Nouvel ordre mondial : la haine de l'Occident gagne du terrain - Par Julien Peyron (avec Jérémy André, Armin Arefi, Marc Nexon, Guillaume Perrier)
La guerre au Proche-Orient galvanise des puissances aux intérêts divergents mais unies par une même haine pour les pays occidentaux.
Le 31 octobre s'est tenue la toute première bataille de l'espace. L'affaire a été peu remarquée. Elle représente pourtant un tournant dans l'histoire de la guerre. Ce jour-là, pendant que le Dôme de fer israélien interceptait son lot quotidien de roquettes tirées depuis la bande de Gaza, un autre dispositif antimissile a été mis à contribution, le système Arrow. Il a permis de détruire un projectile qui se trouvait, non dans le ciel israélien mais dans l'espace, loin au-dessus de la mer Rouge. Selon des experts, le missile a été intercepté au-delà de l'atmosphère terrestre, à plus de 100 kilomètres d'altitude. Qui, parmi les ennemis d'Israël disposant de la technologie nécessaire, a lancé ce projectile ? De manière surprenante, le coupable n'est pas une des puissances du Proche-Orient mais une milice méconnue qui sévit au Yémen : les houthis. Ces miliciens zaïdites (le zaïdisme est une branche du chiisme) réservent d'habitude leurs attaques aux forces régulières yéménites et à leur principal soutien, l'Arabie saoudite. À plusieurs reprises, ils sont parvenus à frapper des installations pétrolières sur le territoire saoudien. Prouesse rendue possible par le fait qu'ils sont financés, équipés et armés par l'Iran. À la faveur du début de rapprochement entre Riyad et Téhéran, les houthis ont reçu d'autres objectifs, plus en phase avec leur devise : « Mort à l'Amérique, mort à Israël, maudits soient les Juifs, victoire à l'Islam ». Ils ont pris pour cible le territoire israélien, situé à plus de 1 800 kilomètres de leur fief, Sanaa, et sont parvenus à abattre un drone américain au-dessus de la mer Rouge. En activant sa milice yéménite, le régime iranien est passé à la vitesse supérieure et menace désormais les Occidentaux dans tout le Proche-Orient.
L'Iran et les forces supplétives qui composent son « axe de résistance » anti-Israël au Yémen, au Liban, en Syrie et en Irak, ne sont pas les seuls à tirer parti de l'explosion de violence déclenchée le 7 octobre par le Hamas palestinien. Les puissances révisionnistes profitent de la situation pour s'offusquer uniquement de la riposte israélienne et en présentant chaque témoignage de soutien aux Israéliens comme une preuve des biais et de la partialité de l'Occident. Pire, elles voient dans l'attaque terroriste surprise du Hamas la preuve que les meilleures armées peuvent être prises en défaut. De quoi donner des idées à d'autres, s'est réjoui Khaled Mechaal, l'un des principaux dirigeants du Hamas, sur l'antenne d'une télévision égyptienne. « Les Russes nous ont dit que ce qui s'est passé le 7 octobre serait enseigné dans les académies militaires. […] Les Chinois réfléchissent à établir un plan à Taïwan en faisant ce que les brigades al-Qassam [la branche armée du Hamas, NDLR] ont fait le 7 octobre. Les Arabes donnent une “master class” au monde entier », a-t-il déclaré devant une affiche de Jérusalem et de la mosquée al-Aqsa. Depuis Moscou, Vladimir Poutine lui a répondu en livrant un brillant numéro d'acteur. Le boucher de l'Ukraine, qui n'hésite pas à envoyer sa jeunesse se faire massacrer sur le front ukrainien, est apparu aux bords des larmes en évoquant la situation à Gaza. « C'est la réaction de toute personne normale qui a un cœur qui n'est pas fait de pierre », a-t-il prétendu. La Russie, autrefois alliée d'Israël (l'Union soviétique fut le premier pays à reconnaître l'État hébreu, en 1948), voit d'un bon œil la guerre au Proche-Orient. Le conflit détourne l'attention de l'Ukraine et permet à Poutine de renforcer ses alliances avec tout ce que l'Occident compte d'ennemis, du guide suprême iranien Ali Khamenei au président turc Recep Tayyip Erdogan, en passant par le tyran nord-coréen Kim Jong-un. Depuis sa dernière visite en Russie, en septembre, le Nord-Coréen aurait donné un million d'obus à l'armée russe, selon une estimation sud-coréenne. Plus que tout ceux que les alliés ont livré à l'Ukraine depuis le début de la guerre !
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Fracture Nord-Sud. Côté chinois, Xi Jinping reste discret, mais il orchestre la dénonciation par ses médias des velléités guerrières et de l'hypocrisie de l'Occident. Pékin cherche à exploiter la guerre au Proche-Orient pour amadouer les pays du Sud. À l'ONU, l'Amérique et ses alliés paraissent plus isolés que jamais. La fracture Nord-Sud, mise au jour lors de l'invasion russe de l'Ukraine en 2022, s'est creusée, explique Jorge Heine, chercheur à l'université de Boston et ancien ambassadeur du Chili à Pékin. « De plus en plus de pays du “Sud global” remettent en question l'ordre mondial. Je ne dirais pas qu'ils sont passés dans le camp de la Chine et de la Russie, mais ils ont pris leur distance avec l'Occident. Je les appelle “non-alignés actifs” », détaille l'ex-diplomate. Récemment, le président brésilien, Lula, a qualifié la campagne militaire à Gaza de « génocide ». L'Afrique du Sud a établi un parallèle entre la situation en Israël et l'apartheid qui a été imposé à sa majorité noire jusqu'à son abolition, au début des années 1990. Moscou et Pékin tirent avantage de la vague d'indignation contre la riposte israélienne pour gonfler les effectifs de leurs clubs antioccidentaux, les Brics et l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Des alliances baroques au sein desquelles les haines ancestrales ont été mises en sommeil au nom de l'antiaméricanisme. En 2024, les Brics s'apprêtent à accueillir six nouveaux membres, dont l'Iran et l'Arabie saoudite, les porte-drapeaux des branches rivales de l'islam, le chiisme et le sunnisme. Bien que dominées par des dictatures, ces organisations se présentent comme plus vertueuses que les institutions héritées de la Seconde Guerre mondiale, accusées d'être dominées par les États-Unis et leurs alliés. Elles dénoncent la morale à géométrie variable des Occidentaux en s'appuyant sur des exemples récents (Gaza) ou plus anciens (les conflits en Irak ou en Libye). Leurs slogans sont repris jusqu'à Londres, New York, Berlin ou Paris lors des manifestations pro-Palestine. Confrontées à cette bataille informationnelle, les démocraties ont du mal à trouver la parade. « Contre le Hamas, Israël va gagner la guerre militaire mais perdre celle de communication », se désole un ex-ambassadeur occidental au Proche-Orient. Partout dans le monde, la haine de l'Occident gagne du terrain. Tour d'horizons de ses principaux sponsors.
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