Pourquoi l’océan Indien est un mirage pour la France - Par Raphaël Chauvancy

Après les départs de certains pays en Afrique, quelles doivent être les zones où la France doit déployer son armée et sa stratégie de puissance mondiale ? Doit-elle se recentrer sur l’océan Indien et l’Indopacifique, l’Europe, l’Asie ? Un débat à nourrir pour penser la projection de la France dans le futur.


Chassée de quelques pays africains, la France se chercher une pensée stratégique. Faut-il quitter définitivement l’Afrique ou y conserver des points d’appuis ? Faut-il se projeter dans l’Indopacifique, en y mettant en valeur les territoires français, faut-il se recentrer sur l’Europe, pour contrer la menace russe ? Les options sont ouvertes et débattues. Pour nourrir ce débat, Michael Shurkin, ancien analyste pour la CIA, fondateur du cabinet Shurbros Global Strategies et directeur des programmes mondiaux de 14 N. Strategies, propose, dans un article publié sur son site, que la France se concentre sur l’océan Indien. En désaccord avec cette analyse, Raphaël Chauvancy propose quant à lui une autre réflexion stratégique. Nous la publions ci-dessous, afin que nos lecteurs puissent prendre connaissance des arguments des uns et des autres.

L’article de Michael Shurkin est à retrouver ici (en accès libre). « France Should Seek its Grandeur in the Indian Ocean »


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Michael Shurkin ne parle pas de puissance aux Français, il réserve ce terme à l’Amérique, mais de « Grandeur ». Le terme leur chatouille aimablement l’oreille. Sorti de son contexte, il prête pourtant à confusion. Employé par le général de Gaulle pour expliquer que la France serait moins vaste mais plus forte sans le fardeau colonial, il était synonyme de puissance. C’est-à-dire de l’exact inverse du clinquant géopolitique auquel l’article semble l’assimiler. Ce contresens explique qu’il incite les Français à redéployer leurs forces dans l’océan Indien, où elles ne gêneraient personne, après avoir fait place nette en Afrique.

L’argumentation en faveur de cette hypothèse tient en deux points. Le premier est que les attaques houthis ont rendu périlleux l’accès au canal de Suez, détournant une partie du trafic maritime vers le cap de Bonne-Espérance. Or, la France détiendrait la clef de cette route avec Mayotte et la Réunion.

Malheureusement, ce qui était partiellement vrai au temps des corsaires et de la marine à voile n’est plus que joli sur une carte. La route du Cap est sûre, avec ou sans les deux îles françaises. Paris n’aurait d’ailleurs ni la volonté, ni les moyens de la fermer à ses ennemis. Ces deux points d’appui ont pour principale perspective une intégration économique et sécuritaire renforcée avec l’Afrique australe, qui stimulerait l’économie et allègerait un peu les charges de la métropole. La montée des périls exigerait, certes, un effort militaire plus soutenu mais on peine à trouver le sens d’un redéploiement massif dans une zone aussi excentrée, dépourvue d’enjeux majeurs pour Paris.

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Il est d’ailleurs probable que les Houthis se le tiennent pour dit une fois qu’ils auront tâté sérieusement du feu de l’US Navy et que le commerce maritime retrouvera le chemin de la mer Rouge. On ne construit pas une stratégie sur une conjoncture.

Monsieur de la Palisse n’aurait pas renié le deuxième argument. L’océan Indien est vide, or on est assuré d’être le plus fort quand on est seul. Certes. La France pourrait briller entre les Mascareignes, les Seychelles et la Namibie. Pour quoi faire ? Frivole ou malveillante, la proposition ne constitue pas une option stratégique.

Une stratégie digne de ce nom vise un but et pare des menaces. Celle de la France a pour objectif de demeurer une nation dont la voix porte dans le monde malgré des moyens limités. Elle doit simultanément contenir trois risques majeurs : 1. La submersion migratoire et la dislocation intérieure. 2. Le déclassement économique. 3. La menace militaire liée aux agressions russes et à l’aventurisme turc.