Mathieu Bock-Coté : «Ce qui menace vraiment la liberté de la presse en Europe aujourd’hui»
La liberté de la presse se porte moins bien qu’on ne le dit en Europe occidentale – alors que certains la présentent comme le dernier bastion de la démocratie libérale face à la montée des empires autoritaires.
Reporters sans frontières, apparemment, se préoccupe de la liberté de la presse en Europe. Rien dans sa pratique ne confirme vraiment cette prétention, comme en témoignent les derniers événements. Et pourtant, cette cause mériterait qu’on l’embrasse vraiment. Car la liberté de la presse se porte moins bien qu’on ne le dit en Europe occidentale – alors que certains la présentent comme le dernier bastion de la démocratie libérale face à la montée des empires autoritaires. Il n’est pas certain qu’elle mérite tant de louanges alors que partout s’impose la consigne du rappel à l’ordre médiatique, sous des formes nouvelles, qui vont de la répression sociétale à la répression étatique, qui poussent de toute façon au développement de l’autocensure. La censure revient à l’Ouest.
Le cas de la Belgique francophone pourrait intéresser, tant y domine une culture politique fondée sur la censure revendiquée de ce que le système médiatique appelle l'extrême droite. C’est ce qu’on appelle le cordon sanitaire. Les médias belges francophones, loin de lutter contre la censure, la pratiquent fièrement, en se déclarant ouvertement hostiles aux forces politiques qu’elles décrètent antidémocratiques. On notera que ce régime médiatique explicitement répressif est souvent donné en exemple à la France. Si elle s’y convertissait, elle pourrait faire refluer le populisme, et assécher l’espace public des passions odieuses qu’on lui prête. Tout cela présuppose évidemment un système politico-médiatique qui traite des forces politiques légales à la manière d’un ennemi intérieur à éradiquer.
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Je me permets d’insister : que la Belgique francophone soit objectivement un des territoires les moins démocratiques en Europe occidentale suscite chez plusieurs une forme d’envie. Ils y voient un modèle à reproduire. Ils y voient une démocratie militante ayant retenu la leçon de Weimar et faisant tout ce qu’elle peut pour bloquer l’accès à l’espace public aux forces accusées de ne pas souscrire aux grandes valeurs identifiées par la classe dirigeante – grandes valeurs qu’elle sera toutefois seule à définir et à interpréter, ce qui nous rappelle l’importance des idéologues stipendiés dans la définition de ce qu’on appelait autrefois la ligne de parti, qui peut à tout moment peut se retourner, comme l’avait noté Orwell.