Questions sur une dissolution - Par Jean-Eric Schoettl

Si le pays devient ingouvernable, c’est le garant des institutions qui en portera la responsabilité. Celui qui entend personnifier l’alternative au chaos sera perçu comme un fauteur de chaos. Son geste sera remémoré comme celui d’un Gribouille plutôt que d’un Machiavel.

Jean-Eric Schoettl, Ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel.

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1) Que prévoit la Constitution en matière de dissolution ?

L’article 12 est clair : la dissolution est une prérogative discrétionnaire du Président de la République. Avant de dissoudre, il doit seulement consulter le Premier ministre et les Présidents des deux assemblées, sans être lié par leurs avis. Le décret de dissolution est revêtu de sa seule signature. Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution. L’Assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection (donc ici le jeudi 18 juillet, les élections législatives ayant été convoquées pour les 30 juin et 7 juillet). Une session est ouverte de droit pour une durée de quinze jours, donc ici jusqu’au vendredi 2 août. Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l’année qui suit les élections.

Emmanuel Macron (s’il ne démissionne pas au lendemain du 7 juillet) devra donc vivre avec la nouvelle Assemblée nationale pendant au moins un an, même si elle lui est encore plus défavorable que l’actuelle.

2) Y a-t-il des précédents ?

Cinq dissolutions ont eu lieu sous la Vème République avant celle du 9 juin 2024. Elles tendaient soit à sortir d’une crise nationale – institutionnelle en octobre 1962, politico- sociale en mai 1968 – , soit à assurer la cohérence entre le septennat et la durée normale d’une législature (1981, 1988 et 1997). Jamais à répondre au désaveu infligé par l’électorat à un Président engagé – pour ne pas dire volontairement surexposé – dans une campagne comme celle des européennes.

Depuis le référendum constitutionnel de 2000, le quinquennat, conjugué avec des élections législatives suivant de peu le scrutin présidentiel, était censé assurer la cohérence entre scrutins présidentiel et législatifs, immunisant la République contre le risque de cohabitation. Mais 2022 a déjoué les prévisions en envoyant à l’Assemblée nationale une majorité présidentielle relative. Il en est résulté d’âpres débats parlementaires qui ont fait subir à l’Exécutif une insécurité dont il avait été préservé jusque-là.

La dissolution du 9 juin ne résorbe nullement cet accident de parcours. Au contraire, elle rompt sine die la logique calendaire du quinquennat.

3) Le délai jusqu’à la tenue des élections est-il contestable ?

Entre le 9 et le 30 juin s’écoulent 21 jours. C’est le délai le plus court jamais observé depuis 1958 entre la dissolution et le premier tour des législatives consécutives à cette dissolution. Jusqu’ici, l’écart entre le décret de dissolution et le premier tour des législatives a toujours été supérieur à 21 jours. Pour la dissolution décrétée le 10 octobre 1962 par le Général de Gaulle, il est de 39 jours ; pour celle du 30 mai 1968 (le Général encore), de 24 jours ; pour celle décidée du 22 mai 1981 (François Mitterand), de 23 jours ; pour celle du 14 mai 1988 (Mitterand encore), de 22 jours ; pour celle du 21 avril 1997 (Jacques Chirac), de 34 jours.

Pour un renouvellement intervenant à échéance, l’article L. 173 du code électoral dispose que le premier tour a lieu le septième dimanche suivant le décret de convocation. De son côté, l’article L. 157 du même code prévoit que les déclarations de candidatures doivent être déposées à la préfecture au plus tard à 18 heures le quatrième vendredi précédant le jour du premier tour du scrutin : en l’espèce, ce serait le vendredi 7 juin. La date butoir pour le dépôt des candidatures était donc déjà passée de deux jours le jour de la convocation !

Un délai si bref soulève toutes sortes de questions matérielles et organisationnelles, tant pour les formations politiques que pour le ministère de l’intérieur et pour les communes : impression et envoi du matériel électoral, inscription sur les listes électorales des personnes ayant changé depuis peu de commune de résidence, établissement des procurations, disponibilité des personnels, campagne audiovisuelle, vote des Français de l’étranger etc. La difficulté, voire l’impossibilité, de respecter certaines prescriptions du code électoral tient à ce que la campagne commence le 17 juin, soit le lendemain de la clôture de l’enregistrement des candidatures (dimanche 16 juin à 18 heures).

Mais surtout, un délai aussi bref ne permet pas aux formations politiques de se retourner. Il les contraint à la précipitation, que ce soit pour l’investiture de leurs candidats, pour leur campagne ou pour la préparation réfléchie de futures coalitions. On le voit avec le programme échevelé négocié à la va-vite par le « Front populaire » et avec la discorde sévissant dans les rangs des LR et de Reconquête. Plonger ainsi les acteurs politiques dans l’improvisation n’est pas un service à rendre à la démocratie.

Le moment est, en outre, très inopportun. Les élections et leurs suites (session parlementaire extraordinaire, mise en jeu éventuelle du gouvernement, changement possible de Premier ministre et de ministre de l’intérieur) entrent en collision avec les grandes manœuvres au niveau de l’Union européenne (formation des groupes parlementaires et de la nouvelle Commission) et … avec les Jeux olympiques. La France sera surprise par les projecteurs planétaires en pleines disputes politiques intestines, avec un gouvernement balbutiant, alors qu’elle devrait faire bonne figure dans le concert des nations en se montrant forte et unie.

Ajoutons que cette nouvelle turbulence macronienne indispose les Français (qui aspirent à un leadership adulte et rassurant), consterne les élus (y compris dans les rangs présidentiels) et inquiète les investisseurs (comme en témoigne la hausse des taux d’intérêt et la baisse des valeurs cotées).

Les élections vont se dérouler dans un climat détestable. Même l’apparent gagnant de la partie, le RN, s’y dirige en traînant les pieds. Conscient des épreuves qu’il aura à traverser en cas de succès, conscient aussi de ce que sa préparation à la gestion des affaires publiques est inachevée, il tempère son apparent enthousiasme par une très sincère « gravité »….

N’était-il pas possible, si dissolution il devait y avoir, de la décréter au début de l’année 2025 (quitte à l’annoncer avant) en laissant le gouvernement actuel gérer les JO et l’assemblée actuelle voter les textes financiers de fin d’année ?

Toutefois, si fâcheusement brefs et dérogatoires à ceux prescrits par le code électoral soient-ils, les délais fixés le 9 juin ne sont pas juridiquement contestables : ils résultent en effet de l’application de l’article 12 de la Constitution qui prévaut sur toute disposition législative contraire. Aussi le recours formé devant le Conseil constitutionnel contre le décret de convocation des élections législatives n’a-t-il guère de chances de prospérer, sauf peut-être sur des points de détail.

4) Quels sont les scénarios les plus plausibles concernant la recomposition prochaine de l’Assemblée ?

La décision de dissoudre de façon aussi précipitée, à un moment si inopportun (la nouvelle Assemblée se réunira en pleins Jeux olympiques), emporte des conséquences déstabilisantes pour le pays dans la plupart des scénarios imaginables.

L’annonce de la dissolution prend de court des partis de gouvernement affaiblis et désorganisés, ainsi que des formations « populistes » sans expérience gouvernementale. Ces formations peuvent connaître un fort succès électoral, tout en étant piégées par la soudaineté de l’évènement : soit elles sont saisies dans leur radicalité tribunicienne (LFI), soit elles postulent en effet à la gestion des affaires publiques, mais n’ont pas encore achevé leur mue (RN).

Tous doivent donc improviser en quelques jours une stratégie, un programme et une méthode. Cela donne lieu à une agitation brownienne qui tient plus de la décomposition que de la recomposition. On le voit à gauche avec cette tentative d’accord contre-nature entre frères ennemis, comme du côté de LR et de Reconquête qui explosent dans une gerbe tragi-comique d’anathèmes. La confusion présidera aux investitures et les candidatures dissidentes seront nombreuses.

Nous sommes loin du paysage politique des dissolutions précédentes, avec un petit nombre de partis très organisés, prêts à battre campagne du jour au lendemain et s’étant donné les moyens de conquérir une position majoritaire dans un cadre bipolaire marginalisant les radicaux.

Si on en croit les simulations en cours, les prochaines législatives pourraient engendrer des monstres dont aucun ne serait viable.

Une majorité RN – relative, voire absolue – n’est pas exclue compte tenu de l’effet de souffle du 9 juin, de la banalisation du vote RN, du discrédit de la classe politique, de la porosité entre électorats de droite, du caractère repoussoir d’une gauche dominée par la France insoumise et de la volonté de beaucoup d’électeurs de sanctionner le Chef de l’Etat en apportant leurs suffrages au parti que le Chef de l’Etat lui-même a désigné comme son principal adversaire. A quoi il faut ajouter l’effet amplificateur du mode de scrutin majoritaire.

Une majorité RN conduirait soit à la démission du Chef de l’Etat (suivie d’élections présidentielles), soit à une cohabitation épuisante pour le nouveau gouvernement certes, mais aussi pour le Président et surtout pour le pays.

La reconduction de la situation actuelle (mais avec une majorité présidentielle encore plus étriquée et des oppositions encore plus consistantes et hostiles) prolongerait, en l’approfondissant, le marasme dans lequel nous nous enfonçons depuis deux ans.

Le paysage politique est devenu si éclaté que même la fameuse tripartition vole en éclats : les gauches restent irréconciliables malgré un peu reluisant accord, passé par pur opportunisme électoral ; les droites sont fractionnées, y compris au sein d’une même formation, et se sont trop entre-déchirées dans le passé pour se faire brusquement confiance ; le camp présidentiel, qui a toujours été hétérogène, se désintègre en raison des désillusions et des rancœurs, des carences du bilan et du retrait programmé de son unique fédérateur. Macron est devenu le boulet de la macronie ; il disparaît des affiches des candidats Renaissance.

Avec une Assemblée divisée en trois tiers de tailles comparables (gauche, centre et RN) – et plus encore si la macronie tombe à moins du tiers – se concrétiserait l’hypothèse d’une assemblée ingouvernable et d’un gouvernement introuvable au lendemain du 7 juillet. Il faudrait confier à des technocrates de bonne volonté le soin d’expédier les affaires courantes. D’autres pays européens ont connu ce blocage. Et l’enlisement durerait au moins un an, la Constitution interdisant une nouvelle dissolution avant ce terme.

Cette perspective est-elle pleinement assumée par Emmanuel Macron ? Sa décision procède-t-elle d’un plan sophistiqué dont la rationalité échappe au profane ou d’un nouveau caprice disruptif du prince ? Emmanuel Macron veut-il provoquer une cohabitation avec le RN en spéculant sur son impréparation et en le fatiguant, comme le torero le fait avec le taureau, pendant trois années ? Veut-il camper, s’inspirant de Mitterand sous la première cohabitation, le rôle avantageux du défenseur des valeurs et de la raison contre l’illibéralisme et l’aventure ? Mais cette démonstration par l’absurde de l’impossibilité d’une gouvernance populiste se ferait sur le dos d’un pays clivé et paralysé. Il jouerait donc contre l’intérêt national.

Faut-il alors chercher l’explication de la décision de dissoudre dans les mécanismes du psychisme macronien plutôt que dans les visées stratégiques du chef de l’Etat ? Son ego narcissique lui commanderait-il, afin de ne pas subir passivement l’épreuve, de prendre des initiatives renversantes, si contre-productives qu’elles soient pour les intérêts dont il a la charge et même pour les siens ?

5) Quid de l’élargissement de la majorité présidentielle ?

La voie d’une alliance au moins implicite avec les LR (ou ce qu’il en reste) est fermée car ses chances ont été gâchées par Emmanuel Macron lui-même. On l’a vu avec la loi immigration. Dès 2022, la majeure partie de la macronie, Macron et Borne en tête, se refusait à une entente, même seulement tacite, avec LR, s’accrochant à la fable des majorités d’idées alternées, texte par texte, avec la gauche et la droite. Les LR n’étaient certes pas enthousiastes non plus à l’idée de jouer les béquilles du parti présidentiel, mais le refus d’un accord venait surtout de la majorité. Un tel accord eût en effet scellé le virage à droite du macronisme, ce qui était existentiellement insupportable à toute une partie des macroniens (particulièrement ceux venus de la gauche).

Un accord de gouvernement est moins probable encore avec une gauche à nouveau coalisée sans scrupule autour de son aile radicale. En tout cas, un « front républicain » allant de Jean-Luc Mélenchon à Edouard Philippe tient du fantasme.

6) Que dire du « Front populaire » formé par les partis anciennement membres de la NUPES ?

Pour la gauche française, il n’y a de cordon sanitaire qu’à droite.

On n’a pas assez souligné que LFI a consolidé et étoffé sa base électorale entre 2019 et 2024 et ce, en faisant de la haine d’Israël le leitmotiv de sa campagne des européennes.

Il est vrai que le « Front populaire » formé par les anciens alliés de la NUPES, auxquels pourrait se joindre le « Nouveau parti anticapitaliste » (qui avait exalté le raid du Hamas après le 7 octobre 2023), est moins un pacte programmatique qu’un accord électoral destiné à maximiser les chances d’avoir un candidat de gauche au second tour.

Les précédents montrent qu’un tel accord est payant en nombre de sièges sauvés ou gagnés par la gauche, même s’il fait fuir les voix socio-démocrates ralliées par Raphaël Glucksman le 9 juin, mais que rebute la proximité des Aymeric Caron, Rima Hassan, Alexis Corbière, Danièle Obono, Manuel Bompard, Mathilde Panot, Sébastien Delogu, Sandrine Rousseau et autres David Guiraud…

Pour la gauche républicaine, il devrait être aussi absurde qu’indécent de combattre le danger « fasciste » que représenterait le RN en faisant allégeance à un parti, la France insoumise, qui, par son comportement antiparlementaire, son mépris des usages démocratiques, sa complaisance pour l’action violente et son antisionisme confinant à l’antisémitisme, s’inscrit beaucoup plus manifestement que le RN dans une filiation fasciste.

7) De quelles marges de manœuvre une majorité RN disposerait-elle ?

Ce qu’il faut craindre de l’arrivée aux affaires du RN, c’est moins l’accomplissement d’un programme radical ou la remise en cause de l’ « Etat de droit », que la paralysie et les désordres que susciterait son accession au pouvoir.

Cette paralysie et ces désordres résulteraient principalement de l’hostilité viscérale que rencontrent les idées du RN dans une partie significative du corps social, des institutions et de l’administration. A gauche et au centre, l’exécration du RN est devenu un marqueur identitaire. Un gouvernement RN ou à forte participation RN devrait donc s’attendre à une âpre contestation de la part des institutions, des médias et des services publics. Toute une bien-pensance se déclarerait résistante.

A l’Assemblée, la gauche « renupéisée » mènerait une guérilla sans merci contre l’« extrême droite ». On peut compter sur les Insoumis pour aller plus loin encore dans l’outrance contre un gouvernement dirigé par Jordan Bardella que contre un gouvernement dirigé par Elisabeth Borne ou Gabriel Attal. Jordan Bardella s’exténuerait à se battre sur tous les fronts.

Un gouvernement Bardella serait également une providence pour tous les activistes « antifa » qui brûlent d’en découdre. Des troubles graves se produiraient dans la rue, sans parler des émeutes urbaines. Cela a commencé et ne fera qu’empirer, d’autant que les polémiques inhérentes à la cohabitation sur le rôle des forces de l’ordre (pensons au drame de la grotte d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie, en 1988) risquent fort d’aggraver la pusillanimité des pouvoirs publics face aux casseurs.

La situation politique française pourrait paniquer les marchés financiers et indisposer les prêteurs internationaux, déclenchant une crise de la dette publique telle que celle traversée par la Grèce il y a une quinzaine d’années. La hausse des taux d’intérêt aurait un effet délétère sur l’investissement, l’activité et l’emploi.


8) Le RN est-il prêt à exercer le pouvoir ?

On peut en douter, même s’il a recruté des gens de qualité et d’expérience au cours des dernières années. Il est plus facile de dénoncer le système de l’extérieur, que de mettre en œuvre des solutions effectives pour le transformer, une fois qu’on est devant les manettes.

C’est tout le problème des partis dits populistes : leurs agendas sont plus des cahiers de doléances que des projets de gouvernement. Tant qu’ils sont dans l’intransigeance oppositionnelle du « tous pourris » et du « tous complices » ou dans les promesses de rupture, les mouvements extrémistes prospèrent sur les problèmes (bien réels) qu’ils dénoncent. Mais, en dehors de quelques « n’y a qu’à » contreproductifs ou irréalisables, ils ne sont guère porteurs de solutions.

Arrivés aux affaires, les voici comme une poule devant un couteau.

C’est là le véritable danger de l’arrivée aux affaires d’une formation comme le RN (ce serait a fortiori le cas de la France insoumise) : elle peut mettre en panne la démocratie pour un cumul de raisons non directement liées à ses options idéologiques : inexpérience, isolement, accrochages avec l’« Etat profond », troubles civils.

9) Les contre-pouvoirs en place pourraient-ils empêcher le Rassemblement national de mener à bien sa politique ?

Un gouvernement de cohabitation que dirigerait Jordan Bardella aurait toute les peines du monde à gouverner.

Certes, en période de cohabitation, l’article 20 de la Constitution prend toute sa portée : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il dispose de l’administration et de la force armée … ». Il n’en reste pas moins que le Président de la République disposerait de multiples moyens de gêner l’action de son Premier ministre.

Tout projet de loi constitutionnelle se heurterait à l’opposition d’Emmanuel Macron. La voie du référendum législatif serait également fermée au Premier ministre car l’article 11 de la Constitution en confie l’initiative au Président de la République et non au chef du gouvernement. Emmanuel Macron pourrait également refuser de signer les ordonnances, comme Mitterand l’avait fait sous la première cohabitation avec Chirac pour les privatisations et le redécoupage des circonscriptions législatives. Les décrets réglementaires ou individuels dépendent également du bon vouloir du Chef de l’Etat lorsqu’ils prennent la forme de décrets présidentiels simples ou de décrets en Conseil des ministres.

Jordan Bardella ne pourrait représenter la France dans les enceintes européennes ou internationales qu’avec l’accord d’Emmanuel Macron. La France, qui n’a qu’une voix, doit s’exprimer d’une seule voix. Des conventions avaient été passées à cet égard entre les deux têtes de l’Exécutif, non sans anicroches, sous les précédentes cohabitations. Mais, entre Macron et Bardella, ce serait la quadrature du cercle (et franchement inenvisageable pour tout ce qui touche aux aspects géopolitiques, sans parler de nos relations avec la Russie). Emmanuel Macron pourrait légitimement faire valoir que c’est au Président que l’article 52 confie le soin de négocier et ratifier les traités. Un gouvernement RN ne pourrait pas non plus dénoncer contre la volonté du Président de la République un accord international, tel que l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 sur la circulation et le séjour des ressortissants algériens.

Autres pouvoirs d’empêcher du Président : maître de l’ordre du jour du Conseil des ministres, il peut retarder l’examen d’une question (texte ou nomination) par ledit Conseil ; en matière législative, il peut saisir le Conseil constitutionnel (art 61 de la Constitution) ou demander une nouvelle délibération (art 10) ; il peut aussi refuser de convoquer le Parlement en session extraordinaire. Ces armes ont été utilisées lors des trois cohabitations passées (1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002) et le seraient plus encore par un Chef d’Etat ayant diabolisé à un tel degré qu’Emmanuel Macron le parti dont serait issu son Premier ministre (si celui-ci s’appelle Jordan Bardella). Une telle cohabitation serait moins policée que les précédentes.

Il faut aussi s’attendre à la résistance de ce qu’on appelle l’ « Etat profond » : les différents acteurs administratifs intervenant le long de la chaîne décisionnelle peuvent manifester plus ou moins de zèle à appliquer les consignes gouvernementales. Ils peuvent mettre certains dossiers sur le bas de la pile plutôt que sur le haut. Si l’attitude qui est officiellement attendue d’eux les met dans l’embarras ou froisse leurs convictions, ils auront tendance à interpréter les instructions a minima ou ne feront pas preuve d’empressement pour les mettre en pratique.

10) Quels garde-fous limiteraient-ils l’action d’un gouvernement Rassemblement national ?

Nombre d’organismes peuvent faire obstacle à la politique que conduirait un gouvernement RN ou à forte participation RN.

Les lois votées par une majorité RN ou à dominante RN feraient l’objet d’un contrôle sourcilleux du Conseil constitutionnel.

La difficulté de gouverner par la voie réglementaire ou au travers des actes individuels serait non moins grande. Le juge administratif censurerait tout empiètement du décret sur la loi et enjoindrait (notamment par la voie du référé liberté) à l’autorité gouvernementale de respecter les libertés fondamentales.

Le juge judiciaire monterait la garde sur le plan pénal. Le syndicat de la magistrature vient d’en donner un signe avant-coureur en appelant d’ores et déjà à s’opposer à un gouvernement RN.

Sur le plan diplomatique, un gouvernement RN serait aisément déclaré infréquentable, sauf à se « méloniser » rapidement. Pressions de l’étranger et menaces de sanctions européennes le tiendraient en laisse, comme ce fut le cas pour la Grèce.

Enfin, la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme sanctionneraient les libertés prises avec le droit européen.

11) Emmanuel Macron a-t-il eu tort de dissoudre ?

Le Président de la République a cru « garder l’initiative » en conjurant, par un geste spectaculaire, les effets d’un scrutin dans lequel il s’est volontairement surexposé.

Toutefois, si discrétionnaire que soit la dissolution sous la Vème République du strict point de vue juridique, elle doit moralement et intellectuellement respecter l’esprit des institutions républicaines. Le Président doit assurer le bon fonctionnement des institutions, non les perturber. Or, en l’espèce, la dissolution, dans un contexte aussi inopportun que celui que nous traversons, fait entrer la France dans une zone de turbulences qui indisposera nos concitoyens et inquiète déjà les investisseurs. De plus, elle brise le rythme du calendrier électoral censé, depuis l’instauration du quinquennat, conjurer le risque de cohabitation. La cohérence entre majorités présidentielle et parlementaire risque fort d’être compromise le 7 juillet prochain. L’hypothèse d’une chambre ingouvernable et d’un gouvernement introuvable est également plausible. Est-ce ainsi qu’un Président « assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics », comme le veut l’article 5 de la Constitution ? Est-ce ainsi qu’il sert les intérêts supérieurs de la Nation ?

Loin de procéder de la fonction d’arbitrage dévolue par la Constitution à un Chef d’Etat « au-dessus des partis », cette dissolution expose le pays à une séquence chaotique, compte tenu de l’éclatement des forces politiques et du poids des partis hostiles au régime actuel.

Toute ratée qu’elle se révéla in fine, la dissolution du 21 avril 1997 était moins aventureuse car il était a priori raisonnablement « jouable », pour un Président dont la popularité était encore grande et la légitimité électorale encore fraîche (1995), de parvenir à renforcer sa majorité et d’assurer la cohérence de l’action de l’Exécutif jusqu’à la fin de son septennat.

La dissolution du 9 juin 2024, a contrario, ajoute à la confusion politique et à nos déchirements nationaux.

12) La responsabilité politique d’Emmanuel Macron serait-elle engagée en cas d’échec ?

Sur le plan strictement constitutionnel, un échec, même cuisant, ne l’obligerait pas à démissionner.

Cependant, si Emmanuel Macron perd son pari, la crise institutionnelle qu’il aura provoquée se retournera politiquement et moralement contre lui.

En se faisant acteur et scénariste des joutes électorales, il met en jeu sa responsabilité politique. Le RN l’appelait à dissoudre ou à démissionner en cas de défaite de sa liste aux européennes. Il a épousé cette logique en dissolvant. N’est-il pas suicidaire d’épouser la logique de celui qu’on prétend combattre ? Un nouveau désaveu cuisant les 30 juin et 7 juillet devrait logiquement le conduire à un geste aussi théâtral que la dissolution : la démission. Sauf à parier sur les malheurs de la France en cas de cohabitation…

En tout état de cause, si le pays devient ingouvernable, c’est le garant des institutions qui en portera la responsabilité. Celui qui entend personnifier l’alternative au chaos sera perçu comme un fauteur de chaos. Son geste sera remémoré comme celui d’un Gribouille plutôt que d’un Machiavel.

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