Pouvoir, savoir, anticiper dans la société « de l’information » - Par Xavier Raufer


Janvier 2018 – voici cinq ans, voilà un siècle. Dans les assemblées et couloirs du Forum de Davos, les élites mondiales jubilent. Patronne du FMI, Mme Christine Lagarde se pâme, car « L’économie mondiale vit une période exquise ». Cinq ans après, juin 2023, un lugubre New York Times gémit qu' »Il semble soudain que tout ce que nous pensions de l’économie mondiale était faux » : infaillible supériorité des marchés libres… liberté du commerce… recherche de l’efficacité maximale – le credo des dirigeants mondiaux depuis la chute du Mur de Berlin suscite des doutes grandissants.


Article paru dans le numéro 50 de mars 2024 – Sahel. Le temps des transitions.

Rappel de ce que fut ce « Nouvel ordre mondial » (1990-2020) : toujours plus vite et plus fort, les biens, l’argent, l’information sillonnent le monde, librement. Certes – mais justement ? Non : un économiste de l’Université du Massachusetts-Amherst déplore que « La mondialisation financière devait permettre une ère de croissance robuste et de stabilité fiscale dans le monde développé… À la fin, l’exact contraire s’est produit ». Même, en 2023, la géopolitique dévore la mondialisation. Cet économiste conclut « Il était naïf de penser que les marchés n’avaient que l’efficacité en tête et ne pensaient jamais au pouvoir ».

Au-delà de l’économie, commerce et intérêts économiques partagés préviendraient-ils les conflits ? Non : la guerre a éclaté en Europe (Russie Ukraine) ; le Moyen-Orient subit un nouveau séisme (Gaza) ; au-delà, rien n’advient comme prévu (COVID-19). Et si la « main invisible du marché » ne protégeait plus la planète de rien ? La mondialisation trébuche sur un monde imprévisible ; l’objectif d’une économie mondiale intégrée s’évanouit et (vu plus haut) l’orthodoxie économique antérieure est pour partie délaissée.

Retour au galop du réalisme avec son inquiétant cortège : dé-globalisation… repli commercial… recentrage… remise en question… Intérêts nationaux contre-ordre néolibéral… Partage du monde en zones d’influence… barrières culturelles… L’espace numérique risque aussi la bipolarisation – jusqu’au sport planétaire, icône mondialisée absolue, jamais même inquiétée lors des deux grands conflits mondiaux.

Pour sauver la face, les tenanciers de la mondialisation heureuse jouent sur les mots ou en inventent : le « friendshoring », mondialisation entre amis, voilà l’avenir ; même, stipule Mme Janet Yellen, patronne de la Fed’, « partageant les mêmes valeurs » ! Or ce friendshoring n’est pas un retour à la fragmentation de la décennie 1990, mais le début d’une nouvelle bipolarisation du monde ; à l’horizon, certains entrevoient l’économie de guerre : énergie, main-d’œuvre, matières premières, logistique, transport maritime – que de risques en vue !

Ambassadeur (États-Unis, ret.) Chas Freeman 1: « Les nations du ‘Moyen-Orient’ ne se satisfont plus d’être définies par leurs relations avec l’Europe – géographiques ou autres. Désormais, ces nations affirment leur propre place dans le monde, mettant ainsi fin à deux siècles de domination occidentale. En tant que nations de l’Asie de l’Ouest, région historiquement liée à l’orient, au sud et au nord de l’Eurasie, elles nouent des liens avec la Chine, l’Inde, la Russie, la Turquie ; autant qu’avec l’occident et la Méditerranée. Leur évolution signe un massif changement dans l’ordre mondial et met fin à cinq siècles d’une domination globale euro-atlantique. »

On le voit : entre crises globales et instabilité géopolitique, nous voilà entrés – selon d’autres modalités qu’hier – dans un monde de ruptures, où règne l’imprévisible : or bien sûr, le brouillard de l’à-venir est plus dense encore que celui de la guerre.

Devant les chocs-crises-ruptures à l’horizon que cherchons-nous ? Telle est la première question à laquelle il faut répondre – si l’on veut un jour réduire l’incertitude.

Ce à quoi aspirait le « nouvel ordre mondial » (mais qui ne sera pas)

La maturation de la société de l’information coïncide avec la mondialisation post-Guerre froide : envisageons d’abord ce phénomène surplombant. Au début de la décennie 2000, cette mondialisation devait engendrer un « nouvel ordre mondial » : « Communauté universelle d’États libres et souverains », voué au règlement négocié des conflits et respectant des droits de l’homme. Dans ce monde – libéralisme économique et politique, plus high-tech – « La mondialisation des chaînes d’approvisionnement, les nouvelles chaînes de valeur, rend insupportable le coût d’une guerre, de par la rupture des échanges commerciaux qu’elle suppose »2. On a déjà entendu ça vers 1912-1913 (lors d’une première mondialisation) : on a vu la suite.

Mais, même si la « mondialisation heureuse » conçue vers l’an 2000 bat à présent de l’aile, en trente ans (1990-2020), elle a quand même généré de nouvelles « puissances configuratrices ». Comme leur formidable pouvoir s’exerce juste là où nous devrons prévoir ; et que ces puissances, tout sauf neutres ou bienveillantes, mobilisant leur énergie et leurs fortunes à capter l’avenir planétaire, attachons-nous d’abord à les observer, à saisir leur jeu : tout sport d’équipe se joue selon des règles. Jauger, éprouver ces conditions constitutives 3 est décisif : prévision, anticipation, décèlement précoce sont impossibles sur la base de dés pipés, de cartes biseautées, d’arbitres soudoyés, de sportifs dopés.

https://pourunenouvellerepubliquefrancaise.blogspot.com/https://grandeschroniquesdefrance.blogspot.com/https://parolesdevangiles.blogspot.com/https://raymondaronaujourdhui.blogspot.com/

#JeSoutiensNosForcesDeLOrdre par le Collectif Les Citoyens Avec La Police