Réduire la dépense publique sans affaiblir l’Etat ni tuer la croissance, c’est possible et voilà comment - Par Nicolas Marquès
Emmanuel Macron et son exécutif espèrent dégager 10 milliards d’euros de coupe budgétaire, en s’attaquant notamment à la justice, l'écologie, le développement et les mobilités durables, l’aide au développement ou la cohésion territoriale.
Atlantico : Quel sera l’effet de telles coupes sur notre économie ? N’est-on pas en train d’affaiblir sciemment la puissance de l’Etat ?
Nicolas Marques : La méthode choisie par le gouvernement pour faire des économies est, il faut bien le dire, particulièrement brouillonne. Dès lors que l’on décide, en France ou ailleurs, de planifier des budgets, il incombe ensuite de s’y tenir. Nous avons ici décidé de nous y soustraire et cela constitue un vrai aveu d’impuissance que d’ainsi renoncer à la ligne initialement votée. Naturellement, il est louable de chercher à faire des économies ; d’autant qu’il est éminemment possible de le faire. Mais la question de la méthode doit aussi être abordée : il est essentiel de construire une feuille de route et de la déployer sans revenir dessus ensuite. Décider de geler tel ou tel budget déjà voté, c’est prendre le risque d’en arriver à un résultat contre productif, parce qu’on a refusé de faire un investissement qui aurait pu générer des économies. L’approche strictement comptable constitue, bien souvent, la pire des façons d’envisager la question.
Reste à voir, pour identifier en détail l’impact des économies dont on parle ici, comment seront réalisées les coupes budgétaires. En cherchant le court terme ainsi qu’il le fait, l’Etat s’expose malheureusement à des retards d’investissements, qui n'améliorent pas le service rendu au contribuable ou le rapport qualité prix. Bien sûr, le compte sera moins déficitaire que prévu à la fin de l’année, mais la situation n’aura pas été optimisée. Pour réaliser de véritables économies durables, il est nécessaire de définir des priorités et des priorités à l’action. Ensuite, il faut définir des enveloppes de moyens adéquats pour donner réalité à ces priorités. Et pour y parvenir, il est indispensable d’écouter ce que diront les ministères concernés, tout en les challengeant pour trouver les bons gisements d’économie.
Une fois ceci fait, il devient nécessaire d'intéresser l’acteur chargé de procéder à ces économies. Si l’on souhaite que celles-ci soient réellement effectuées, le mieux est de convaincre celui-ci qu’il est possible de produire à un coût minimal sans prendre le risque de gripper la machine. D’autant que les économies réalisées peuvent ensuite être réinvesties pour assurer la pérennité et l'accroissement du service concerné. En matière de gestion d’entreprise et de collectivités, on sait très bien que la meilleure façon de faire des économies, c’est de donner le pouvoir aux managers, de les inciter à créer une structure susceptible de permettre la découverte de la meilleure façon de rentabiliser les dépenses.
Dans quelle mesure est-il possible, à court terme, de réduire la dépense publique française sans pour autant affaiblir l’Etat et ses secteurs clefs ? Comment préserver, également, la croissance française ?
Nicolas Marques : La réduction du nombre de fonctionnaires constitue, indéniablement, une variable d’ajustement susceptible de permettre à l’Etat de réaliser des économies. Ce n’est guère étonnant au regard de la façon dont il est organisé : c’est bien l’un des seuls leviers qui lui reste. Contrairement au secteur privé, le secteur public n’a qu’un réel curseur : le nombre de fonctionnaires à l’embauche. Seulement, la réduction drastique de ces embauches peut engendrer des problèmes significatifs, selon les secteurs. Dans le domaine de la justice, par exemple, il faut s’attendre à des encombrements ou à des durées de procédures qui augmentent et à des citoyens mécontents. Dans l’armée, le risque apparaît évident aujourd’hui, alors qu’il est toujours plus difficile de percevoir les dividendes de la paix. C’est un pari sur l’avenir.
L’Etat, ainsi qu’il fonctionne, passe trop de temps à chercher des économies de court terme, à faire de l’affichage. Ces 10 milliards d’économies qui ont été annoncées ne permettront pas de combler les centaines de milliards de dépenses engagés en parallèle. Ils relèvent de l’ordre de l’anecdote.
Pour s’en sortir, il faudrait donc redonner le pouvoir aux managers dans la fonction publique, traîter les sujets qui engendrent un surcoût annuel systémique, comme cela peut être le cas des retraites des fonctionnaires qui coûtent entre 30 et 40 milliards tous les ans. Sans faire ce travail de fond, on s’arrête toujours à la recherche de petites économies qui, de temps à autres, peuvent s’avérer très efficaces mais qui ne présentent pas toujours de garanties. Rappelons en effet que nous avons beaucoup rationalisé la fonction publique, ce qui a permis d’économiser des sommes considérables. Il ne s’agit pas d’un gisement d’économie majeure, mais il faut tout de même continuer. Tout en menant, en parallèle, la décentralisation de notre administration et la gestion du long terme. Ne nous laissons pas enfermer dans un carcan comptable, qui consisterait à raisonner en annualité budgétaire sans jamais regarder le retour sur investissement.
Peut-on parler de problème managérial au sommet de l’Etat ? Sait-on seulement comment manager pour réduire la dépense publique ?
Nicolas Marques : C’est un point que nous avons déjà partiellement abordé. Force est de constater que, en Hexagone, nous avons tendance à désinvestir les managers, à ne pas leur donner les moyens de mener une politique et c’est quelque chose que l’on observe dans l’ensemble des domaines. La question de l’autonomie des universités est abordée depuis des décennies déjà. Si elles avaient davantage le contrôle sur leurs moyens, leurs recrutements, la progression de leurs personnels et la façon de motiver ceux-ci, il y a matière à penser qu’elles afficheraient des résultats tout aussi bons que ceux des autres universités européennes. La question de la marge de manœuvre que l’on accorde à tous les échelons de l’administration pour conquérir un résultat performant et peu cher est primordiale.
La méthode descendante, que l’on aime tant en France, ne fonctionne pas. Il faut sortir du micro-management : le central, qui cherche à faire de l’économie, engendre souvent plus de dysfonctionnements qu’il ne limite les dépenses.
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