Le temps nous est aujourd'hui compté pour refaire l'armée de la France au service de la défense de notre liberté - Par Nicolas Baverez

Comment l’invasion de l’Ukraine par la Russie a fait voler en éclats des décennies de doctrine militaire tournées vers la paix en France et en Europe. Nucléaire, relations avec l’Otan et l’Europe, service militaire, industrie… ces dossiers à traiter en urgence pour redresser notre armée.


I.Sommes-nous prêts pour une guerre de haute intensité ?


Le monde a changé, la France doit repenser et reconstruire son système de défense. Churchill aimait à rappeler qu'« il faut prendre l'événement par la main avant qu'il ne vous saisisse à la gorge ». Il nous faut préparer la guerre avec les empires autoritaires – Russie en tête – si nous voulons l'éviter. Et préparer la guerre telle qu'elle se fait – non celle du début du XXIe siècle, où toute menace vitale avait disparu, ou celle que l'on projette des fonds marins à l'espace en passant par l'Indo-Pacifique pour éviter d'en affronter les réalités en Europe.

La défense de la France se trouve dans l'attente d'une vision et d'un cap qui ne peuvent être définis que par le président de la République. Or Emmanuel Macron s'est décrédibilisé en évoquant le 26 février la possibilité d'envoyer des troupes au sol en Ukraine avant de se contredire en expliquant que la France excluait de se trouver en situation de belligérance et de contribuer à une escalade avec la Russie. Il a par ailleurs laissé entendre que des forces spéciales françaises se trouvaient en Ukraine. Ces déclarations improvisées ont provoqué la stupéfaction et la consternation chez la plupart de nos alliés au sein de l'UE et de l'Otan. Certains s'en sont clairement désolidarisés.

Joe Biden a rappelé qu'il se refusait d'autant plus à déployer des soldats américains en Ukraine que Kiev n'en a jamais fait la demande et que les besoins prioritaires portent sur la livraison de matériels et de munitions pour lesquels, jusqu'à la signature du récent accord bilatéral prévoyant 3 milliards d'euros d'aide en 2024, la France figurait au dernier rang. La polémique a tourné à la brouille avec le chancelier allemand, Olaf Scholz, lui-même très affaibli par l'amateurisme de l'état-major de la Bundeswehr, qui débat de l'emploi des missiles Taurus en Ukraine sur des réseaux non sécurisés. La discorde parmi les alliés fait ainsi le bonheur de Vladimir Poutine.

Les errements d'Emmanuel Macron sur l'Ukraine s'inscrivent dans une longue série de décisions hasardeuses, qui témoignent de son incompréhension de la stratégie et des questions militaires. Le choix réactionnaire d'un ministère des Armées, en lieu et place de la Défense et de la Sécurité nationale, renoue avec les années 1930 et exprime le déni d'un monde où la sécurité n'est pas seulement militaire mais globale.

Arbitraire et amateurisme à l'Élysée

Le limogeage du général de Villiers en 2017 fut la première expression d'un autoritarisme et d'un culte de l'arbitraire qui méprise la compétence comme les principes républicains – dont les diplomates éprouvèrent à leur tour le caractère tyrannique en voyant leur corps supprimé pour avoir rappelé la véritable nature du régime russe et mis en garde contre la volonté illusoire de créer un partenariat avec Poutine.

La proposition d'intervenir en Ukraine vient après le dialogue surréaliste poursuivi pendant des mois avec Vladimir Poutine à la suite de l'invasion de l'Ukraine et la déclaration d'octobre 2022, contraire à la doctrine de la dissuasion, selon laquelle une frappe balistique russe contre l'Ukraine n'engagerait pas les intérêts vitaux de la France. Le même amateurisme a présidé, après les massacres du 7 octobre, à l'improbable invitation à constituer une coalition contre le Hamas inspirée de celle contre l'État islamique, qui a été unanimement rejetée par Israël, les pays arabes, nos partenaires et nos alliés.


II.Ce qu’il faut changer pour faire face demain à une guerre de haute intensité


La France continue à asseoir sa posture stratégique sur le statut de puissance d'équilibre, qui n'a aucun sens dans un monde en guerre où les démocraties font l'objet d'une menace vitale de la part des empires autoritaires. À travers la loi de programmation militaire, notre pays a certes réinvesti dans sa défense en décidant de lui consacrer 413 milliards d'euros entre 2024 et 2030. Mais il n'a engagé ni un véritable réarmement, ni une transformation de sa posture stratégique et de son modèle d'armée.

Une industrie tournée vers l'exportation

L'effort financier doit être relativisé, car il porte en réalité sur 380 milliards hors inflation et n'atteindra le seuil de 2 % du PIB qu'à partir de 2025, alors qu'une majorité d'alliés européens, dont l'Allemagne, le remplissent en 2024. Surtout, la loi de programmation militaire repose sur un contresens majeur puisqu'elle rétrécit le cœur des forces au moment où la guerre revient au cœur de l'Europe. La modernisation trop longtemps différée de la dissuasion nucléaire à hauteur de 7 milliards d'euros par an, à travers le lancement d'une troisième génération de sous-marins et la rénovation des missiles M51.3 et ASMP-A, est salutaire. Mais elle s'accompagne du maintien d'un modèle d'armée conventionnelle de corps expéditionnaire qui fait l'impasse sur la défense de l'Europe. La cible des véhicules blindés Griffon, Jaguar et Serval est réduite de 30 % ; le nombre des chars Leclerc rénovés est abaissé de 200 à 160 (alors que la Russie en a perdu 2 900 en Ukraine) ; celui des Rafale de l'armée de l'air est ramené de 185 à 137 et celui des A400 M de 50 à 35 ; la flotte des frégates est limitée à 15, ce qui est notoirement insuffisant. Les armées françaises ne disposeront pas d'essaims de drones avant 2030, alors que cette tactique s'est montrée décisive dans tous les conflits récents.

Le basculement vers l'économie de guerre, effectif en Russie, qui affecte 6 % de son PIB et 30 % de ses dépenses budgétaires à ses armées, reste virtuel en France. L'industrie française s'est spécialisée dans la très haute technologie et les équipements utiles pour les conflits des prochaines décennies – des avions spatiaux à l'hypervélocité en passant par le quantique –, mais se trouve incapable de produire les armes qui servent dans les conflits actuels : artillerie, chars, drones.

Par ailleurs, compte tenu des aléas et de la sous-tarification des commandes de l'État, elle privilégie les exportations, qui représentent plus du tiers de son chiffre d'affaires (11,3 milliards d'euros sur 30 milliards de chiffre d'affaires), et l'essentiel de ses marges – le moindre des paradoxes n'étant pas que ces exportations sont en quasi-totalité réalisées hors d'Europe. Les déséquilibres de notre industrie sont symbolisés par l'effondrement de la production de munitions, à l'image de celle des obus de 155 millimètres, qui reste limitée à 2 500 par mois quand les armées ukrainienne et russe en tirent respectivement 5 000 et 15 000 par jour.

Sous la houlette de la bureaucratie de la Direction générale de l'armement (DGA) et de la Commission européenne, la défense n'est pas moins étouffée par les normes que l'agriculture. Au nom du principe de précaution incompatible avec la logique des opérations militaires, les vols de drones sont drastiquement limités sur le territoire national et les essais ou tirs de munitions téléopérées (drones dits kamikazes), interdits, ce qui oblige à les réaliser en haute mer ou en Afrique. Les armées françaises ne sont ainsi ni équipées ni entraînées pour la guerre des drones, qui domine tous les conflits modernes. Les véhicules Jaguar ont été bridés pour des raisons de sécurité au cours de l'exercice Orion, ce qui a réduit considérablement leurs performances. L'acquisition de matériels aux États-Unis mobilisant des technologies uniques ou répondant à des besoins urgents est privée d'effet par le refus de la DGA de reconnaître les certifications américaines. Autre aberration, la cyberguerre est soumise aux normes civiles.

(...)

La reconstruction d'un système de défense apte à assurer la sécurité de la France face aux menaces du XXIe siècle implique un effort financier supplémentaire, qui devrait tendre vers 3 % du PIB. Dans un contexte de surendettement de l'État, il ne peut être financé que par la réorientation d'une partie des transferts sociaux, qui culminent à 34 % du PIB.

Face à la menace existentielle des empires autoritaires, le réarmement de la France devra être aussi intellectuel et moral. Le général de Gaulle n'avait pas hésité, lors de la guerre d'Algérie, à rappeler aux militaires ce principe cardinal : « Vous n'êtes pas l'armée pour l'armée. Vous êtes l'armée de la France. Vous n'existez que par elle et à son service. » Le temps nous est aujourd'hui compté pour refaire l'armée de la France au service de la défense de notre liberté.

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