Le droit du sol est-il l’instrument d’intégration qu’affirment ses défenseurs intransigeants ? - Par Patrick Stefanini et Pierre Vermeren
Alors que Gérald Darmanin a annoncé une remise en cause du droit du sol à Mayotte, une partie de la gauche hurle à l’extrême-droitisation des esprits.
Atlantico : Une partie de la gauche met en avant le fait qu’il serait incohérent de vouloir favoriser l’intégration de populations immigrées en rendant l'accession à la nationalité française plus compliquée. Mais que nous dit finalement la réalité ? Les populations se sont-elles plus ou moins intégrées selon leur facilité à accéder à la nationalité, en France comme ailleurs en Europe ou aux États-Unis ?
Patrick Stefanini : L’idée selon laquelle il faudrait faciliter l'accès à la nationalité pour favoriser l’intégration est saugrenue. Au contraire, l’accès à la nationalité française doit venir couronner un processus d’intégration et même un processus d’assimilation. Je dis bien couronner et en aucun cas servir de levier vers cette assimilation. L’intégration suppose que les intéressés puissent trouver en France un emploi, un logement, mais également faire vivre leur famille dans des conditions satisfaisantes. L’intégration suppose aussi qu'ils adhèrent aux valeurs de la République française et qu'au fond, ils soient séduits par le modèle culturel qui est celui de la France. On sait que, malheureusement, ces deux séries de conditions aujourd'hui ne sont plus réunies. La situation économique et sociale de la France est beaucoup plus difficile qu'elle ne l'était dans les années 60. Le chômage est plus important. Et l'adhésion au modèle culturel français est beaucoup moins forte que ce n'était le cas précédemment.
Toutefois, si on supprime le droit du sol pour l’ensemble du territoire français, on aura mécaniquement une augmentation du pourcentage des étrangers dans la société française et on pourra donner le sentiment aux étrangers qui cherchent à s'intégrer qu’ils sont pénalisés dans l’accès à la nationalité française. Avant d’envisager une mesure aussi générale, prenons d’abord la mesure du problème qui se pose à Mayotte, voire en Guyane. Des femmes de nationalités étrangères s’y rendent en ayant pour perspective que les enfants qu’elles portent puissent y naître et devenir français de manière automatique à leur majorité, voire même dès l’âge de 13 ans, en application de l'article 21-11 du Code civil. Par la suite, les parents de ces enfants pourront obtenir facilement un titre de séjour puisqu’ils auront la qualité de parents d'enfants français. La question de la suppression du droit du sol à Mayotte a été posée il y a fort longtemps, dès 2007 par François Baroin, alors ministre de l'Intérieur. Malheureusement aucune suite n’a été réservée à l’interrogation décisive portée par François Baroin. La réforme qui est intervenue en 2018 et qui faisait suite à un amendement parlementaire allait dans la bonne direction, mais elle était tout à fait insuffisante et n’a produit aucun effet sur les flux migratoires en direction de l’île.
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Pierre Vermeren : Il faut revenir à l'origine. La Révolution française a aboli le droit du sol parce que, justement, elle a créé la citoyenneté française. La IIIe République l'a rétabli, en Algérie d'abord, puis ensuite sur le modèle algérien en métropole en 1889. Il s’agissait en Algérie de fabriquer des citoyens français face à des musulmans très majoritaires ; cela revenait à transformer une partie des habitants, notamment les Espagnols et les Italiens, en Français, d’autant plus que les Français risquaient d’être en minorité parmi les Européens. Quelques années plus tard, cette idée a traversé la Méditerranée, parce que la France traversait déjà dans une crise démographique, et qu’elle avait besoin de naturaliser les enfants des Italiens et des Belges pour accroître ses effectifs militaires face à l'Allemagne. A l'origine, il s'agissait d'avoir des soldats pour faire nombre, dans un contexte colonial, puis en métropole face à l'Allemagne. Au bout de 150 ans, les choses ont considérablement évolué. Le droit du sol a permis l'intégration des jeunes enfants d'étrangers en France pendant un siècle.Mais depuis l'abandon de la politique d'intégration, dans les années 1980, il y a aujourd'hui une dissociation croissante entre le droit du sol et l'intégration, souvent refusée en tant que telle. Les enfants originaires par leurs parents ou leurs grands-parents du Maghreb ou de Turquie sont soumis à un double système, à une double injonction contradictoire. Ils sont soumis à la fois au droit du sol en France, et au droit du sang par leur pays de provenance. Ils ont une binationalité qui est fondée sur deux principes juridiques antinomiques, ce qui de ce fait est difficile à vivre, à construire et à assumer. Ils ne choisissent aucune des deux nationalités : ni celle qu'ils ont par le sol, ni celle qu'ils ont par le sang. Leur personnalité, leur intégration, leur vie est souvent complexe à gérer pour ceux qui circulent entre les deux pays.