Mirage 2000-5 pour l’Ukraine, est-ce vraiment une bonne idée ? - Par Vincent Lamigeon

Mirage 2000 de l'Escadron de Chasse 1/2 Cigognes en vol, en juin 2021
CYRIL COSMAO / DASSAULT AVIATION

Emmanuel Macron a annoncé le transfert en Ukraine de chasseurs Mirage 2000-5. S’ils peuvent être utile pour lutter contre les drones suicides, ces appareils ne changeront pas fondamentalement la donne sur le terrain. En revanche, leur prélèvement pourrait être très problématique pour l’armée de l’air française. « La flotte de chasseurs de l’armée de l’air est déjà à l’os, souligne le général Bruno Clermont. Avec la livraison de Mirage 2000-5 à l’Ukraine, on lance un message politique, mais on risque de mettre une institution déjà en tension en hypertension. »


Le dossier semblait avoir été enterré, malgré les multiples demandes ukrainiennes. Emmanuel Macron a finalement tranché : invité au 20h de TF1 et France 2, le chef de l’Etat a annoncé le transfert vers l’Ukraine de chasseurs Mirage 2000-5. « Demain, nous allons annoncer une nouvelle coopération et annoncer la cession de Mirage 2000-5, qui permettront à l’Ukraine de protéger son sol, son espace aérien », a indiqué le président de la République. Celui-ci n’a pas précisé le nombre d’appareils concernés, ni où ils seront prélevés, mais il a évoqué un « programme de formation des pilotes », qui devrait également être annoncé ce vendredi 7 juin.

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Quel sera l’impact de ces livraisons sur l’armée ukrainienne ? Quand les avions et les pilotes seront-ils opérationnels ? L’annonce présidentielle pose au moins autant de questions qu’elle apporte de réponses. La première interrogation est celle du nombre d’avions concernés. Vu la flotte disponible, le chiffre sera forcément limité. « L’armée de l’air et de l’espace ne dispose actuellement que de 26 Mirage 2000-5, indique le général Bruno Clermont, ancien patron de la base aérienne d’Istres et ancien conseiller du PDG de Dassault Aviation. Il ne sera probablement possible que de livrer 6 à 12 appareils, ce qui est un effort énorme pour l’armée de l’air, mais qui ne pèse pas lourd pour l’Ukraine par rapport aux 80 à 90 F-16 promis à Kiev. »
Grèce ou Qatar en renfort ? Compliqué

Pour aller au-delà de ce chiffre, un autre scénario possible serait la livraison de Mirage 2000-5 issus de la flotte d’autres pays. Le Qatar dispose encore d’une douzaine d’appareils, dont il essaie de se débarrasser. L’Indonésie voulait les acquérir, mais a renoncé au projet en février faute de moyens. Ces appareils sont donc, au moins en théorie, disponibles sur le marché. La Grèce a quant à elle 24 Mirage 2000-5, qu’elle réfléchirait à revendre pour les remplacer par des Rafale et des F-35. Mais une opération à trois, voire à quatre (France, Ukraine, Qatar, Grèce) apparaît très complexe à mener, au moins à court terme, notamment pour des raisons géopolitiques (notamment le positionnement de Doha et Athènes vis-à-vis de Moscou).

Autre grande question : le calendrier. Si les Mirage 2000-5 sont en parfait état de vol, encore faut-il avoir des équipages ukrainiens pour les piloter. « Entre la formation ab initio (4 mois) à Cazaux, et la formation opérationnelle à Nancy (12 mois), il faut presque un an et demi pour former des pilotes compétents », estime Bruno Clermont. Une arrivée sur le théâtre ukrainien semble donc difficilement envisageable avant la toute fin 2025, ou 2026.

La troisième question, c’est l’utilité opérationnelle réelle des Mirage 2000-5 pour les forces ukrainiennes. Celle-ci serait probablement limitée, pour plusieurs raisons. D’abord, l’appareil a été développé pour des missions air-air : interception, police du ciel. Il n’a, dans sa version française, aucune capacité de frappe au sol, sauf à effectuer des modifications pour intégrer des bombes guidées ou missiles air-sol type AASM ou Scalp. Ce travail d’intégration est possible, comme l’a montré la rapidité d’installation des Scalp/Storm Shadow sur les chasseurs Su-24 ukrainiens. Les Mirage 2000-5 « ont une capacité air-sol, non employée par l'armée de l'air et de l'espace, mais déjà testée et mise en œuvre par d’autres nations possédant ce type d’appareil », souligne l'armée de l'air. Mais une telle adaptation nécessite du temps et de l'argent.

Des limites vite atteintes

L’autre raison, c’est que même sur sa spécialité, le combat aérien, le Mirage 2000-5, ancien et équipé des seuls missiles Mica (80 km de portée maximale), touche vite ses limites. Doté d’un radar assez performant, il peut rendre des services dans la lutte contre les drones iraniens de type Shahed par exemple. Mais il apparaît trop limité pour frapper les avions de combat russes, qui disposent des redoutables missiles air-air longue portée R-37M (200 à 400 km de portée, selon les sources).

Certains spécialistes doutent donc de la valeur ajoutée de l’appareil français. « Le Mirage 2000-5, limité au (missile) Mica, n’a pas une portée suffisante pour être efficace contre les chasseurs russes opérant à l’abri du redoutable système anti-aérien de la Russie, estime sur Twitter Justin Bronk, chercheur au think tank britannique RUSI. Par conséquent, je pense que l’appareil ne mérite pas, à l’heure actuelle, les ressources ukrainiennes nécessaires à son déploiement opérationnel sur le théâtre d’opérations. »

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A l’inverse, l’effet des livraisons de Mirage 2000-5 sur l’armée de l’air et de l’espace française s’annonce substantiel. Ces appareils sont encore très utilisés, sur de multiples missions et théâtres. Ils participent à la posture permanente de sûreté aérienne (PPS-A), c’est-à-dire la protection de l’espace aérien français 24h sur 24 et 7 jours sur 7.

Armée de l’air à l’os

Ils mènent aussi régulièrement des missions de police du ciel dans les pays baltes, comme en Lituanie récemment (4 appareils). Quatre Mirage 2000-5 sont aussi basés à Djibouti dans le cadre de l’accord de défense entre la France et Djibouti. « La flotte de chasseurs de l’armée de l’air est déjà à l’os, souligne le général Bruno Clermont. Avec la livraison de Mirage 2000-5 à l’Ukraine, on lance un message politique, mais on risque de mettre une institution déjà en tension en hypertension. »

De fait, la loi de programmation militaire votée en 2023 a acté une baisse de la cible de chasseurs de l’armée de l’air et de l’espace à l’horizon 2030. La flotte d’avions de combat (hors Marine) ne devrait ainsi atteindre que 137 Rafale en 2030, contre 185 prévus initialement.

La cible de Mirage 2000D a également été réduite, de 55 à 48 appareils. « Les formats de nos flottes ont été revus à la baisse à l’occasion de la LPM 2024-2030, à rebours de l’exigence de massification requise par le retour de la guerre de haute intensité, dénonçait ainsi le député RN Frank Giletti, rapporteur des crédits de l’armée de l’air, dans son avis sur le projet de loi de finances 2024. Le parc d’avions de chasse de l’armée de l’air et de l’espace (Rafale et Mirage) passera ainsi, certes temporairement, sous le seuil de 185 aéronefs en 2027-2028, soit un plus bas historique. » En fonction des livraisons de Mirage 2000-5 à Kiev, le chiffre final pourrait même être plus bas.

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