J'ai lu et aimé : "Entre Guerres" - De François Lecointre

Dans son dernier livre « Entre guerres » (Gallimard, 2024) François Lecointre, chef d’état-major des armées de 2017 à 2021 et grand chancelier de la Légion d’honneur,, revient sur son très riche parcours militaire marqué par plusieurs conflits, les raisons de sa vocation mais surtout ses dilemmes de soldat face au traumatisme de l’expérience de la violence et de la peur. Plus qu’un récit relatant des faits de guerre, le général nous propose une immersion dans la vie de ceux qui ont juré de défendre la patrie.

Laurent Sailly

« Le combat ne m’a pas forgé le cœur et l’âme, il m’a simplement rendu lucide. J’en sais désormais suffisamment pour ne pas me croire préservé, par ma simple qualité d’homme, du surgissement de l’animal qui gît en moi. »

Dans ce récit à la première personne, le général Lecointre évoque son parcours de jeune officier — de la naissance d’une vocation jusqu’aux terrains de guerre au Rwanda, à Sarajevo ou en Irak — et donne à voir l’expérience d’homme de guerre dans ce qu’elle a de plus concret, unique, et parfois indicible. Jamais un grand chef militaire n’avait évoqué avec autant d’acuité et de lucidité les doutes et les réalités auxquels se confrontent les soldats : le sentiment de vivre des événements qui ne peuvent être compris que d’eux, la peur paralysante qui surgit à tout moment et, surtout, l’interrogation fondamentale sur le sens de l’action. Comment garder son humanité quand, au cœur du combat, la violence gagne de plus en plus les esprits ?
On croyait la guerre réservée aux livres d’histoire, et la voici de nouveau. Cet Entre guerres l’appréhende de manière saisissante et profonde, tout comme il évoque avec pudeur la singulière fraternité unissant les hommes qui dédient leur vie au service de la France.

François Lecointre. Entre guerres - Actualités - Site Gallimard

« Entre guerres » : plongée dans les tourments de François Lecointre, ancien chef d’état-major des armées

Par Elise Vincent

Livre. C’est le récit d’un itinéraire d’entre-deux-guerres. Celui de l’ancien chef d’état-major des armées (2017-2021), le général François Lecointre, que les paradoxes de l’existence ont conduit, comme il l’avoue lui-même en préambule, à être issu d’une génération d’officiers « entrée dans la carrière à la fin d’une guerre (…) qui n’a jamais été livrée [la guerre froide] », mais qui a déposé son uniforme « au moment où la guerre revient ».

Cet Entre guerres du général François Lecointre, comme il a décidé d’intituler son livre, publié chez Gallimard, est pourtant tout sauf le récit d’années de paix. L’expérience de la violence en est même la principale raison d’être. Un traumatisme longtemps enfoui, vécu dès l’âge de 23 ans, alors qu’il était un simple casque bleu, lors d’un assaut sur un pont de Sarajevo dans le cadre de la guerre de Bosnie-Herzégovine (1992-1995).

La brutalité des tourments, qui n’ont cessé de le hanter depuis, est à la mesure du court récit qu’il y consacre. Cet ouvrage en est la première tentative d’expurgation depuis qu’il a quitté ses fonctions, six mois avant le début du conflit ukrainien. Une sorte de bref exutoire à une sourde souffrance intérieure, dont l’écriture est aussi cadenassée que littéraire, douce avec les souvenirs d’enfance et sauvage avec les réminiscences des poumons perforés d’un de ses hommes, tombé sous les balles de soldats serbes.

Entre guerres est ainsi un livre sur les dédales envahissants de la peur. Une sorte d’examen clinique rare, de la part d’un ancien chef d’état-major des armées, du lent apprentissage de la « maîtrise de l’effroi ». Au point d’avoir privilégié le récit de ses nuits blanches et de ses cauchemars lancinants – comme ce « drap froissé jusqu’à la déchirure » – sur celui de ses années aux plus hautes fonctions des armées, dans le huis clos de l’exécutif.

« Aller à la guerre dans l’indifférence générale »

Seule concession à une forme de classicisme : les raisons de sa vocation et de son engagement dans les armées. D’un côté, un père vu comme un « héros tout-puissant », commandant d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins, Le Redoutable ; de l’autre, la plaque d’un oncle, Hélie, mort en 1959 dans un fortin des Aurès en Algérie, accrochée au fond d’une grange d’une maison de famille pleine de sabres et de pistolets d’époque suspendus aux murs.

François Lecointre: «Le métier militaire enseigne la réalité et l’humilité»

Par Jean-René Van der Plaetsen

Depuis quelques années, il n’est pas rare de voir les anciens chefs d’état-major des armées, une fois dégagés du devoir de réserve, prendre la plume. Les généraux Henri Bentégeat et Pierre de Villiers ont ainsi rédigé, dans deux genres très différents, des livres qui ont connu un large succès. Le général François Lecointre a fait de même, avec un ouvrage qui s’inscrit dans une troisième veine, plus littéraire que militaire.

Un fait d’armes colle à la peau du général Lecointre, qui occulte trop souvent ce qu’il a pu réaliser par la suite: l’assaut, en 1995, du pont de Vrbanja, à Sarajevo, avec les marsouins du 3e RIMa, considéré comme le dernier combat mené baïonnette au canon par l’armée française. Avec le recul, cet épisode de la vie de Lecointre, qui était alors capitaine, apparaît comme un tournant existentiel. Cette action d’éclat se trouve en effet au cœur de son livre et lui inspire ses plus belles pages.

Expériences fondatrices

Pour autant, François Lecointre n’a pas écrit une suite à La Conquête du courage de Stephen Crane. Loin d’être une réflexion sur la bravoure ou l’héroïsme, son récit se présente comme la relation, sans affectation ni lyrisme, mais au plus près de la vérité, de deux expériences fondatrices de sa vie d’homme et de soldat: la victoire sur la peur et la découverte de la force collective que confère la fraternité d’armes. Pour aller vite, Entre guerres tient d’un ouvrage de moraliste du XVIIe siècle plus que d’un roman du style Les Centurions de Jean Lartéguy.

«Le métier militaire est singulier, dit le grand chancelier de la Légion d’honneur, car il enseigne la réalité et l’humilité.» En lisant ce beau livre plein d’humanité, on songe que le monde civil actuel gagnerait à s’inspirer des principes d’organisation de la société militaire, qui a su préserver les notions d’autorité et d’obéissance consentie, mises à mal partout ailleurs par l’individualisme, le cynisme et le scepticisme.

François Lecointre: «Le métier militaire enseigne la réalité et l’humilité» (lefigaro.fr)

Général Lecointre : «On ne fait pas la guerre pour la démocratie mais pour les intérêts de la France»

Par Eugénie Bastié

LE FIGARO. - Votre récit s’appelle Entre guerres (Gallimard). Pourquoi ce titre ?

GÉNÉRAL FRANÇOIS LECOINTRE. - Pendant les quarante ans de ma carrière, j’ai été au combat sans que la société française ait eu conscience de la guerre. Ce combat n’existait pour personne car la guerre ne devait plus jamais exister. En réalité, elle n’a jamais disparu. Entre la « guerre », entendue au sens stratégique du terme, et ce qui était qualifié d’« opérations », il y a une différence de définition, mais, sur le terrain, pour le soldat qui la vit, c’est la même chose.

C’est la même densité de combat, les mêmes blessés, les mêmes morts. Beaucoup d’Américains qui ont débarqué en 1944 n’ont jamais eu de confrontation physique avec un ennemi ; à l’inverse, de nombreux soldats français ont connu l’expérience du feu sans que leur pays soit officiellement « en guerre ». Après la guerre froide, qui était une guerre, au sens classique du terme, qui n’a jamais eu lieu, nous avons connu une période de guerre qui ne portait pas ce nom. Et aujourd’hui on entre à nouveau dans une guerre qui parle aux gens, qui leur fait peur.

LE FIGARO. - Ce déni de la guerre que vous décrivez illustre un rapport paradoxal à la violence dans nos sociétés…

Nos sociétés européennes avaient tellement renoncé à la guerre qu’elles la tenaient pour une activité forcément abjecte et monstrueuse, qui ne pouvait plus nous concerner, nous, êtres civilisés. Il y a ce passage, dans Belle du Seigneur, qui m’a toujours marqué : « Babouineries et adoration animale de la force, le respect pour la gent militaire, détentrice du pouvoir de tuer. (…) Et pourquoi noble ou chevaleresque sont-ils termes de louange ? Pris en flagrant délit, les humains ! Pour exprimer leur admiration, ils n’ont rien trouvé de mieux que ces deux qualificatifs, évocateurs de cette société féodale où la guerre, c’est-à-dire le meurtre, était le but et l’honneur suprême de la vie d’un homme. »

Nous étions là-dedans. Mais le déni de guerre dans lequel nous avons vécu, plutôt que nous conduire à un degré supérieur d’humanité, nous a conduits à une forme d’apathie et de désarmement moral. Au prétexte qu’on ne veut pas se résoudre à la subir, on prétendait éradiquer la violence du cœur de l’homme, des rapports des hommes entre eux et des rapports entre les nations. Et pour parvenir à cette utopie, on s’en remettait au règne d’un droit omnipotent qui évacuait ces notions de guerre. Cette morale était seulement européenne. Les Américains ne se sont jamais désarmés. Dans le reste du monde, le déni du recours à la force était compris comme une contrainte normative particulièrement hypocrite ou une forme de décadence, à tout le moins une faiblesse à exploiter.

LE FIGARO. - Vous-même racontez vos pulsions de violence lors du combat. Peut-on faire la guerre proprement ?

Ce dont j’ai voulu témoigner, c’est que la guerre n’est pas forcément avilissante. Elle conduit à se poser beaucoup de questions sur la peur, la fraternité, la bestialité, le sens du sacrifice, qui grandissent. On peut aller au combat sans perdre son âme. Il existe un modèle de guerre encadré par le droit international, un espace ritualisé où la guerre reste quelque chose d’atroce, puisqu’il s’agit de tuer, mais où on essaie d’éviter que l’animalité et la barbarie prennent le dessus. Je ne dis pas que c’est facile. Mais penser qu’on va annihiler la guerre conduit à nous priver de cet espace ritualisé de confrontation avec un ennemi de dignité égale à la vôtre.

Transformer l’ennemi en criminel en infraction avec le droit n’humanise pas la guerre, bien au contraire. Lorsque vous êtes au combat, vous devez trouver en vous les ressources permettant de transgresser le tabou absolu qui consiste à donner la mort tout en contrôlant l’animalité qui est en vous. Les opinions publiques sont ignorantes de la tentation de violence extrême qui gît en chacun de nous, du traumatisme que cela crée. Elles pensent en toute bonne foi qu’ayant évacué la guerre et son cortège d’horreurs, on est dans son bon droit quand on poursuit un ennemi relégué au rang de criminel.

Aussi j’ai toujours eu du mal avec l’expression « éradication du terrorisme » : cette surenchère verbale trahit le déni de la violence. Je parle dans le livre de cette conférence à la Sorbonne où je racontais cette tentation qui avait été la mienne d’exécuter un « interahamwe » (milicien rwandais), et j’ai senti dans le public un soutien à cette idée de vengeance, d’exécution sommaire. Ça m’a beaucoup frappé. On en oublie les principes qui sont au fondement de notre culture : l’habeas corpus, le respect de l’ennemi.

LE FIGARO. - Votre première bataille fut la guerre du Golfe. En quoi cette guerre interventionniste diffère-t-elle de la conception traditionnelle de la guerre ?

C’est une guerre pour restaurer le droit et non plus pour défendre son pays. Je ne crois pas que nous ayons compris à ce moment-là ce que signifiait cette nouvelle légitimation de la guerre par le rétablissement du règne du droit. Les opérations de guerre allaient désormais être considérées comme des opérations de police. Il y aura ensuite la nouveauté de l’humanitaire : ce sera la Somalie, qui, moi, m’a surpris : pourquoi intervenir ici plutôt qu’ailleurs ? L’invocation du droit international est-elle suffisante ?

LE FIGARO. - La défense de la démocratie est-elle un motif légitime pour une guerre ?

Non, ça n’a aucun sens. On ne se bat pas pour restaurer ou imposer la démocratie. Se battre, c’est tuer. La guerre, c’est, selon la définition de Gaston Bouthoul, une « lutte armée et sanglante entre groupes organisés ». On s’y résout pour des raisons très supérieures. Je pense qu’on ne peut tuer que pour la France, pour la défense et la promotion des intérêts de la France. Je ne vois pas de raisons internationales de cette nature qui vaillent. L’intervention humanitaire, c’est encore autre chose : vous êtes engagé en tant que force d’interposition, ce qui vous contraint à n’agir qu’en situation de légitime défense, comme des policiers. Ces opérations humanitaires dénaturaient ce qu’était la guerre.

LE FIGARO. - Dans votre carrière, quand avez-vous vraiment senti que vous vous battiez pour la France ?

À Sarajevo, je me suis battu pour restaurer l’honneur de la France, et des soldats français qui avaient été humiliés. En Afrique, au Sahel, j’avais le sentiment de combattre pour mon pays. Car s’il y a une chose dont je suis certain, c’est que l’avenir de l’Europe et de la France se joue en Afrique. Le grand enjeu migratoire qui nous attend dans le siècle qui vient ne peut être contrôlé que si on parvient à assurer la stabilité de l’Afrique et la reconstruction des États.

On ne pourra jamais établir un mur. Je suis étonné d’ailleurs de voir qu’alors qu’on parle des problèmes soulevés par l’immigration sans arrêt dans le débat public, personne ou presque ne pose la question de la sécurité intérieure des pays africains, qui seule peut permettre de restaurer la présence des administrations et de l’État sur leurs territoires, de garantir leur développement et ainsi de ralentir les flux migratoires. Je suis désolé de voir qu’on abandonne avec beaucoup de facilité et peut-être un lâche soulagement les pays africains avec lesquels on avait essayé de restaurer une gouvernance sans laquelle toute stabilité est illusoire..

Je suis persuadé qu’on devra y revenir. Au moment où nous reprenons conscience que la guerre peut être, au sens clausewitzien, un élément inévitable de la politique internationale, on se désengage de toutes les opérations dans lesquelles nous étions engagés. Je trouve dramatique ce qui se passe au Mali avec le retrait des contingents de l’ONU, qui laisse le terrain aux seigneurs de la guerre. On faisait la guerre sans le dire. On parle de la guerre sans la faire.

LE FIGARO. - Vous posez la question du patriotisme. Existe-t-il encore ?

Lorsqu’on regarde les sondages sur les priorités des Européens pour les élections européennes, on voit que le sujet qui arrive en tête, avant l’immigration et le climat, c’est le pouvoir d’achat. Donc, oui, c’est compliqué de parler d’effort de défense, de patriotisme. Qui est prêt à se serrer la ceinture ? Notre société n’est pas prête. Il faut la préparer.

Je pense qu’on peut provoquer un réveil. C’est le sens de ce qu’a dit le président de la République sur l’engagement de soldats en Ukraine : existe-t-il des causes assez fortes pour que nous engagions des soldats français ? Il faut redonner le sentiment d’un destin commun.

LE FIGARO. - Est-il plus difficile de mener une guerre en démocratie, avec une opinion publique qui donne son avis sur l’action des militaires ?

Oui. C’est à double tranchant. C’est salutaire dans le sens où combattre sous le regard scrutateur des journalistes qui alimentent l’opinion publique vous contraint à une forme d’exemplarité. Comme le regard des camarades, qui vous pousse à être un modèle au moment de l’assaut. Mais ça peut être aussi dangereux car l’opinion publique est versatile, sentimentale et moralisatrice. Elle peut aussi pousser à ne pas respecter les lois de la guerre. L’armée ne peut pas être l’instrument de vengeance de la société face au méchant désigné.

LE FIGARO. - Vous racontez comment votre lignée vous a « assigné » à la destinée militaire. Le métier de soldat est-il une vocation ?

Dans mon cas personnel, il y a eu effectivement une mythification de cette lignée familiale. J’ai grandi dans le culte de mon oncle Hélie, mort à 23 ans en Algérie. Mais j’ai pu constater que beaucoup de mes soldats et de mes camarades officiers n’avaient aucune ligne familiale militaire.

Le métier de soldat, comme celui de prêtre, exige une vocation. Qu’est-ce qui est une vocation ? C’est ce qui est difficile à faire et nécessite un engagement hors du commun. Cette volonté de pousser ses propres limites vient de l’incertitude qu’on a de soi-même, un doute qui vous pousse à aller chercher quelque chose de difficile et d’exigeant. Ce doute est universellement partagé, quelles que soient les origines sociales ou familiales.

LE FIGARO. - Pensez-vous que l’héroïsme est une faculté individuelle ou bien qu’il s’apprend ?

Il y a des choses qui s’apprennent. Le général de Brack parlait de la peur qui vous cloue au sol, cet instinct vital qui vous donne envie de détaler. Il indique comment surmonter cet instinct : il faut accoutumer progressivement le soldat au choc que constitue le feu. Le jour J, l’élément qui compte en plus de cet apprentissage, c’est le collectif. C’est le regard des camarades qui pousse à l’héroïsme et à la maîtrise de l’animalité. C’est le principe de l’honneur : vous ne pouvez pas déroger, pour ne pas perdre l’estime des autres. Il est bien plus facile d’être héroïque collectivement que seul. Il y a des cas hors norme, comme le courage sacrificiel d’un Arnaud Beltrame.

LE FIGARO. - Que pensez-vous aujourd’hui de l’aplanissement des différences entre héros et victimes dans notre société ?

Il existe une médaille de reconnaissance des victimes du terrorisme, précisément parce que le général Georgelin, alors grand chancelier de la Légion d’honneur, s’est battu pour qu’on ne donne pas la Légion d’honneur aux victimes, ce qui a été envisagé par le gouvernement Hollande. Il faut distinguer les héros des victimes. Pour autant, j’ai observé que reconnaître la souffrance permet de se soigner.

Je parle dans mon livre d’un de mes hommes qui s’est donné la mort. Je suis passé complètement à côté de sa souffrance. Je n’ai pas fait assez attention au syndrome post-traumatique. Je pensais qu’à force de se gratter on se créait des plaies. Le Rwanda a beaucoup marqué mes hommes. J’ai vu des soldats en état de détresse profonde. Je m’en suis beaucoup voulu de ne pas en avoir tenu compte à temps.

LE FIGARO. - Face à l’ensauvagement de la société, le retour du service militaire pourrait-il avoir une fonction civilisatrice ?

La difficulté, c’est que le service militaire avait une finalité : il fallait des armées en masse pour protéger la France. Il a eu une vertu sociale évidente, mais aussi parce que les armées se sont investies dans cette mission, notamment l’armée de terre, parce que, il faut bien le dire, l’ennui régnait pendant la guerre froide. Elle palliait l’absence d’engagement militaire par la dimension éducative du métier. Le Rôle social de l’officier, de Lyautey, était enseigné dans toutes les écoles. Les militaires se sentaient investis d’une mission d’éducateurs.


On en faisait presque une priorité dans notre engagement. La discipline pour le feu est aisément comprise par des jeunes gens qui apprennent la rigueur militaire. Ce qu’il faudrait, c’est que l’Éducation nationale sache s’inspirer d’un certain nombre de procédés que nous utilisions pour éduquer la jeunesse. Par exemple, le défilé en ordre serré. Faire défiler des gens, c’est les faire marcher en carrés constitués pour occuper le moins d’espace possible sur le champ de bataille.

Ça a une vertu éducative extraordinaire : c’est la seule activité où tout le monde est obligé de s’aligner sur le moins bon. On crée de facto une solidarité. Il n’est pas question de faire défiler toutes les écoles de France, mais quels procédés pédagogiques peut-on imaginer pour faire naître de façon implicite le sentiment de solidarité entre jeunes gens ? Les gens ont une vision caricaturale de l’armée. Ce n’est pas l’ordre pour l’ordre, mais la forme qui tient le fond. Comme la visière de son shako oblige le saint-cyrien à lever la tête pour voir et donc à se tenir droit.

Général François Lecointre au Figaro: «On ne fait pas la guerre pour la démocratie mais pour les intérêts de la France» (lefigaro.fr)

François Lecointre : « Aujourd’hui, je suis convaincu que toute peur peut être dépassée par la puissance du collectif »


Plus qu’un récit relatant des faits de guerre, le général nous propose une immersion dans la vie de ceux qui ont juré de défendre la patrie.

Différents théâtres d’opérations et de nouvelles guerres

La fin du XXe siècle a été marquée par diverses guerres désormais entrées dans les livres d’histoire auxquelles celui qui a été chef d’état-major des armées entre 2017 et 2021 a participé : la Première guerre du Golfe, la guerre civile somalienne, le conflit entre les Hutu et les Tutsi au Rwanda et la guerre de Bosnie-Herzégovine.

Dans cet ouvrage, il présente le point de vue et le vécu d’un soldat sur ces conflits en ne manquant pas de rappeler l’extrême dureté du terrain, que ce soit de se retrouver « au contact immédiat » de l’ennemi et d’anticiper une éventuelle attaque chimique en Irak ou encore de perdre un camarade officier dans d’atroces circonstances à Sarajevo. « Le récit que j’ai voulu faire […] est un témoignage d’une confrontation à la réalité de la violence que pendant ces quarante années, nous avons vécu dans l’indifférence et l’ignorance délibérée de la plupart de nos concitoyens », écrit-il.

À l’aune de ces conflits, François Lecointre se penche également sur la problématique du sens de la guerre et du changement de nature de cette dernière à partir des années 1990. Pour les soldats des armées occidentales, ces nouvelles guerres n’avaient rien à voir avec ce qu’avaient connu leurs prédécesseurs. Il fallait par exemple en Irak, combattre « au nom d’une légalité internationale et non pour défendre son pays ». Et à ce changement de configuration, s’ajoutent de nouveaux concepts militaires comme celui « d’intervention humanitaire » développé à l’occasion de la guerre civile somalienne ou de « soldats de la paix » lors de la guerre de Bosnie-Herzégovine dont le général Lecointre critique les contradictions. Il estime qu’un soldat « combat et qu’au risque de sa vie, il met en œuvre la force, de manière délibérée, jusqu’à donner la mort ».

Les motivations de l’engagement

Qu’est-ce qui encourage un individu à s’engager dans l’armée ? L’ex-chef du cabinet militaire de Bernard Cazeneuve et d’Édouard Philippe répond aussi à cette question dans son dernier ouvrage et y consacre même un chapitre intitulé « Vocation ». Pour lui, sa famille a joué un rôle considérable dans sa carrière militaire et plus précisément son père et son oncle. L’un est commandant de sous-marin et l’autre a combattu lors de la guerre d’Algérie, conflit au cours duquel il trouva la mort. Deux figures inspirantes qui ont forgé les débuts de sa carrière militaire et qui continueront à le guider.

Mais au-delà des références familiales, les motivations pour devenir soldat trouvent également leur source dans la volonté de se dépasser soi-même, de s’imposer des épreuves permettant de s’améliorer. C’est ce que constate l’ancien chef d’état-major des armées dans les premières pages de son livre lorsqu’il évoque des soldats qu’il commande qui « étaient là pour s’éprouver ». Des soldats auxquels il va très vite s’identifier. « C’est à leur contact, en me découvrant si semblable à eux, mes soldats, que je commençais à saisir ce qu’était notre vocation », raconte-t-il.

Les épreuves que doit traverser le soldat

Être militaire n’est pas un métier comme les autres. Il s’agit de savoir composer avec des questionnements ou des sentiments auxquels nulle autre profession n’est confrontée, notamment la peur de mourir. François Lecointre aborde longuement ce sujet dans Entre guerres qu’il décrit comme une « douleur lancinante avec laquelle on doit s’habituer à vivre ».

Être soldat, c’est aussi parfois assister à des scènes d’une violence insoutenable et perdre le contrôle de soi-même. Le général raconte qu’au Rwanda, théâtre de nombreuses horreurs, il a dû se retenir de ne pas exécuter un individu qui avait été accusé par la population d’avoir massacré des enfants.

À la fin de son livre, il revient sur la mort de « son lieutenant » lors de la mission de reprise du poste de Vrbanja pendant le conflit en ex-Yougoslavie, et écrit qu’il sentit monter en lui « une bulle de haine comme revenue d’un fond d’un étang de vase » et qu’il voulait « tuer ».

En décrivant ces moments tragiques, celui qui est grand chancelier de la Légion d’honneur depuis février 2023 rappelle que s’engager dans l’armée peut donc constituer une série d’événements mettant à l’épreuve l’être humain physiquement et psychologiquement.

Cependant, pour l’ancien chef d’état-major des armées, la peur et le fait d’être animé par la rage ou la vengeance ne sont pas une fatalité et il décrit notamment le « collectif » comme un moyen de lutter contre ces sentiments. « Je ne sais pas comment nous sommes revenus à la raison. Probablement parce que nous étions ensemble », se remémore François Lecointre avant d’ajouter une dizaine de pages plus tard qu’ « aujourd’hui, je suis convaincu que toute peur peut être dépassée par la puissance du collectif ».

Le dernier ouvrage du général Lecointre nous transporte des décennies en arrière et nous fait vivre des conflits avec ce qu’il y a de plus intime chez un soldat, à savoir ses plus grandes peurs. Un livre nous invitant, à nous, civils, à faire preuve de plus de résilience quand on sait les conditions difficiles dans lesquelles évoluent nos soldats.


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