J'ai lu et aimé "Justice : la colère qui monte" – De Béatrice Brugère

Dans un ouvrage courageux et sans concession qu'elle vient de publier "Justice : la colère qui monte" (L’Observatoire), la magistrate Béatrice Brugère tire la sonnette d’alarme : "La colère monte, le désir de justice est grand, mais il n’est pas satisfait." Aménagements de peines, de places de prison, non-exécution des peines, partialité, elle dresse un état des lieux de cette institution en faillite et fait le constat d'un système judicaire en crise, marqué par un manque de moyens mais surtout "un logiciel qui n'est pas performant". Augmenter le budget de la justice ne suffit pas, il faut aussi une vision, explique-t-elle. "La justice française souffre à la fois d’un manque de pluralisme idéologique et d’un entre-soi sociologique."


Béatrice Brugère est magistrate pénaliste depuis vingt ans, vice-Procureure de la République au TGI de Paris et secrétaire générale du Syndicat unité magistrats SNM-FO.

Délais de jugement, illisibilité des procédures, vaine technocratie, hyperinflation normative, trop grande politisation, corporatisme, différence de traitement entre les victimes et les délinquants, perte de souveraineté... De nos jours, les critiques contre l'institution judiciaire ne manquent pas. De plus en plus violentes, elles délégitiment la justice et sapent assurément son autorité. La justice en France semble en effet marcher à reculons?: plus on la réforme et moins elle progresse ! Mais c'est un fait : les citoyens n'acceptent plus ni sa lenteur, ni sa complexité, ni ses décisions incompréhensibles ou laxistes. La mise à sac récente du tribunal d'Aurillac ou l'incendie du tribunal de Nanterre constituent autant d'alertes à prendre très au sérieux. Pour Béatrice Brugère, sauver ce qui peut l'être de la justice en France ne se réglera pas de manière strictement budgétaire ou technique. La justice ne retrouvera sa vocation profonde qu'à la condition d'une complète refondation : protéger les plus faibles, sanctionner vraiment les délinquants, sauvegarder les libertés menacées, apprendre aussi à devenir plus accessible et plus humaine. Au travers de ces pages, la magistrate nous donne malgré tous des raisons d'espérer et de se battre. Elle propose notamment, avec lucidité et courage, un changement de cap complet : pour que la justice reprenne toute sa place... mais rien que sa place.


Détails sur le produit
ASIN ‏ : ‎ B0CCNFTGMT
Éditeur ‏ : ‎ L'OBSERVATOIRE (28 février 2024)
Langue ‏ : ‎ Français
Broché ‏ : ‎ 283 pages
ISBN-13 ‏ : ‎ 979-1032930410
Poids de l'article ‏ : ‎
Dimensions ‏ : ‎ 13.8 x 2.4 x 21.4 cm



Entretien pour LE POINT - Propos recueillis par Nicolas Bastuck

Son discours n'est pas corporatiste, elle en dénonce au contraire les méfaits. Plus que des moyens, elle réclame une « réflexion profonde ». Secrétaire générale d'Unité-Magistrats-FO, Béatrice Brugère tranche, dans le petit monde de la magistrature. Dans Justice : la colère qui monte (Éditions de L'Observatoire)*, elle en appelle à une « refondation ».

Le Point : « La Justice, écrivez-vous, ne peut plus faire l'unanimité contre elle ; il faut qu'elle écoute la colère qui monte. » Les magistrats seraient-ils devenus sourds aux attentes du peuple français, oubliant que la justice est rendue en son nom ?

Béatrice Brugère :
Le désir de justice est grand, mais il n'est pas satisfait. La colère gronde, et il faut l'entendre. C'est particulièrement frappant au pénal : les Français sentent l'insécurité monter, s'en inquiètent, mais la réponse apportée n'est pas à la hauteur des enjeux. C'est vrai aussi au civil – aux affaires familiales, notamment –, où les délais sont toujours plus longs et l'accès au juge est difficile. Le mécontentement s'exprime aussi chez nos partenaires : policiers, avocats, entrepreneurs… En interne, le personnel judiciaire souffre d'une gestion bureaucratique où la politique du chiffre règne en maître.

La Justice serait devenue « un bateau ivre sans cap ni boussole ». Longtemps maltraitée, elle serait devenue « maltraitante ». Vous y allez fort !

Je ne suis pas la seule à faire ce constat désespéré, mais ce qui m'intéresse, c'est d'en évaluer les causes, de proposer des solutions et d'offrir des raisons d'espérer. Les magistrats doivent faire leur examen de conscience, mais cet échec est aussi celui des politiques publiques qui, depuis des décennies, se sont fourvoyées. Pourquoi les réformes échouent-elles ? Parce qu'elles colmatent là où nous aurions besoin de remettre de la profondeur, de la culture et de l'imagination dans l'action publique.

La Justice a obtenu des moyens sans précédent. Ces milliards vont-ils lui permettre de restaurer son autorité, d'agir dans des délais raisonnables ?

Non, car les réformes budgétaires – pour peu que les crédits ne soient pas annulés – ne règlent que des problèmes… budgétaires. Or, la crise est existentielle ; elle porte sur les valeurs, le sens et le modèle. Les moyens sont nécessaires, mais subsidiaires. Sans vision d'ensemble, les délais continueront à s'allonger, les troupes à s'épuiser, la colère à monter. La vraie justice ne consiste pas à gérer des stocks. C'est d'abord une affaire de chair, d'esprit, de qualité et d'humanité.

Béatrice Brugère : « La colère monte, le désir de justice est grand, mais il n’est pas satisfait » (lepoint.fr)

Entretien pour ATLANTICO.FR

Atlantico : Que ce soit au sommet des institutions judiciaires ou administratives, Emmanuel Macron a de facto déployé une politique de nominations similaire à celle d’un pouvoir de gauche, voire plus à gauche que celles faites par François Hollande. L’absence d’alternance pose-t-elle un problème ou est-ce que cela est lié plutôt à la formation des élites ?

Béatrice Brugère :
Si la question de la légitimité des magistrats et de leur impartialité qui est liée se posent régulièrement depuis quelques années dans le débat public français créant souvent des polémiques, il ne me semble pas que l’alternance politique des nominations soit une solution mais au contraire le symptôme du mal. En effet, la question de l’impartialité des magistrats doit être posée de manière globale et structurelle en-dehors de la vie politique. Pour autant cette question ne doit pas être éludée ni minimisée car si elle n’est pas résolue, elle sape les fondements de la confiance et de l’autorité de la justice. Il faut également s’interroger sur la spécificité française et les dérives peut-être de notre système. Personne n’a envie et ne doit être jugé en se disant que selon les alternances, il faut accepter que ce soit une fois la droite une fois la gauche une fois le centre. Cette question interroge à la fois la séparation des pouvoirs, les modalités de nos nominations, la formation des magistrats et la capacité à être impartial de manière objective et subjective.

Emmanuel Macron s’inscrit comme ses prédécesseurs dans un système qui pratique en effet à la marge des nominations politiques mais également un entre-soi de la haute fonction publique d’Etat qui parfois confine à une économie circulaire des ressources humaines, qui dépasse souvent le clivage simpliste gauche-droite. Il faut donc d’urgence réformer le système des nominations pour le rendre plus transparent et plus lisible dans la gestion des carrières pour éviter la nomination des amis ou des alliés. La justice mérite mieux qu’une alternance pour avoir des institutions qui garantissent au maximum la compétence, la probité et l’intérêt général. Il est utopique d’imaginer un magistrat neutre de toute opinion mais il est possible d’organiser au maximum son impartialité et des contre-pouvoirs pour éviter des abus. C’est la raison pour laquelle une des clés pour retrouver la confiance des citoyens est de refonder en profondeur le système des carrières, des nominations, de la formation et de sanctionner toute atteinte à l’impartialité.

En France, les politiques critiquent à juste titre les nominations des magistrats quand ils sont dans l’opposition mais refusent une grande réforme espérant à leur tour garder le contrôle sur les prochaines nominations, une fois au pouvoir. C’est ce paradoxe qui nous empêche d’accéder à un système mature de démocratie exemplaire qui respecterait la séparation des pouvoirs mais également l’exercice de la justice qui est contaminée par ces alternances politiques qui font et défont sans cesse les politiques publiques.

Comment les élites sont-elles formées ? En quoi est-ce que cela représente un problème ? Comment est-ce que cela se ressent sur les nominations ?

Souvent la politisation est confondue avec le conformisme c’est-à-dire la pensée dominante. Il faut donc s’interroger sur les lieux de formation des futurs juges, administratifs ou judiciaires, qui viennent souvent des instituts d’études politiques (IEP) ou des facultés. Or ces lieux sont travaillés depuis longtemps par un fort courant politisé à gauche et maintenant chantre du wokisme. Il faut que toutes les tendances puissent être représentées et équilibrées pour maintenir un pluralisme et que ces écoles soient le lieu de l’apprentissage du discernement et non de la propagande.

De même cette rigueur et ce pluralisme doit exister à l’Ecole Nationale de la Magistrature et à l’INSP (ancienne ENA) ce qui ne semble pas toujours être le cas. De plus, ces écoles qui sont des écoles d’application, ne peuvent être des lieux d’idéologie ou de conformisme. D’ailleurs, souvent les magistrats qui font preuve d’une grande indépendance, viennent d’autres secteurs professionnels, et c’est donc la preuve qu’il est important de maintenir une neutralité et un pluralisme dans l’enseignement. 

Invitée d'Yves Calvi pour RTL

La magistrate pénaliste, Béatrice Brugère, secrétaire générale du Syndicat Unité-Magistrats-FO publie Justice: la colère qui monte aux éditions de L’Observatoire. Elle décrit une justice "maltraitante car maltraitée et marginalisée, une fabrique de souffrances, d’intérêts contradictoires, d’enjeux, de pouvoirs internes et de lâchetés", dans un contexte où plus d'un Français sur deux ne fait pas confiance à la justice. "Ce que l'on voit, c'est qu'une justice qui n'est pas bien organisée, qui n'est pas performante, ne peut pas produire des choses exceptionnelles. C'est une justice qui est sous pression. Il y a une crise du sens qui est ressentie de l'intérieur", explique-t-elle au micro de RTL ce jeudi 29 février.
70% des Français trouvent la justice laxiste. "La crise de la confiance est au cœur de la réflexion. C'est le décalage entre la promesse de notre efficacité et le mensonge de la réalité", ajoute-t-elle. 8% des peines ne sont jamais exécutées, cela fait 10.000 peines. "On est à contre-temps parce qu'on exécute beaucoup trop tard. (...) On est le premier pays à faire des aménagements de peines, sauf qu'on n'en n'a pas non plus les moyens", explique Béatrice Brugère.

75.130 personnes étaient incarcérées au 1er novembre 2023 pour 61.000 places. Le gouvernement a annoncé 15.000 nouvelles places de prison d’ici 2027, mais leur nombre a baissé entre 2020 et 2023. Un autre problème constamment relevé par les Français : les délais de traitement des affaires. En 2022, il fallait 600 jours en moyenne entre l'envoi de la requête au greffe et le rendu de la décision. "On a un logiciel qui n'est pas performant, une procédure qui est complexe, un système qui est à saturation. Comme la machine est déjà à l'arrêt, même quand on rajoute des moyens, c'est presque trop tard. (...) Arrêtons de réformer, refondons un système qui soit performant. Si vous n'avez pas un projet, une vision, les moyens ne serviront à rien", selon la magistrate.



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