Alerte à la judiciarisation de la parole politique - Par Anne-Marie Le Pourhiet, Raul Magni-Berton et Philippe d'Iribarne

Voilà pourquoi la démocratie mérite mieux que les pompiers pyromanes qui la défendent. Mathilde Panot vient d'être convoquée pour être entendue dans le cadre d'une enquête pour "apologie du terrorisme", en raison du communication officielle du groupe LFI datée du 7 octobre 2023. Par Anne-Marie Le Pourhiet, Raul Magni-Berton et Philippe d'Iribarne.

Atlantico : Mathilde Panot vient d'être convoquée pour être entendue dans le cadre d'une enquête pour "apologie du terrorisme", en raison du communication officielle du groupe La France insoumise (LFI) datée du 7 octobre 2023. Dans quelle mesure faut-il y voir, indépendamment de ce que l'on peut penser des ambiguïtés de LFI vis-à-vis du Hamas, une nouvelle illustration de la judiciarisation du débat politique en France ?

Anne-Marie Le Pourhiet :
Il faut d’abord relever que ces propos ont été tenus dans le cadre d’une communication officielle d’un groupe parlementaire. L’article 26 de la Constitution relatif à l’immunité parlementaire dispose qu' « aucun membre du parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis dans l’exercice de ses fonctions ». Cette irresponsabilité couvre tous les actes de la fonction parlementaire (interventions, votes, propositions de loi, amendements, rapports, avis ou questions). Cette institution d’inspiration libérale, adoptée suite aux abus de la Monarchie de Juillet, a pour finalité de mettre les représentants de la Nation à l’abri des pressions tant de l’exécutif et des juges que de la société civile. On peut discuter du point de savoir si cette « communication » du groupe LFI est bien un document parlementaire édité dans le cadre de l’exercice du mandat des députés, mais il me semble que l’immunité devrait être d’interprétation large car il en va de la défense de la démocratie. Il est fort étonnant que la présidente d’un groupe parlementaire soit convoquée par la police sur le seul fondement d’une plainte fantaisiste d’une organisation communautaire militante. Quelque chose ne tourne plus rond dans ce pays.

Philippe d’Iribarne : C’est un débat qui remonte plus loin que la seule affaire Mathilde Panot ne le laisse penser. On pourrait ainsi citer toutes les critiques dont la loi Gayssot a pu faire l’objet, en 1990, quand elle a été votée. C’est un texte, rappelons-le, qui visait à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe. Une partie des parlementaires s’y était opposée au motif qu’elle venait réduire le champ de la liberté d’expression et qu’il revenait à tous les raisonnables de corriger celles et ceux qui professeraient des idioties. C’est une position honorable, mais qui fait parfois débat aujourd’hui, notamment en raison de la forte judiciarisation de la parole politique à laquelle la gauche a recours ces dernières années, qui n’hésite pas non plus à pratiquer la cancel culture pour décrédibiliser ses adversaires.

Face à cette nouvelle réalité, il y a deux façons de réagir. La première consiste à estimer que face à ce type de techniques, il nous faut employer les mêmes armes pour pouvoir continuer à lutter politiquement. De l’autre côté, on estime en revanche qu’il ne faut pas rentrer dans cette logique, qu’il vaut mieux laisser les uns dire des bêtises et ensuite argumenter sereinement pour montrer qu’ils ont tort. C’est une question difficile, sur laquelle les libéraux ont parfois du mal à trancher. J’ai du mal à croire que, si jugement il y a in fine, la France Insoumise soit nécessairement relaxée. Ce serait certainement un scandale aux yeux de tout ou partie de la population. En revanche, il est évident qu’en judiciarisant le débat de la sorte, on s’expose au risque que la justice tranche et qu’elle ne tranche pas nécessairement en défaveur de LFI.

Or, si la justice ne tranche pas en défaveur de LFI et de Mathilde Panot, il lui sera alors possible de se retourner contre celles et ceux qui auraient par la suite estimé que le communiqué du parti relevait effectivement de l’apologie du terrorisme. Tant que la question n’est pas judiciarisée, personne ne peut nous empêcher d’exprimer cette opinion. Dès lors qu’on entre sur le domaine judiciaire, nous n’avons plus cette certitude. Dans le meilleur des mondes, le recours à la judiciarisation du débat politique ne devrait donc pas être nécessaire. Force est de constater, néanmoins, que le cadre juridique dans lequel nous évoluons (et je pense notamment à la loi Pleven) est détestable.

Raul Magni-Berton : Pour l’heure, Mathilde Panot a été convoquée par la police. C’est un évènement important pour ce qu’il représente, mais il faut tout de même commencer par rappeler que nous ne disposons pas encore de tous les éléments concernant cette affaire. Ceci étant précisé, on peut maintenant dire qu’elle sera entendu pour des raisons de potentielle “apologie du terrorisme”. C’est un problème, puisque le délit d’apologie du terrorisme, s’il existe évidemment, est trop lâche dans sa définition. Concrètement, cela signifie que trop de personnalités, politiques ou non d’ailleurs, sont susceptibles d’être accusées d’apologie du terrorisme et que si elles ne sont pas aussi connues que Mathilde Panot, certaines ne bénéficieront pas du bon degré de protection. Dans une situation comme celle que nous vivons, c’est un vrai problème puisque nous avons tendance à judiciariser le débat politique. Plus les normes sont vagues, plus le risque de tomber dans la judiciarisation est important : cela devient plus facile d’y avoir recours.

Aujourd’hui, c’est La France insoumise qui en fait l’objet. En général, c’est plutôt la droite qui en est la victime. Dans un cas comme dans l’autre, c’est un problème puisqu’il s’agit clairement d’un moyen de faire taire les oppositions. La gauche comme la droite ont employé les mêmes arguments quand elles ont été victimes l’une ou l’autre de ce genre d’instrumentalisation et l’ont fait à raison. C’est un vrai problème, indépendamment de ce que l’on peut penser de la ligne de la FI sur la question palestinienne et le Hamas, d’ailleurs.

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