Répartition des postes à l’Assemblée : une démocratie solide peut-elle se permettre d’éternels perdants ? -


Les postes les plus stratégiques et prestigieux de l'Assemblée ont été attribués. La gauche a obtenu la majorité absolue des sièges au bureau de l'Assemblée nationale. Le RN n’a aucun poste de vice-président. Une démocratie solide peut-elle se permettre d’éternels perdants ? Analyse Raul Magni-Berton. 


Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

Atlantico : Ce vendredi 19 juillet, les députés nouvellement élus après la dissolution de l’Assemblée nationale passaient le deuxième jour de cette mandature au parlement. A l’issue du scrutin de la veille, visant à élire la présidente de l’Assemblée (scrutin remporté par Yaël Braun-Pivet), que dire de la rhétorique qui se développe en ce moment et qui parle d’élection ou de démocratie “volée” ?

Raul Magni-Berton :
L’élection n’a pas été volée en cela que, il est vrai, les règles du jeu ont été suivies. Notons tout de même que le principe d’un système démocratique c’est de s’assurer que les perdants ne perdent pas toujours et que les différentes forces en présence puissent théoriquement s’exprimer en fonction de leur capacité à le faire. A cet égard, la question de la distribution des postes et des places à l’Assemblée nationale (sur laquelle nous reviendra plus en détail par la suite) est cruciale : c’est elle qui permet d’organiser les règles du jeu de l’Assemblée nationale et c’est bien pour cela que, traditionnellement, ces missions sont réparties de sorte à ce que chacun puisse garder un oeil attentif sur ce qui se passe, contrôler le bon déroulement de la partie en somme. En l’état actuel des choses, il apparaît évident que le RN, avant tout, est exclu en dépit du fait qu’il a remporté un grand nombre de voix, ce qui n’est pas nécessairement usuel dans les différents systèmes démocratiques qui nous entourent. Dans la plupart des cas, un parti capable de cumuler autant de voix que le Rassemblement national aurait part à prendre dans la gouvernance du système – ce qui ne signifie pas nécessairement qu’il participerait au gouvernement mais bien qu’il prendrait place dans l’architecture de la division des pouvoirs.

Le système français, depuis 2017 peu ou prou, avantage le centre. Plus exactement, il avantage le centre quand celui-ci est assez fort pour parvenir au second tour, comme c’est le cas depuis 2017. A partir du moment où celui-ci a pu accéder au second tour il a été placé en situation de récupérer les voix du parti placé en troisième position contre son rival ; particulièrement quand la droite et la gauche ne se parlent pas et ce même quand il s’agit pourtant de forces importantes et structurelles du clivage politique. Le fait de ne pas discuter entre elles nourrit la tendance au désistement pendant les élections, laquelle influence nécessairement les affrontements à venir, une fois à l’Assemblée nationale. Sur ce point, il me paraît important de se questionner sur le fond du problème. Force est de constater que, en France, il n’apparaît pas anormal pour un député d’exclure les membres d’autres formations. Ce serait très étonnant dans les autres parlements d’Europe, où les élus le sont souvent via des systèmes proportionnels mixtes et où il va régulièrement de soi que le travail d’un parlementaire, c’est précisément de chercher un terrain d’entente avec autrui. A cet égard, notre système fait beaucoup de perdants, puisqu’il bloque des alliances potentielles.

Ce que l’on peut dire, donc, c’est qu’il n’y a pas eu de vol de la démocratie ou des élections en cela que tout ce qui s’est fait est légal, permis par nos institutions. Il existe évidemment des accords d’usages, que nul n’est pourtant tenu de respecter, mais qui permettent théoriquement de garantir l’esprit général de la constitution. Dès lors que d’aucuns tirent le plus possible de cette constitution, il devient essentiel de pouvoir s’appuyer sur une très bonne constitution. Celle de la France, il faut bien le dire, est assez solide. Mais elle a ses défauts. Elle permet notamment au gouvernement de gouverner presque sans parlement, dans certains de de figure. Et ne pas suivre l’esprit de la constitution, c’est aussi alimenter la radicalité de certains, par le haut.

Atlantico : Le Rassemblement national n’a remporté aucun des postes de vice-présidence de l’Assemblée nationale. Faut-il comprendre qu’il est aujourd’hui le plus exclu de toutes les formations représentées ?

Indéniablement, oui. Le Rassemblement national a été exclu dès le précédent scrutin puisque, au deuxième tour, il a fait l’objet de désistements visant à l’empêcher d’accéder à une potentielle majorité au Palais bourbon. En termes de rapport voix-sièges, il affiche un déséquilibre d’environ 9% des voix par rapport aux sièges remportés, en faveur des voix exprimées. En d’autres termes, le RN remporte 9% plus de voix qu’il ne gagne de sièges. A titre de comparaison, Ensemble gagne 9% moins de voix qu’il ne remporte de siège tandis que la gauche gagne un peu plus de sièges qu’elle ne récolte de voix, mais dans une mesure largement amoindrie comparativement à Renaissance. Tout ceci illustre bien qui, aujourd’hui, est le principal bénéficiaire de notre système électoral.

Atlantico : Dans quelle mesure peut-il s’avérer paradoxal de constater que La France Insoumise remporte deux postes de vice-présidents tandis que le RN n’en obtient aucun ? Le Nouveau Front populaire sera majoritaire au sein du bureau de l'Assemblée, après avoir obtenu à la surprise générale vendredi et samedi 12 postes sur les 22 de la plus haute instance exécutive de l'Assemblée. Cela s’explique-t-il par la capacité de la gauche à monter des alliances ?

Nous en avons déjà un peu parlé : tout commence avec les désistements qui ont visé à empêcher l’élection d’un certain nombre de candidats du Rassemblement national. Ce système d’alliance, qui s’est mis en place au terme du premier tour des élections législatives anticipées, a notamment permis au Nouveau Front Populaire de faire élire davantage de députés potentiels de son côté. Dès lors, ce n’est plus un paradoxe à proprement parler, c’est un simple problème mathématique.

D’aucuns peuvent déplorer la situation. Non pas la présence d’élus LFI à des postes d’importance comme ceux de vice-président, mais bien le fait qu’il n’y ait pas, en France, une représentation relativement proportionnelle au sein des représentants de l’Assemblée. N’oublions pas, en effet, que le rôle de ces élus consiste à contrôler les règles du jeu dont nous parlons depuis le début de cet entretien. Il apparaît donc normal de permettre à l’ensemble des partis de contribuer. Dès lors que l’on ne donne le contrôle des règles du jeu qu’au gagnant, ce qui n’a rien d’illégal en France, on prend le risque d’en arriver à une situation comparable à celle que nous décrivons.

Atlantico : De quoi le bourrage des urnes à l’Assemblée nationale est-il le nom ?

C’est un phénomène qui reflète l’incapacité des différentes formations parlementaires à se mettre d’accord. La compétition électorale se vit désormais comme une compétition d’exclusion, au cours de laquelle chacun enchaîne les horreurs prononcées à l’encontre de son adversaire. Dans ce cas de figure, il devient impossible de se mettre d’accord avec un tel parti sans se renier devant ses électeurs mais le degré de clivage au sein de l’Assemblée nationale nous en empêche. C’est pourtant le mode de fonctionnement normal de l’Assemblée : les chefs de groupes se regroupent et se mettent d’accord pour désigner les arbitres qui, du fait des accords en question, n’ont aucun mal à être élus. Ce n’est plus le cas, la pression est particulièrement importante et, faute d’avoir l’assurance qu’ils ont pu avoir usuellement, certains ont vraisemblablement été tentés de tricher. Cela relève davantage du symptôme du mal que de la cause, en l’occurrence.

Atlantico : Que dire de la récente intervention de Mathilde Panot qui déclarait que les scrutateurs titulaires ne peuvent émaner seulement du RN et du parti macroniste, que des députés de toutes les formations présentant une candidature doivent être appelés au dépouillement ? Peut-on vraiment procéder au moindre travail parlementaire tout en soupçonnant systématiquement ses adversaires ?

Non, en effet. Pour autant, et nous l’avons d’ores et déjà abordé, cela n’est pas une surprise. Le système électoral français repose sur de potentiels et occasionnels accords de désistement. Quand ceux-ci sont motivés par la crainte d’un danger pour la démocratie, ici incarné par le Rassemblement national, il rend très difficile la nécessité de siéger ensemble (quoique dans des groupes différents) à l'Assemblée nationale. Cela engendre une méfiance radicale de tous contre tous et, mécaniquement, complexifie toute tentative d’arrangements.

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