Immigration, islam, multiculturalisme : relire les prédictions de Samuel Huntington - Par Eugénie Bastié

De la guerre en Ukraine au conflit israélo-palestinien, chaque jour, l’actualité donne raison au théoricien du choc des civilisations analyse Eugéie Bastié. Son ouvrage prophétique, écrit en 1996, éclaire magistralement l’année 2023.


Quel est le point commun entre le conflit israélo-palestinien, un tableau de nus qui choque des élèves musulmans, la guerre en Ukraine, l’échec de l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur, le rapprochement entre la Turquie et la Grèce et l’hégémonie totale des pays asiatiques dans le classement Pisa ? Tous ces événements peuvent trouver une explication dans la grille de lecture du Choc des civilisations. Chaque jour, l’actualité donne raison à la thèse avancée par Samuel Huntington en 1996. Celle-ci a été tellement galvaudée, déformée, caricaturée, qu’il est urgent de relire ce livre majeur, prophétique et prodigieusement intelligent, utilement republié en poche chez Odile Jacob. Car dans ce premier quart du XXIe siècle le paradigme du choc des civilisations a balayé celui de la mondialisation heureuse.

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Prenons trois prédictions d’Huntington qui ont été amplement vérifiées par les faits.

La guerre en Ukraine d’abord. (...) Huntington note que la « frontière civilisationnelle entre l’Occident et l’orthodoxie passe en plein cœur de l’Ukraine et ce, depuis des siècles ». Le conflit n’est pas un conflit manichéen et simpliste entre « le monde libre » et un tyran, mais entre une Ukraine pro-Occident et une Russie qui « n’a presque pas été exposée aux phénomènes historiques qui ont défini la civilisation occidentale : le catholicisme romain, la féodalité, la Renaissance, la réforme, l’expansion maritime et le colonialisme, les Lumières et l’émergence de l’État-nation ».

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Deuxième prédiction : l’islam. Avant même les attaques du 11 Septembre, Huntington prévoyait la résurgence du conflit millénaire entre l’islam et l’Occident. « Certains Occidentaux, comme le président Bill Clinton, soutiennent que l’Occident n’a pas de problèmes avec l’islam, mais seulement avec les extrémistes islamistes violents. Quatorze cents ans d’histoire démontrent le contraire », écrit Huntington, ajoutant : « Au XXe siècle, le conflit entre la démocratie libérale et le marxisme-léninisme n’est qu’un phénomène historique superficiel en comparaison des relations sans cesse tendues entre l’islam et le christianisme. »

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Troisième prédiction : l’immigration. « La démographie dicte le destin de l’histoire, les mouvements de population en sont le moteur, écrit Huntington. La question n’est pas de savoir si l’Europe sera islamisée ou l’Amérique hispanisée. La question est de savoir si l’Europe et l’Amérique deviendront des sociétés déchirées entre deux communautés distinctes et en grande partie opposées, appartenant à deux civilisations. (...) Une immigration importante ne peut que produire des pays divisés entre chrétiens et musulmans. » 

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Samuel Huntington  (...) avait conscience des fragilités de l’Amérique à l’ère identitaire. « Dans une époque où tous les peuples se définissent eux-mêmes par leur appartenance culturelle, quelle place peut occuper une société dépourvue de fonds culturel commun et se définissant uniquement par des principes politiques ? », s’interrogeait-il. (...) Il enjoignait (...) à l’Occident en général, d’abandonner le multiculturalisme pour assumer la foi dans l’identité culturelle occidentale fondée sur le christianisme, la séparation du spirituel et du temporel et la force de la loi.

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Il fustige sévèrement les prétentions universalistes de l’Occident : « La croyance occidentale dans la vocation universelle de sa culture a trois défauts majeurs : elle est fausse, elle est immorale et elle est dangereuse. »

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Les besoins de l’homme ne sont pas que matériels mais aussi spirituels : « Ni Adam Smith ni Thomas Jefferson ne satisferont les besoins psychologiques, affectifs, moraux et sociaux des immigrants qui s’amassent dans les villes. » La diversité est bonne au niveau mondial, mortifère au niveau national. L’universalisme est un danger à l’extérieur, le multiculturalisme une menace à l’intérieur. Pour éviter que le choc des civilisations ne transforme le monde en guerre civile généralisée sans vainqueurs ni vaincus, il faut d’urgence prendre au sérieux ses avertissements.