Éducation nationale, police, santé… : une question de moyens ? - Par Pierre Bentata et Nicolas Marques
Le manque d’argent est quasi systématiquement évoqué dans les débats français pour expliquer l’affaiblissement des fonctions régaliennes de l’Etat. La réalité des chiffres raconte une tout autre histoire.
Atlantico : Pour l’Education nationale, la police ou la santé, la question des moyens est souvent au cœur des débats et des préoccupations pour une meilleure efficacité. Quels sont les principaux enseignements des chiffres et des courbes des dépenses publiques concernant les budgets de la santé, de la police et de l'Education nationale depuis 50 ans et qui racontent pourtant une tout autre histoire ? N’assiste-t-on pas à une dérive budgétaire par rapport à l’efficacité réelle de ces trois pôles majeurs ?
Nicolas Marques : Dire que les services publics sont mal financés en France, c’est passer à côté des réalités et des enjeux. Les chiffres montrent que l’Education nationale, la police ou la santé ne manquent pas de moyens. En 2021, les dépenses publiques consacrées à ces trois domaines représentaient 16,1 % du PIB. C’est bien plus qu’au début des années 2000 – quand ces trois postes représentaient 14 % du PIB – ou ce qu’on observe dans l’Union européenne (14,5 % du PIB). Nos dépenses de sécurité intérieure sont en ligne avec celles des pays européens (1,7 % du PIB), celles de l’enseignement (5,2 % du PIB) sont supérieures de 8 % à la moyenne de l’UE et nos dépenses de santé (9,2 % du PIB) sont supérieures de 15 % à celle des pays européens.
Mais, dans le même temps, un nombre significatif de contribuables constate une dégradation du service rendu et l’attractivité de la fonction publique est en berne. En dépit des mesures censées la rendre plus attrayante, 8% des postes ouverts pour les recrutements externes de fonctionnaires d’Etat n’ont pas été pourvus entre 2019 et 2021.
Nous sommes dans une situation typique d’inefficience. Les moyens sont là, les bénéficiaires et les personnels ne sont pas satisfaits et le mécontentement monte. C’est la marque de défaillances structurelles au sein des administrations publiques françaises. Face à cela, augmenter les moyens n’est pas réaliste et souhaitable vu l’Etat des finances publiques, structurellement déficitaires depuis le milieu des années 1970.
Il faudrait donc traiter les problèmes de fond. Certaines causes d’inefficience sont bien documentées, notamment la suradministration, l’absence d’autonomie, la cogestion des personnels avec les partenaires sociaux et l’absence de rémunération au mérite. Mais, il existe un problème encore plus grave, qui est systématiquement occulté. C’est l’imprévoyance de l’Etat en tant qu’employeur. L’Etat a promis des retraites significatives à ses fonctionnaires, sans créer de caisse de retraite et sans faire le nécessaire pour que la charge financière ne déstructure les finances publiques. Il est fondamental de corriger cette erreur si l’on veut rétablir le rapport qualité/prix des prestations publiques.
Pierre Bentata : Il y a deux façons d'observer ces dépenses. Il est possible de les regarder en scrutant leur évolution dans le temps. Mais avec cette méthode, l'information n'est que partielle. Cela ne va pas permettre d’étudier les évolutions dans la société. Il est aussi possible de faire des comparaisons avec la réalité dans les autres pays. Selon les rapports de l’INSEE ou d’après les données du ministère de l’Intérieur, la France ne dépense pas moins d’argent que ses voisins, notamment pour la santé et l’éducation.
Les dépenses de santé sont un peu biaisées avec la période de la pandémie de Covid-19. Mais, à part ce moment particulier où les pays ont réagi différemment avec des temporalités différentes, il est difficile de comparer pour la même année les différents pays. Si on étudie la période juste avant la crise, ce que nous montrent les rapports de la Drees par exemple, est que les pays qui dépensent le plus en santé, en pourcentage du PIB, sont les Etats-Unis (18 % du PIB). Viennent ensuite la Suisse, l’Allemagne et la France. Notre pays est au-dessus de la moyenne de l'Union européenne. Très loin de nous, il y a des pays comme la Finlande où les habitants ne sont pas plus mal soignés, les Pays-Bas ou le Luxembourg (qui correspond vraiment à un cas extrême puisque la dépense par habitant dans le domaine de la santé est le plus faible en pourcentage du PIB).
Nous avons mené une étude avec l'Institut économique Molinari il y a quelques mois sur les dépenses en éducation. Nous avons observé la même chose concernant le niveau de la dépense par habitant. Cette dépense et ces investissements en France dans l’éducation par élève et par habitant sont parmi les plus élevées de tous les pays de l'OCDE.
Cela laisse à penser que s'il y a une dégradation des services, cela ne peut pas être lié uniquement à un problème de dépenses et de moyens. Les chiffres démontrent, surtout quand on effectue la comparaison avec des indicateurs de qualité, que, à dépenses équivalentes, des pays font bien mieux que la France. Dans le cas de l'éducation par exemple, l'Estonie est le pays le plus efficace d'Europe. L’Estonie fait beaucoup mieux avec des dépenses beaucoup plus faibles. La Finlande, par exemple, qui a des dépenses à peu près équivalentes à la France, fait aussi bien mieux que notre pays, que ce soit dans les classements PISA, dans la maîtrise des fondamentaux, concernant le nombre d'élèves en difficulté, le taux de NEET (de jeunes ni en emploi, ni en formation). Ce phénomène se vérifie aussi pour les dépenses de santé. Cela veut bien dire que ce n’est pas un problème de budget en soi.