La guerre en Europe occcidentale est beaucoup plus proche qu’on ne le croit… Sommes-nous prêts ? - Par François Chauvancy et Jérôme Pellistrandi


Le Royaume-Uni doit se préparer pour une guerre en 2027, selon le général Roland Walker, chef de l’armée britannique, et considère que son pays n'est pas prêt. Et nous ?

Le général (2S) François Chauvancy est consultant en géopolitique. Il est aussi l'auteur de « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d’influence, affrontement économique ».
Le Général Jérôme Pellistrandi est Rédacteur en chef de la Revue Défense nationale.


Atlantico : Le chef des armées britanniques, informe The Economist, s'inquiète de la possibilité d'une nouvelle guerre sur le sol européen. Il parle d'un conflit survenant à l'aune d'un réarmement russe, de tensions entre la Chine et Taïwan ainsi que des velléités nucléaires iraniennes. Il craint son avènement pour 2027-2028. Que sait-on du risque exact ? Faut-il craindre le retour de conflits militarisés sur notre sol ?

Jérôme Pellistrandi :
La guerre est déjà une réalité en Europe avec la situation en Ukraine, mais également avec l'extrême tension que la Russie fait peser sur les États limitrophes, notamment la Moldavie et la Roumanie. Dernièrement, des drones russes auraient survolé la Pologne, les États baltes. La guerre est donc déjà une réalité en Europe. La problématique est que, comme géographiquement la France et le Royaume-Uni sont à l'Ouest de l’Europe, la guerre paraît loin mais c'est bel et bien une réalité. Je partage l'analyse du chef d'Etat-major britannique. La Russie est dans une rupture quasi complète avec l'Occident.

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Tant que Poutine sera au pouvoir, il est difficile de voir une sortie de crise. Nous ne sommes pas prêts de voir Vladimir Poutine débarquer à l'ouverture des JO d'hiver en 2030 dans les Alpes. La Russie est dans une rupture profonde, durable, quasi civilisationnelle. La nomenklatura russe, pour emprunter un vocabulaire du temps de l'Union soviétique, n'a plus accès à Londres ou aux boutiques de luxe à Paris. Elle peut se replier en revanche sur le golfe arabo-persique. Le train de vie de la nomenklatura russe a évolué. Au lieu d'aller à Cannes, ils vont à Dubaï.

L’Europe est dans un état de guerre. La Russie se réarme massivement et se transforme en économie de guerre. Une ambiance de guerre domine. La Russie estime qu’elle est assiégée et qu'elle est victime des “agissements” de l'OTAN et des États-Unis.

François Chauvancy : Le conflit militarisé se limite à l'Ukraine. Si la Russie bat l'Ukraine, elle continuera sa progression. Le général Roly Walker, devenu chef d’état-major général, adopte le même discours que tous ses prédécesseurs ou acolytes européens. Depuis six mois, les chefs d'État-Major, à l'OTAN, dans les différentes armées, tous ont dit que la menace d'une guerre pouvait s'étendre. Il s’est confié sur cette situation dans un contexte où le nouveau gouvernement britannique aux affaires est en train d'étudier le budget de la défense.

L'alarme est déjà donnée, pas forcément vis-à-vis d'un conflit en Europe ou ailleurs, mais d'abord parce que le budget de la défense britannique a été fortement amoindri par le gouvernement précédent et qui a été remis en état plus ou moins depuis deux ans par le gouvernement intérimaire. Il y a actuellement une inquiétude que le gouvernement travailliste reprenne le flambeau de réduire le budget de la défense qui correspond quand même à 58 milliards d'euros, ce qui est quand même assez important, la France étant à 47 milliards et pour une armée, donc 2 % du PIB alors que c'est une armée qui fait moins de 150 000 hommes, qui a uniquement une armée, une force terrestre de 80 000.

Il est surtout question de la montée en puissance des forces terrestres britanniques qui ont été fortement amoindries après dix ans de conflit en Irak et en Afghanistan. Bien sûr qu'il faut reconstruire. Avec 80 000 hommes, cela veut dire qu’ils sont capables de projeter 20 000 à 25 000 hommes d'un seul coup.

En termes de géopolitique, le conflit en Europe rentre dans la rhétorique habituelle. La Russie va continuer si elle gagne à essayer de grignoter les États voisins. Il faut prendre en compte la menace des conflits qui peuvent apparaître ailleurs, notamment avec la menace de la Chine.

Il y a la nécessité de bâtir une force multinationale puisque, comme nous, le Royaume-Uni n'a pas les moyens de faire la guerre tout seul. Cela veut dire qu’il est nécessaire de travailler avec d’autres partenaires et avec la nécessité de peser sur la décision politique ou militaire.

Lorsque vous êtes capables de fournir 25 000 hommes bien équipés avec les munitions et entraînés, il est possible de donner une direction à une coalition pour aller dans telle ou telle direction. La France est sur la même longueur d’onde.

Il est aussi important de développer et de renforcer les forces aéronavales. Le Royaume-Uni n'a pas plus de sous-marins que nous. Leurs deux porte-aéronefs ont eu des difficultés. Ils n'ont pas plus de navires de premier rang par rapport à la France.

Nous sommes dans une situation similaire avec les Britanniques. La France et le Royaume-Uni sont deux puissances militaires moyennes mais qui doivent composer avec d'autres nations.

Dans un contexte international, deux catégories de conflits peuvent survenir. Le conflit sera forcément terrestre en Europe. L’autre possibilité est un conflit aéronaval en mer de Chine.

La Russie va-t-elle continuer son avancée si elle prend l'Ukraine ?

François Chauvancy : Je n'y crois pas. Dans un tel scénario et avant de continuer sa progression, la Russie devra obligatoirement entrer dans la zone de l'OTAN, qui dispose de presque 2 millions d'hommes et des budgets de la Défense qui, cumulés, sont largement au-dessus de la Russie.

Avec le soutien des Etats-Unis envers les pays de l’OTAN, il est difficile de voir comment les Russes pourraient aller plus loin.

Cela ressemble en réalité à de la propagande qui arrange tout le monde pour dire qu'il faut résister aux Russes et ne pas laisser tomber l'Ukraine. Mais la réalité militaire, diplomatique et économique fait que l’on ne voit pas comment la Russie pourrait continuer alors que déjà en Ukraine les progrès pour avancer correspondent à un kilomètres par jour quand tout va bien et au prix d'un certain nombre de morts.

Ce scénario n’est donc pas réaliste. Il est toujours possible de l'imaginer mais il faut être réaliste. La réalité du combat, de la guerre, ce n'est pas cela aujourd'hui.

Il n'y aura pas, à mon avis, de progression de la Russie militairement parlant. Cela ne veut pas dire qu’il n'y ait pas d'actions hybrides pour déstabiliser les Etats de l'OTAN, notamment les États baltes, la Pologne, la Roumanie. Mais cela ne ressemble pas à la guerre, ce n'est pas la guerre militaire. Cela correspond à une autre manière de faire la guerre. Cela fait partie du jeu d'influence de tous les Etats. Il est important d’être en capacité de lutter contre des actions de subversion, notamment les tentatives de faire tomber un Etat de l'intérieur par les élections, par le soutien aux partis politiques. Tout cela est lié, notamment en France, à l'ingérence étrangère, au fonctionnement de nos institutions et sur la perception des autres États par l'intermédiaire des diasporas, des relais d'influence et d'opinion.

Quelle serait la nature exacte du conflit dont-il est ici question ? Qui seraient les ennemis, qui seraient les alliés, contre qui faudrait-il théoriquement se battre et comment ?

Jérôme Pellistrandi : La situation sera celle d’une évolution de ce que l'Ukraine traverse actuellement. La Russie dispose d'un cercle d'alliés, de pays subordonnés, notamment la Biélorussie. La Russie pour le moment n'est pas en mesure d'enclencher une opération massive contre les États baltes ou la Roumanie puisqu'ils n’arrivent déjà pas à régler le problème de l'Ukraine. Mais ils vont utiliser une stratégie hybride de déstabilisation, notamment dirigée vers l'Europe. La France et l'Afrique sont des cibles potentielles. Cela ne coûte pas cher et cela rapporte gros. Tout l'intérêt de ces stratégies hybrides est la désinformation totale, la déstabilisation politique des pays européens. La situation politique actuelle en France le démontre. Cela rend service à Vladimir Poutine avec des partis extrêmes dont il est possible de s'interroger sur leur fiabilité patriotique et européenne, derrière leur discours.

Une stratégie hybride est actuellement déployée par la Russie. La difficulté est de savoir s’il y aura un passage à l'acte de la part de Moscou ou non ? Une stratégie de la tension permanente est à l’oeuvre. Elle monte par paliers, d'où l'inquiétude légitime du chef d'État-Major britannique.

Cela est aussi valable pour nous, pour la France. Il est absolument indispensable que la loi de programmation militaire soit respectée et qu'elle soit revue à la hausse. Aujourd'hui, cette question de souveraineté et d’indépendance ne peut se concevoir que dans un cadre européen.

Il n’est pas possible d’avoir une France isolationniste. Les Américains peuvent se le permettre sauf qu'il y a la relation avec la Chine. Mais une France qui voudrait s'isoler en prétendant se référer à l'héritage du général de Gaulle est un mensonge absolu. Notre sécurité passe par cette dimension européenne, à condition effectivement que nous soyons nous même crédibles dans notre défense.

François Chauvancy : Le général Walker est un expert des forces spéciales et il a servi dans les forces spéciales depuis les années 90. Il a été impliqué dans de nombreux conflits. Il a failli se faire éliminer en Afghanistan. Il a une conception très pragmatique des conflits. En tant que chef d'État-Major des Armées, il se rend compte aujourd’hui que son armée de Terre n'est pas en mesure de remplir la mission qu'il souhaiterait lui donner, les opérations terrestres. Le Royaume-Uni souhaite donc développer le budget consacré aux armées et en particulier continuer la remise en état d'une armée de terre fortement démobilisée, en panne de recrutement et d’équipements en nombre suffisant et de bon niveau.

Si l'armée ukrainienne s'effondre ou perd trop de terrain, il y aura un moment où se posera la question du soutien militaire envers Kiev. Tel était le message d’Emmanuel Macron par rapport au déploiement de forces terrestres françaises ou européennes. Faut-il abandonner l’armée ukrainienne ou faut-il s’impliquer davantage en ne les abandonnant pas ? Telle est la question posée par Emmanuel Macron et de manière indirecte par le général Walker.

Soutenir l’Ukraine, ce n'est pas uniquement envoyer des munitions, des missiles, des chars, des formateurs. Soutenir réellement l’Ukraine consiste à envoyer une unité constituée qui aura un effet militaire sur le terrain. Le général britannique considère qu’il n'est pas capable de fournir cet effet militaire avec une unité conventionnelle, une division de plus de 20 000 hommes. Il y a deux divisions en Grande-Bretagne : une lourde et une légère. La première dispose de chars de bataille et l'autre a des matériaux plus légers. Mais le Royaume-Uni n’a pas plus de moyens que la France en termes de quantités.

L'outil militaire a une efficacité quand il est employé d'une manière collective et cohérente. La force qui est déployée avec tous ses moyens doit être capable d'avoir un effet sur l'ennemi et donc d'emporter une victoire au moins tactique au niveau local. Une division blindée doit être en capacité de mener à bien la mission en soutenant l'armée ukrainienne et en étant capable de participer à l'opposition à l'agression russe.

Aujourd'hui, l'armée britannique n'est pas capable de faire cela. Le général Walker donne un délai de trois ans pour reconstruire l'armée de terre britannique.

Les Allemands ont aussi indiqué qu’en 2027 - 2028, l'armée russe sera trop forte et elle aura complètement récupéré de la destruction de ses équipements ou de la perte de ses hommes. Son économie de guerre sera en plein fonctionnement et cette Russie pourrait alors devenir une réelle menace dans le cadre d’un conflit plus global.

Les Européens sont en train de répondre indirectement à une menace potentielle qui pourrait s'avérer réelle en 2027 et 2028. Si l’on ne souhaite pas que la Russie se sente concernée par un appétit démesuré pour aller plus loin que ce qu'elle aurait acquis, il faut être capable de lui opposer une force aéroterrestre suffisamment puissante et crédible qui puisse lui répondre si elle va trop loin.

Le général Walker cherche, comme les Français, comme les Allemands, à adresser un message aux Russes. L’objectif est de se mettre en ordre de bataille d’ici à trois ans, pour être en mesure de s’opposer à la Russie militairement par des moyens modernes et en travaillant en coalition.

Le Royaume-Uni, affirme encore une fois le chef de ses armées, est loin d'être prêt. Si nos voisins s'inquiètent à ce point de leur capacité à résister à un conflit militarisé compte tenu de leurs moyens et de leur nombre d'hommes, que dire du risque qui pèse sur la France ? L'Hexagone est-il davantage en mesure de se défendre ?

Jérôme Pellistrandi : Un point commun entre les deux pays est que ce sont tous les deux des puissances nucléaires avec une capacité dissuasive réelle. Pour les Britanniques, cela repose sur les quatre sous-marins de type Vanguard. La France dispose des forces aériennes stratégiques et de la force océanique stratégique.

La puissance militaire britannique est d'abord une puissance navale. La réduction de la taille de la flotte chez les Britanniques est une réalité. Il y a également le problème de la Royal Air Force avec des effectifs qui ont un peu diminué. L’armée a toujours été le “parent pauvre” puisqu'il s'agit d'un corps expéditionnaire et qu’il n'y a pas de menace sur le sol britannique. L’armée au Royaume-Uni a un rôle de dissuasion. La composante terrestre britannique est aujourd'hui un point faible mais comme elle l'a toujours été en dehors des périodes de guerre.

La France est-elle prête ou pas face à ce défi ?

François Chauvancy : La France n'est pas prête. L’armée de terre, en force de combat, est composée de 77 000 hommes et des dizaines de milliers sont prêtés aux autres armées dans des spécialités comme le renseignement ou l'informatique. Notre pays dispose de 200 chars de combat, dont 120 à 140 sont vraiment en usage militaire. La France n’a pas beaucoup de blindés lourds mais dispose de nombreux blindés légers. Depuis sept ans, le matériel arrive. Mais ce n'est pas du matériel qui était prévu pour une guerre de haute intensité mais pour une guerre prévue dans le Sahel.

Pour être adapté à la réalité en Ukraine, il faut des chars et des blindés furtifs. Les équipements dont la France dispose n’ont pas été envisagés pour de la guerre en haute intensité. Tout a été pensé pour de la guerre en basse intensité dans le Sahel. En termes d'équipement, la France n'est pas à la hauteur de la haute intensité. Il faut remanier complètement la doctrine militaire avec des équipements qui vont avec. La robotisation du champ de bataille se fera aussi un jour ou l'autre à travers les drones de combat.

La réflexion doit être menée pas uniquement pour les équipements mais aussi sur le plan de la doctrine, de la prise en charge du combat d’aujourd'hui, qui redevient un combat comme on l'a connu pendant la Deuxième Guerre mondiale et pour lequel les armées, y compris françaises, ne se sont pas préparées et à cause de difficultés budgétaires.

La guerre à distance via des missiles et des drones est importante. Nous avons négligé nos capacités de défense sol-air. Les autres domaines importants sont la logistique, le cyber et le génie également. Mettre un pont à l'eau temporaire pour faire passer des chars est une manœuvre logistique énorme. Je l’ai pratiqué dans mon unité de combat. Cela est extrêmement compliqué et encore faut-il avoir le matériel pour le faire.

L’Europe redécouvre des choses élémentaires qui avaient été complètement oubliées depuis les années 90. La promesse était qu’il n’y aurait plus jamais de guerre en Europe. Or avec la guerre en Ukraine, la guerre en Europe réapparaît et les puissances européennes découvrent que plus personne n'a de matériel et tout le monde se retrouve limité dans le conflit.

L'armée française est comme les autres armées aujourd'hui en Europe. Elle n'est pas capable d'assurer une guerre longue, avec des moyens déterminant pour remporter une victoire. Cette réalité impose une coalition obligatoire avec les autres nations, à condition que l'on sache travailler avec le seul organe qui permette de le faire, l'OTAN, et qui standardise tous les styles de commandement et toutes les procédures. En Europe, plus personne n'est pas capable de faire la guerre aujourd'hui dans la durée, avec des moyens efficaces pour gagner.

Quelle politique aurait-il fallu mettre en oeuvre pour ne pas souffrir un pareil danger aujourd'hui ou pour pouvoir y répondre si celui-ci s'avérait inévitable ?

Jérôme Pellistrandi : Des erreurs stratégiques ont été commises, notamment en 2008. La réduction drastique du format des armées se paye. De telles mesures de réduction des effectifs ont un impact qui ne se mesure pas en mois mais en décennies. Le format de notre marine est totalement sous-dimensionné par rapport aux besoins d'aujourd'hui. Avant 2008, il y avait encore une vingtaine de frégates, de navires de premier rang. Actuellement, il n’y en a plus que quinze.

Il est important de rebâtir une puissance. Reconstruire une marine prend au minimum une décennie. La France paye encore les choix qui ont été faits en 2008. Il faut souligner que depuis 2017 le président Macron a permis de mener des efforts conséquents en matière de défense. Si le budget de la défense était amputé de quelques milliards sous le prétexte d'économies budgétaires, cela serait absolument catastrophique. Cela ferait courir un risque majeur qui se paierait cash dans les années à venir.

Le chef de l’armée britannique pense que la guerre en Europe est beaucoup plus proche qu’on ne le croit… et que le Royaume-Uni n'y est pas prêt. Et nous ? | Atlantico.fr
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