Colbert et le Code noir : quels sont exactement les faits? - Par Thierry Sarmant

Colbert a supervisé ce texte juridique qui entendait clarifier le droit français en matière d’esclavage outre-mer. Il visait plusieurs objectifs qui peuvent paraître, trois siècles plus tard, contradictoires. Et c’est en réalité tout le siècle de Louis XIV qui souscrivait à la traite négrière, explique l’historien Thierry Sarmant.

Thierry Sarmant est directeur des collections du Mobilier national et auteur de 1715: la France et le monde (Perrin, 2014) et, avec Mathieu Stoll, de Régner et gouverner: Louis XIV et ses ministres (Perrin, 2010).

Le Code noir est-il l’œuvre de Jean-Baptiste Colbert? Sans aucun doute. L’ «édit ou ordonnance sur les esclaves des îles d’Amérique» - l’appellation de «Code noir» est postérieure - appartient à une série de codifications législatives dont le ministre supervisa l’élaboration à partir des années 1660: ordonnance civile de 1667 ou «Code Louis», ordonnance des eaux et forêts de 1669, ordonnance criminelle de 1670, règlement du Conseil de 1673, ordonnance de commerce de la même année, dite «Code Savary», ordonnance de marine de 1681. L’ambition ultime était celle d’une unification du droit qui ferait de Louis XIV un nouveau Justinien dans une France régie par «une seule loi sous un seul soleil» (lex una sub uno).

LIRE EGALEMENT : Pierre Vermeren: «Traites des Noirs et esclavage, la mémoire hémiplégique» (lefigaro.fr)

Sans doute le Code noir fut-il promulgué en 1685, deux ans après la mort de Colbert, alors que son fils Seignelay lui avait succédé comme secrétaire d’État de la Marine. Mais, comme lors des entreprises de codification précédentes, la rédaction finale s’est appuyée sur une ample consultation préalable. En 1681, le ministre fit adresser des instructions du roi au comte de Blénac, gouverneur des Antilles, et à Jean-Baptiste Patoulet, intendant des îles, leur ordonnant de collecter la jurisprudence locale en matière d’esclavage. Pour ce faire, ils devaient recueillir les avis des membres des «conseils souverains» - les tribunaux supérieurs - de la Martinique, de la Guadeloupe et de Saint-Christophe, ainsi que ceux des notables de ces îles. Comme l’esclave n’existait pas en France, il s’agissait de fonder sur les coutumes et usages pratiqués dans les colonies depuis un demi-siècle un «droit nouveau et jusque-là inconnu dans le royaume».

LIRE EGALEMENT : Napoléon et l’esclavage : Mise au point historique - Par Michel Franceschi (mechantreac.blogspot.com)

Michel Bégon, qui remplaça Patoulet en 1682, continua le travail de compilation entrepris par son prédécesseur: Blénac et Bégon expédièrent à la Cour un avant-projet d’ordonnance en février 1683. Les neuf dixièmes du contenu de cet avant-projet figurent dans la rédaction ultime de l’édit: ses réviseurs parisiens ou versaillais y ont apporté surtout des corrections d’exposition et de style, plus rarement de fond. La paternité de ce Code, qui lui est aujourd’hui si vivement reprochée, appartient donc bien à l’administration de Colbert, même si le contenu ne fait bien souvent que reprendre les arrêts des conseils souverains et les suggestions formulées par le gouverneur et l’intendant.

Le Code noir mêle les préoccupations pragmatiques - unifier les usages existants, assurer le maintien de l’ordre et l’obéissance des esclaves, préserver les capacités productives des exploitations sucrières - et les considérations religieuses et morales, ce qui conduit à ce qui nous apparaît comme des contradictions. On se scandalise aujourd’hui de ce que les esclaves y soient assimilés à des meubles, comme en droit romain (article 44), mais cette fiction juridique, destinée à conforter la propriété et à faciliter les transactions, n’induit pas qu’ils soient réellement considérés comme des choses.

L’esclave doit être instruit dans la religion catholique et bénéficier du repos du dimanche (article 2) ; le maître ou le contremaître qui tue un esclave se rend coupable d’un crime (article 43). L’édit contient des dispositions destinées à décourager les mariages mixtes (qui pourraient aboutir à réduire le nombre d’esclaves), mais facilite les procédures d’affranchissement. Ces contradictions n’ont, semble-t-il, frappé ni Jean-Baptiste Colbert ni ses collaborateurs, d’abord soucieux d’unité religieuse et juridique: toujours la «maxime de l’ordre» que Colbert prétend défendre face à la «maxime du désordre» imputée à Fouquet...

Les contemporains de Colbert s’indignaient-ils de l’esclavage pratiqué aux colonies? Il ne le semble pas. Le Père Jean-Baptiste Labat, missionnaire dominicain, arrivé en Martinique en 1693, en offre un bon exemple. Il y découvre beaucoup de Noirs vêtus d’un simple caleçon et d’un bonnet, dont «beaucoup portaient sur leur dos les marques des coups de fouet qu’ils avaient reçus». «Cela excitait la compassion de ceux qui n’y étaient pas accoutumés ; mais on s’y fait bientôt», note Labat dans son Nouveau Voyage aux îles française d’Amérique.

Devenu propriétaire d’esclaves, le missionnaire remarque que les Noirs «entendent assez bien leurs intérêts et qu’ils ont plus d’esprit et plus de bon sens que nous ne l’imaginons», et affectent la simplicité pour correspondre aux stéréotypes des Européens. Peu convaincus de la supériorité intrinsèque des Blancs, ils retournent volontiers le discours dépréciatif des maîtres. «De sorte que s’ils voient quelqu’un d’entre eux qui jure, qui s’enivre ou qui fasse quelque mauvaise action, ils ne manquent pas de dire de lui avec mépris: ‘C’est un misérable qui jure comme un Blanc, qui s’enivre comme un Blanc, qui est voleur comme un Blanc’».

Labat lui-même paraît médiocrement convaincu de l’infériorité des Noirs… sans pour autant s’émouvoir de leur condition ni jamais remettre en cause le système. S’il justifie d’abord l’esclavage comme «un moyen infaillible et l’unique qu’il y eût pour inspirer le culte du vrai Dieu aux Africains, les retirer de l’idolâtrie et les faire persévérer jusqu’à la mort dans la religion chrétienne», l’ultima ratio, il le reconnaît volontiers, c’est l’intérêt des propriétaires de plantations et des actionnaires de compagnies de traite. Par un fatalisme analogue, le dominicain tient la répression sanglante des rébellions noires pour indispensable, non moins que la révolte elle-même pour inévitable, «tant il est vrai que le désir de la liberté et de la vengeance est toujours le même chez tous les hommes».

On le voit, la sensibilité de Colbert et de ses contemporains n’est pas la nôtre. Les mesurer à l’aune des valeurs du XXIe siècle est à peu près aussi absurde... que de juger Jean-Marc Ayrault suivant les critères moraux du Grand Siècle.
https://pourunenouvellerepubliquefrancaise.blogspot.com/https://grandeschroniquesdefrance.blogspot.com/https://parolesdevangiles.blogspot.com/https://raymondaronaujourdhui.blogspot.com/

#JeSoutiensNosForcesDeLOrdre par le Collectif Les Citoyens Avec La Police