Le Conseil d’État autorise la Ville de Paris à financer l’immigration irrégulière ! - Par Jean-Eric Schoettl
Dans un arrêt rendu le 13 mai, le Conseil d’État a jugé légale la subvention accordée par la ville de Paris à SOS Méditerranée, autorisant de fait l’utilisation de l’argent du contribuable parisien pour aider une association qui soutient l’immigration irrégulière, déplore Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel.
Jean-Éric Schoettl est l’auteur de « La Démocratie au péril des prétoires » (Gallimard, « Le Débat », 2022).
Le 6 juillet 2018, le Conseil constitutionnel tirait de la devise de la République une exigence de fraternité interdisant au législateur d’ériger en délit, dès lors qu’elle poursuit des fins désintéressées, l’aide à la circulation des étrangers en situation irrégulière (les aides désintéressées à l’hébergement, aux soins et à l’accomplissement de formalités étaient déjà dépénalisées). La décision du 6 juillet 2018 retourne ainsi le troisième élément de la devise de la République contre la souveraineté nationale. Or celle-ci fournit son intitulé au titre I de la Constitution, à l’intérieur duquel figure précisément l’article 2, qui énonce la devise de la République. Décision paradoxale car, que cela plaise ou non, la souveraineté nationale commande le contrôle des flux migratoires, son premier attribut étant la pérennité de la nation par la maîtrise de ses frontières : vient chez moi l’étranger que je choisis en vertu de mes lois et non celui qu’introduit le passeur par lucre ou que fait entrer le militant pour satisfaire sa conscience.
Cependant, si loin qu’elle aille, la décision du Conseil constitutionnel de 2018 n’interdit pas à l’État de s’opposer à l’aide, fût-elle désintéressée, à l’entrée irrégulière des étrangers sur le territoire national.
Le pas vient d’être franchi par le Conseil d’État qui, dans son arrêt du 13 mai 2024, juge légale la subvention accordée par la ville de Paris à l’association SOS Méditerranée, dont l’activité consiste à affréter des navires (l’Aquarius, puis l’Ocean Viking) afin d’aider les ressortissants de pays tiers ayant emprunté les embarcations de fortune des passeurs à rejoindre l’Union européenne.
Les faits sont les suivants : par une délibération du 11 juillet 2019, le Conseil de Paris a attribué à l’association SOS Méditerranée France une subvention de 100.000 euros pour un programme de sauvetage en mer ; un contribuable parisien (comme c’est le droit de tout contribuable local à l’encontre d’une dépense de sa collectivité) s’est pourvu contre cette délibération ; après avoir été débouté par le tribunal administratif de Paris, il a obtenu gain de cause devant la cour administrative d’appel de Paris, qui, le 3 mars 2023, a annulé la délibération du 11 juillet 2019 ; l’association SOS Méditerranée France et la ville de Paris se sont pourvues en cassation devant le Conseil d’État ; celui-ci leur donne raison.
À première vue, le Conseil d’État est moins prétorien en 2024 que le Conseil constitutionnel en 2018 puisqu’il se fonde non sur un pur principe jusque-là sans portée normative (la fraternité), mais sur une loi. Il s’agit de l’article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, aux termes duquel : « Dans le respect des engagements internationaux de la France, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale annuelle ou pluriannuelle de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire. »
Cette disposition, juge le Conseil d’État, ne subordonne l’action humanitaire internationale d’une collectivité territoriale ni à la condition que cette action réponde à un intérêt public local, ni à l’exigence qu’elle s’inscrive dans le domaine de compétences des collectivités territoriales, ni à la circonstance qu’elle implique une autorité locale étrangère.
Certes, ajoute le Conseil d’État, les collectivités territoriales, en apportant un tel soutien, doivent s’abstenir de prendre parti dans un conflit de nature politique et s’assurer que leurs subventions financent uniquement des activités humanitaires. Ce qui implique, d’une part, que « l’organisme soutenu, eu égard à son objet social, à ses actions et à ses prises de position, ne poursuive pas en réalité un but politique » et, d’autre part, que l’aide soit précisément « fléchée » vers un but humanitaire.
Le Conseil d’État estime que ces deux conditions sont remplies en l’espèce. C’est contestable au moins pour la première d’entre elles.
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L’objet de SOS Méditerranée est non seulement de secourir les migrants en détresse en haute mer pour les conduire au port le plus proche (ce qui en ferait en effet une ONG humanitaire au sens habituel du terme), mais, comme il ressort de ses prises de position réitérées et de sa pratique constante, de les déposer systématiquement sur la rive nord de la Méditerranée. Ses buts se veulent politiques, car elle donne une dimension politique à son action : dénoncer le repli sur soi égoïste des pays occidentaux et en finir avec les frontières. Son action n’est donc pas humanitaire au sens classique et peut même avoir des effets contreproductifs du point de vue humanitaire, car elle incite les migrants à entreprendre une traversée périlleuse et facilite le négoce des passeurs dont elle se fait la complice objective.
Comme l’a jugé la cour administrative d’appel de Paris en mars 2023, les responsables de l’association SOS Méditerranée France se placent résolument sur un terrain politique. Ils critiquent publiquement et déclarent vouloir contrecarrer, par leur action, les mesures prises par les États membres et l’Union européenne en matière de lutte contre l’immigration irrégulière. Or, par l’adoption de la délibération litigieuse, le Conseil de Paris a entendu prendre parti en faveur de ces prises de position (qui ont créé des tensions entre la France et l’Italie) et interférer dans des matières relevant de la politique étrangère de la France et de la compétence de l’Union européenne, prenant ainsi position dans des différends de nature politique et diplomatique.
Le Conseil d’État a vu une « erreur de droit » dans cette analyse lucide de la cour administrative d’appel de Paris. Il lui a reproché de trop se fonder sur les prises de position publiques des responsables de SOS Méditerranée et des élus du Conseil de Paris.
La subvention attribuée par la ville de Paris à SOS Méditerranée a pu aider tel ou tel migrant à gagner la France. Mais c’est une aide empoisonnée, pour la collectivité donatrice comme pour le migrant « bénéficiaire », si, comme c’est, hélas, plausible, celui-ci échoue sous une tente le long du périphérique.
«SOS Méditerranée : quand le Conseil d’État autorise la Ville de Paris à financer légalement l’immigration irrégulière» (lefigaro.fr)