Pourquoi l’IA ne se substituera pas aux êtres humains - Par André Comte-Sponville
L’intelligence artificielle est un outil extraordinaire dont nous aurions tort de nous passer. Mais ce n’est qu’un outil. Il n’a pas de conscience et ne peut pas remplacer l’humain.
L’intelligence artificielle fait peur. C’est qu’on se trompe sur elle. Son nom même est un contresens : comment serait-elle intelligente, puisqu’elle ne pense pas ? Elle calcule ? Oui, en un sens, et beaucoup plus vite qu’aucun être humain. Mais elle ne sait pas compter : puisqu’elle ne sait pas qu’elle compte. C’est comme le logiciel de traitement de texte que j’ai installé sur mon ordinateur : il est bien meilleur que moi en orthographe, mais il ne sait ni lire ni écrire. Pas étonnant qu’il se montre si souvent, en tant que correcteur, d’une bêtise crasse, qui ne cesse de me surprendre ! Mais j’ai tort de m’étonner. La vérité, c’est qu’il ne comprend rien à ce que j’écris : il se contente de le comparer à sa base de données. Il ne lit pas ; il épelle et collationne.
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L'intelligence artificielle (IA) est certes d’une tout autre portée, par ses deux caractéristiques principales : l’immensité de ses données (les fameux big data) et sa formidable puissance de calcul (surtout à base de statistiques et de probabilités). C’est ce qui en fait un outil si performant, qui révolutionnera plusieurs métiers et les impactera presque tous. Avocats, traducteurs et scénaristes n’ont pas tort de s’inquiéter : à eux de prouver que leur valeur ajoutée personnelle ne se réduit pas à une combinaison de connaissances (la machine, sur ce plan, les dépassera de plus en plus), mais inclut une part irréductible d’inventivité, de créativité, de liberté, de talent.
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Pourquoi la machine n’en serait-elle pas capable ? Parce qu’elle est sans conscience, sans volonté, sans affectivité. Méfions-nous de l’anthropomorphisme, qui la pense à notre image ! L’IA est un outil extraordinaire, mais ce n’est qu’un outil, pas une personne. Cela peut venir ? Un jour, peut-être, quoique je n’y croie guère. C’est ce qu’on appelle parfois « l’IA forte », celle qui aurait conscience d’elle-même et de son environnement.S’en servir sans céder sa place
Beaucoup s’en effraient à l’avance, et trop vite, me semble-t-il. Quant à moi, ce qui me frappe surtout, c’est que nos ordinateurs et logiciels n’ont pas fait le moindre progrès, de ce point de vue, depuis soixante-dix ans. L’ordinateur le plus puissant du monde, équipé des meilleurs logiciels, a exactement le même niveau de conscience que la machine à écrire sur laquelle j’ai écrit mes tout premiers textes : il est égal à zéro.
L’IA n’en reste pas moins d’une redoutable efficacité, qui va croître encore. Une école de commerce a mis en concurrence le philosophe Raphaël Enthoven et ChatGPT pour traiter un sujet du Bac de philo : Raphaël Enthoven a obtenu 20/20 ; ChatGPT, seulement 11. Ne nous rassurons pas trop vite : dans dix ans, ChatGPT sera bien plus performant qu’aujourd’hui. L’ami Raphaël, c’est moins sûr.
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Terminons par une bonne nouvelle, que je tiens d’un expert en IA. Chacun sait que nos ordinateurs sont désormais capables de vaincre un champion du monde aux échecs ou au jeu de go. Mais un champion d’échecs ou de go qui se sert de l’IA est capable de battre n’importe quel ordinateur disposant de la même IA.
Un outil, on aurait tort de ne pas s’en servir, lorsqu’il est utile. Mais tort aussi de lui céder notre place. Voyez votre GPS : il est bien meilleur que vous pour calculer n’importe quel itinéraire. Mais ne comptez pas sur lui pour vous dire où vous voulez aller.
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