soient à ce point décriés. Il me semble normal qu'un entrepreneur ou un chef d'entreprise soit confortablement rétribué car leurs fonctions nécessitent des talents rares. S'il était si simple de développer et de maintenir au plus haut niveau une entreprise pendant des années, cela se saurait… Le problème est davantage de faire en sorte que les plus bas salaires puissent augmenter, plutôt que de s'acharner à baisser les plus hauts. Ce qui est injuste, en revanche, c'est l'inégalité des chances. Tout comme l'est aussi la discrimination. Par exemple, à l'encontre d'une femme qui, bien qu'exerçant la même fonction qu'un homme, se verrait attribuer une rémunération moindre.


Propos recueillis par Alix L'Hospital pour L'Express

L’égalité n’est pas toujours synonyme de justice. Pas plus qu’une inégalité ne sous-entend forcément une discrimination. Ces confusions sémantiques sont le reflet de l’un des maux de notre époque, la quête "toxique" de l’égalité, estime l’essayiste Erwan Le Noan dans son nouvel ouvrage, L’Obsession égalitaire (Presses de la Cité). Pour L’Express, le consultant, maître de conférences en droit européen du marché et de la régulation à Sciences po Paris et chroniqueur au journal L’Opinion décrit un système dans lequel "toute ascension est perçue comme nuisible aux autres" et fustige les politiques égalitaristes qui "ne font que susciter déprime collective et absence d’opportunités, sanctionner l’effort et bloquer la mobilité sociale". Au point d’en arriver à contredire l’idéal démocratique : à savoir que chacun est supposé être maître de son destin. Entretien.

L’Express : Vous consacrez la première partie de votre livre à démonter le "mythe" des inégalités. Surprenant, dans une époque qui ne cesse de prôner l’égalitarisme…

Erwan Le Noan :
La perception que beaucoup de Français ont des inégalités est en contradiction avec ce que montrent les statistiques. Aujourd’hui, la France est un des pays développés les plus égalitaires. En 2019, notre coefficient de Gini [NDLR : un indice permettant de mesurer le niveau d’inégalité, qui varie entre 0 (égalité parfaite) et 1 (inégalité extrême)] était de 0,29, c’est-à-dire inférieur à celui de l’Italie, du Royaume-Uni et des Etats-Unis. En outre, les Français se sont considérablement enrichis depuis le début du XXᵉ siècle. A titre d’exemple, le revenu annuel national par adulte est passé de l’équivalent de 5 000 euros en 1900 à 35 000 euros en 2014 (euros constants).

Evidemment, il y a encore des choses à améliorer, mais la tendance globale depuis au moins un siècle est à la réduction massive des inégalités, notamment grâce à l’industrialisation, qui a permis l’enrichissement du plus grand nombre dans les sociétés démocratiques. En témoignent la réduction des écarts de salaire entre les hommes et les femmes, ou encore celle des inégalités de patrimoine.