"Aujourd’hui le RN est devenu un grand parti plus « interclassiste »" - Par Pierre Giacometti

Pour Pierre Giacometti, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy et cofondateur du cabinet de conseil en stratégie No Com, Jordan Bardella a réussi à glaner les voix d’électeurs âgés et d’une partie des classes aisées, à l’image de l’ancien président de la République.


LE FIGARO. - Comment analyser le score inédit du Rassemblement national aux européennes ?

Pierre GIACOMETTI. -
Ce score s’inscrit dans un triple phénomène : droitisation de l’opinion sur les sujets d’identité, d’immigration d’autorité et de sécurité, polarisation tous azimuts de la société française qui favorise les choix radicaux, à droite comme à gauche, et, au-delà de la France, un centre de gravité idéologique plus à droite dans la plupart des sociétés occidentales. La liste conduite par Jordan Bardella a profité par ailleurs de deux facteurs décisifs. D’abord, la longue crise de la droite après les trois défaites présidentielles de 2012, 2017 et 2022 : l’UMP, puis les Républicains n’ont jamais su incarner une nouvelle alternative crédible avec un projet et des idées nouvelles, une ligne stratégique claire et un chef incontesté. Nicolas Sarkozy n’a jamais été remplacé. Ensuite, l’effort de transformation de positionnement du RN lui-même : un nouveau nom en 2018, l’abandon du rejet radical de l’Europe et de l’euro, le recentrage de Marine Le Pen et l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants incarnée par son nouveau président. Les Français ont eux aussi évolué dans leur regard sur le RN.

La dernière vague du baromètre annuel sur l’image du RN, réalisé en décembre 2023, a montré, pour la première fois depuis quarante ans, qu’une majorité de Français ne voyait plus le RN comme un parti dangereux pour la démocratie. Par ailleurs, une majorité d’électeurs de droite ne considèrent plus Marine Le Pen comme la représentante de l’extrême droite, mais plutôt comme la représentante d’une droite patriote, attachée aux valeurs traditionnelles. À la question : « Diriez-vous que le RN est devenu, ces dernières années, plus extrémiste, plus modéré ou qu’il n’a pas changé ? », une nette majorité de Français le jugent plus modéré. Ce point de vue est même largement majoritaire chez les électeurs de Renaissance et parmi les deux tiers des électeurs Les Républicains. Perçu par les Français comme un parti d’extrême droite lorsque Jean-Marie Le Pen le présidait, il est aujourd’hui reconnu par une majorité massive du peuple de droite comme une formation de droite. La tendance à la normalisation est aujourd'hui partagée par le peuple de droite mais contesté par la majorité des dirigeants nationaux de la droite dite de gouvernement.

LE FIGARO. - Le Rassemblement national a déjoué les pronostics sociodémographiques habituels : les retraités, les cadres et les urbains se sont tournés vers la liste emmenée par Jordan Bardella. Peut-on établir un parallèle entre l’électorat qui s’est tourné vers Bardella aux européennes et celui de Nicolas Sarkozy en 2007 ?

En 2007, Nicolas Sarkozy recueille 31,2 % des suffrages au premier tour et fait reculer le FN à moins de 11 %. Jordan Bardella atteint le même score, 24 points devant la liste LR ! En douze ans, ce bouleversement du rapport de force ne peut être ignoré. Bien sûr, ce n’est ni le même scrutin ni les mêmes circonstances, mais, quand on compare la sociologie de ces deux votes on constate que les profils de ces deux scores se ressemblent : ils sont forts dans toutes les générations, des jeunes aux seniors en passant par les générations d’adultes actifs et dans la France du travail et des classes moyennes. Bardella confirme la force du vote RN dans les catégories populaires, plus que Nicolas Sarkozy en 2007. Le nouveau phénomène observé en 2024 concerne les électeurs âgés et une partie des classes aisées. Pour la première fois, le RN ravit la première place au macronisme parmi les seniors et les catégories supérieures, voyant son profil sociologique se rapprocher de celui du vote Sarkozy de 2007.

À lire aussi / Législatives : les huit promesses de campagne de Le Pen et Bardella

LE FIGARO. - Peut-on pour autant dire que l’électorat bourgeois-conservateur a basculé ?

En partie oui, car l’offre politique a changé. Aujourd’hui, l’offre de droite dominante, jadis incarnée par le RPR, puis l’UMP, puis Les Républicains, est aujourd’hui incarnée par le Rassemblement national. Pendant longtemps, le RN était le parti des classes populaires et non celui des Français aisés, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Aujourd’hui le RN est devenu un grand parti plus « interclassiste », présent dans les villes, les campagnes et les banlieues. Seules Paris et la petite couronne résistent. Dans ce contexte nouveau, difficile d’accepter pour les 7,7 millions d’électeurs du RN de voir leur choix qualifié d’extrême droite. C’est même devenu un ultime ingrédient de leur détermination : l’accumulation de dénominations excluantes et hostiles à l’égard du RN le renforce encore un peu plus son attractivité électorale.

LE FIGARO. - La stratégie de la peur du chaos peut-elle encore fonctionner ?

Elle a montré ses limites. Le fameux slogan socialiste « Au secours, la droite revient » n’a pas empêché la victoire de la droite lors des législatives de 1986. Plus récemment, en 2005, lors du référendum européen, une partie de la classe politique a expliqué pendant des semaines aux Français que, le « oui », c’était le vote de l’intelligence et que ceux qui s’opposaient au traité constitutionnel prenaient le risque de la fin de l’Europe.

Quand on prétend rassembler les Français et faire évoluer leur choix, les récits hostiles ne suffisent pas. Seul un récit positif peut construire une dynamique électorale. Le président Macron en avait un en 2017, il ne l’a plus aujourd’hui.

LE FIGARO. - Ces élections européennes marquent-elles une nouvelle étape dans le processus de recomposition de la vie politique française à l’œuvre depuis 2017 ?

Oui, elles ont accéléré le processus, et sa prochaine étape passe par la question de l’avenir des Républicains. Peuvent-ils survivre et à quelles conditions ? Cette recomposition commence en réalité dès 2002 avec le FN présent au second tour de la présidentielle. Dans son dernier ouvrage, La Parabole des aveugles, Aquilino Morelle, ancien conseiller de François Hollande, montre à quel point il est devenu extrêmement difficile aujourd’hui de qualifier de raciste, de xénophobe et d’extrémiste un parti qui a été choisi par 13 millions de Français au second tour de la dernière élection présidentielle. Je partage ce point de vue. Le choix des Républicains de refuser l’alliance avec le RN peut être défendu s’il s’appuie sur deux conditions. Il est devenu incompréhensible pour beaucoup d'électeurs de droite d'entendre ce nouveau « ni-ni » : « ni RN ni Macron » sans en dire plus. Après le choc du vote du 9 juin, si l’on continue à dire non au RN, soit on dit oui à Macron, soit, si l’on veut continuer à dire aussi non à Macron, il faut disposer de très solides arguments. Cela passe par l’affichage d'une ligne stratégique claire, un projet, et un chef légitime, futur candidat à l'élection présidentielle. On est loin du compte.

https://pourunenouvellerepubliquefrancaise.blogspot.com/https://grandeschroniquesdefrance.blogspot.com/https://parolesdevangiles.blogspot.com/https://raymondaronaujourdhui.blogspot.com/

#JeSoutiensNosForcesDeLOrdre par le Collectif Les Citoyens Avec La Police