JO 2024 : 9 questions pour comprendre la polémique autour des boxeuses Imane Khelif et Lin Yu-ting - Par Doriane Lambelet Coleman (traduction par Peggy Sastre)
Avec ces athlètes apparemment intersexes, la sécurité, l’équité et les questions de genre se sont retrouvées au cœur du débat olympique. Explication des enjeux historiques, médicaux et politiques du scandale.
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Les Jeux olympiques sont de retour et, avec eux, une nouvelle et prévisible polémique mondiale concernant des athlètes XY concourant dans la catégorie féminine. Dans le sport de haut niveau, ce problème est vieux d'un siècle, mais nous n'avons bizarrement pas encore réussi à lui trouver une réponse qui tienne. Sans doute que la variante Paris 2024 est la plus explosive de toute l'histoire, car elle combine au moins trois facteurs :
Les réseaux sociaux auront fini de rendre ce cocktail explosif et de pousser deux boxeuses, l'une algérienne et l'autre taïwanaise, à la une des journaux du monde entier. La force des images – habituelles dans le monde de la boxe – a pu susciter des réactions émotives chez certains, mais aussi permettre à d'autres de refourguer leurs éléments de langage fallacieux ou ignorants (« Rien ne prouve que ces boxeuses ne sont pas des femmes cis ! »).
Avec cet article, j'aimerais poser les faits essentiels à cette polémique, pour permettre aux lecteurs de la comprendre dans tout son contexte historique, médical et politique.
Pourquoi leur éligibilité à la catégorie féminine est-elle aujourd'hui remise en question ?
L'Association internationale de boxe amateur (AIBA) a publié un communiqué le 31 juillet statuant qu'un test « reconnu » avait établi que Khelif et Lin ne répondaient pas aux normes d'éligibilité pour la compétition féminine. L'AIBA précise qu'il ne s'agit pas d'un test de testostérone, ce qui pointe donc vers un test génétique.
Voici ce qu'il faut en retenir :
Le 24 mars 2023, l'AIBA disqualifiait les athlètes Lin Yu-ting et Imane Khelif des Championnats du monde AIBA de boxe féminine à New Delhi. Cette disqualification résultait du fait qu'elles n'avaient pas satisfait aux critères d'éligibilité pour participer à la compétition féminine, tels que définis dans les règlements de l'AIBA. Cette décision, prise après un examen méticuleux, fut d'une extrême importance et nécessaire pour respecter l'équité et maintenir l'intégrité de la compétition.
Il convient de noter que les athlètes n'ont pas été soumises à un test de testostérone, mais à un test différent et reconnu, dont les caractéristiques demeurent confidentielles. Ce test a cependant montré de manière concluante que les deux athlètes ne remplissaient pas les critères d'éligibilité requis et qu'elles bénéficiaient donc d'avantages compétitifs sur le reste des sportives engagées.
La décision prise par l'AIBA le 24 mars 2023 a ensuite été ratifiée par le Conseil d'administration de l'AIBA le 25 mars 2023. Le compte rendu officiel de cette décision peut être consulté ici sur le site de l'AIBA.
La disqualification est la conséquence de deux tests effectués sur les deux athlètes :
1. Lors des Championnats du monde AIBA de boxe féminine à Istanbul en 2022.
2. Lors des Championnats du monde AIBA de boxe féminine à New Delhi en 2023.
Nous tenons à préciser que Lin Yu-ting n'a pas fait appel de la décision de l'AIBA auprès du Tribunal arbitral du sport (TAS), rendant ainsi la décision juridiquement contraignante. Imane Khelif a préalablement fait appel de la décision auprès du TAS, pour ensuite retirer son appel en cours de procédure, rendant ainsi la décision de l'AIBA juridiquement contraignante.
Khelif et Lin ont-elles des troubles du développement sexuel qui devraient les disqualifier de la catégorie féminine ?
À l'heure où j'écris ces lignes, il y a trois façons de répondre à cette question.
La première est celle de l'AIBA, avec sa mauvaise réputation, voulant que Khelif et Lin présentent effectivement une quelconque anomalie congénitale disqualifiante. En l'espèce, l'AIBA ou ses représentants ont déclaré qu'elles étaient génétiquement mâles, et que Khelif et Lin étaient donc indûment avantagées. On en déduit que leur testostérone est biodisponible – qu'il ne s'agit pas d'individus insensibles aux androgènes – et que leur masculinisation importe sur un plan sportif.
La seconde circule à la fois sur les réseaux sociaux et dans la presse. On y affirme – sans preuve – que Khelif et Lin sont entièrement des femmes, avec des chromosomes XX, des ovaires et tout le tralala. D'aucuns peuvent concéder que ces athlètes ont un phénotype masculin, tout en précisant que bien des femmes – un terme parfois employé dans un sens très large, pour inclure les femmes trans – ont ce genre de constitution et qu'il faut simplement s'y faire.
La troisième est visiblement la position actuelle du CIO, du moins si l'on tente de décrypter sa langue de bois. Certes, Khelif et Lin pourraient présenter une anomalie du développement sexuel, avec avantage masculin, mais comme leur certificat de naissance leur consigne un sexe féminin et qu'elles se considèrent comme des femmes, alors ce sont des femmes.
À LIRE AUSSI Que vous soyez humain ou limace-banane, vous n'aurez jamais plus de deux sexes
La logique ? Que des controverses comme celles suscitées par Caster Semenya et Lia Thomas peuvent s'éteindre en faisant simplement disparaître les données biologiques pertinentes et en changeant la façon d'en parler.
Officiellement, le CIO se fonde sur le sexe consigné sur les passeports de Khelif et de Lin, où leur sexe légal est sans aucun doute féminin. On pourrait donc y voir le « test de genre » du CIO : le sexe légal commande l'éligibilité à la catégorie féminine.
Aussi, le CIO a déclaré n'avoir rien vu qui puisse indiquer que les informations sur les passeports de Khelif et de Lin ne correspondent pas à leur sexe. L'AIBA n'est pas de cet avis, bien sûr, mais pour le CIO, l'AIBA n'est pas fiable et les procédures intentées aux athlètes sont « arbitraires ».
En même temps, sur le fond, le CIO a reconnu qu'après la première victoire de Khelif, jeudi 1er août, la mention selon laquelle la boxeuse – et peut-être même également Lin – a un taux de testostérone élevé a été supprimée de leur site. Pour se justifier, le CIO a notamment affirmé que les taux de testostérone ne sont pas un critère pertinent, vu que beaucoup de femmes peuvent présenter un taux élevé.
Un argument sciemment trompeur. En effet, les femmes athlètes ayant un taux de testostérone élevé – par exemple, celles atteintes d'un syndrome des ovaires polykystiques – ont un taux se situant à l'extrémité de la fourchette féminine, mais pas en dehors, et encore moins dans la norme masculine. Cela ne remet en rien en question leur sexe biologique. J'insiste, dans le sport de haut niveau, dire qu'une athlète a un « taux de testostérone trop élevé » signifie deux choses : soit un dopage avec des androgènes exogènes, soit un sexe biologique mâle avec des androgènes endogènes biodisponibles. Et rien n'indique que Khelif ou Lin soient dopées.
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Pourquoi Khelif et Lin ont-elles pu se présenter à des compétitions pendant des années, avant d'en être seulement exclues l'année dernière ?
Khelif et Lin ont effectivement participé à des compétitions internationales de boxe pendant plusieurs années. Ce n'est qu'en 2023 qu'elles ont été sorties du circuit international.
Avant 2022, l'AIBA ne jaugeait pas du sexe biologique ou de l'avantage masculin par des tests chromosomiques ou hormonaux. En revanche, à l'instar du CIO actuellement, elle se reportait au passeport des athlètes pour déterminer leur sexe et/ou leur éligibilité dans la catégorie féminine. Si une athlète était inscrite à une compétition internationale par sa fédération nationale dans la catégorie féminine et que ses documents d'identités indiquaient qu'elle était de sexe féminin, alors l'AIBA y voyait une preuve d'admissibilité.
Selon le CIO, l'AIBA aurait « soudainement » et « arbitrairement » changé de procédure en 2023. Si l'on en croit l'AIBA, les tests biologiques auraient en réalité commencé un peu après les Jeux de Tokyo – soit lors de ses championnats du monde de 2022 – mais ses premières exclusions dateraient de 2023.
Et maintenant ?
Les affaires Khelif et Lin démontrent que tout le monde est perdant lorsque les règles d'éligibilité ne sont pas fermement établies d'une manière qui soit cohérente avec les objectifs de la catégorie de compétition. Les broncas que suscite cette question, aussi régulièrement que de manière prévisible, et les dommages qui en résultent pour les organisations et les athlètes concernés, devraient inciter au changement. Continuer à repousser le sujet sous le tapis – comme ont pu d'ailleurs le faire l'AIBA et d'autres fédérations, à l'instar de la Fifa – ne fera qu'engendrer d'autres vilaines controverses à l'avenir.
Doriane Lambelet Coleman enseigne le droit à l’université Duke. En mai, elle a publié On Sex and Gender – A Commonsense Approach, chez Simon & Schuster.
Cet article est paru dans Quillette.
1. Cette fois-ci, les athlètes controversées font de la boxe, pas de la course, ce qui veut dire qu'elles donneront des coups à leurs adversaires. Aujourd'hui, c'est aussi la sécurité physique et les normes de genre – pas seulement l'équité de la compétition – qui sont au cœur des préoccupations.
2. Après les affaires Lia Thomas et Caster Semenya, le public en sait bien plus – sans pour autant en savoir assez – sur les deux types d'individus XY à même de se retrouver dans des catégories féminines : les femmes trans comme Thomas et les personnes qui, comme Semenya, présentent un trouble ou une anomalie du développement sexuel (ADS ou DDS pour « différence de développement sexuel »). Dans ce dernier cas, on parle parfois d'individus « intersexes » pour user d'une terminologie non médicale.
3. L'aggravation de la guerre culturelle autour des questions de sexe et de genre, qui se déploie désormais sur un champ de bataille mondial. Avec, d'un côté, des organisations de défense des droits LGBTQI et leurs alliés naviguant plus généralement dans la communauté internationale de défense des droits de l'homme. Des gens pour qui le sexe n'existe ou n'importe pas – en soi ou eu égard à l'identité de genre. De l'autre, nous avons des régimes autoritaires ralliés autour du Kremlin et voyant dans la diversité sexuelle un signe avant-coureur de la fin de la civilisation occidentale.
Les réseaux sociaux auront fini de rendre ce cocktail explosif et de pousser deux boxeuses, l'une algérienne et l'autre taïwanaise, à la une des journaux du monde entier. La force des images – habituelles dans le monde de la boxe – a pu susciter des réactions émotives chez certains, mais aussi permettre à d'autres de refourguer leurs éléments de langage fallacieux ou ignorants (« Rien ne prouve que ces boxeuses ne sont pas des femmes cis ! »).
Avec cet article, j'aimerais poser les faits essentiels à cette polémique, pour permettre aux lecteurs de la comprendre dans tout son contexte historique, médical et politique.
Qui sont les boxeuses au cœur de la tourmente ?
Imane Khelif, poids welter de 25 ans, est Algérienne. Lin Yu-ting, poids plume de 28 ans, est Taïwanaise. Toutes deux ont été médaillées lors de précédents championnats du monde dans la catégorie féminine, et toutes deux participent aujourd'hui à leurs deuxièmes JO, après ceux de Tokyo.
Imane Khelif, poids welter de 25 ans, est Algérienne. Lin Yu-ting, poids plume de 28 ans, est Taïwanaise. Toutes deux ont été médaillées lors de précédents championnats du monde dans la catégorie féminine, et toutes deux participent aujourd'hui à leurs deuxièmes JO, après ceux de Tokyo.
Pourquoi leur éligibilité à la catégorie féminine est-elle aujourd'hui remise en question ?
L'Association internationale de boxe amateur (AIBA) a publié un communiqué le 31 juillet statuant qu'un test « reconnu » avait établi que Khelif et Lin ne répondaient pas aux normes d'éligibilité pour la compétition féminine. L'AIBA précise qu'il ne s'agit pas d'un test de testostérone, ce qui pointe donc vers un test génétique.
Voici ce qu'il faut en retenir :
Le 24 mars 2023, l'AIBA disqualifiait les athlètes Lin Yu-ting et Imane Khelif des Championnats du monde AIBA de boxe féminine à New Delhi. Cette disqualification résultait du fait qu'elles n'avaient pas satisfait aux critères d'éligibilité pour participer à la compétition féminine, tels que définis dans les règlements de l'AIBA. Cette décision, prise après un examen méticuleux, fut d'une extrême importance et nécessaire pour respecter l'équité et maintenir l'intégrité de la compétition.
Il convient de noter que les athlètes n'ont pas été soumises à un test de testostérone, mais à un test différent et reconnu, dont les caractéristiques demeurent confidentielles. Ce test a cependant montré de manière concluante que les deux athlètes ne remplissaient pas les critères d'éligibilité requis et qu'elles bénéficiaient donc d'avantages compétitifs sur le reste des sportives engagées.
La décision prise par l'AIBA le 24 mars 2023 a ensuite été ratifiée par le Conseil d'administration de l'AIBA le 25 mars 2023. Le compte rendu officiel de cette décision peut être consulté ici sur le site de l'AIBA.
La disqualification est la conséquence de deux tests effectués sur les deux athlètes :
1. Lors des Championnats du monde AIBA de boxe féminine à Istanbul en 2022.
2. Lors des Championnats du monde AIBA de boxe féminine à New Delhi en 2023.
Nous tenons à préciser que Lin Yu-ting n'a pas fait appel de la décision de l'AIBA auprès du Tribunal arbitral du sport (TAS), rendant ainsi la décision juridiquement contraignante. Imane Khelif a préalablement fait appel de la décision auprès du TAS, pour ensuite retirer son appel en cours de procédure, rendant ainsi la décision de l'AIBA juridiquement contraignante.
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Par ailleurs, des responsables de l'AIBA ont précisé que les deux boxeuses avaient des chromosomes XY et un taux trop élevé de testostérone.
Parler de « taux trop élevé » de testostérone indique que les mesures les sortaient de la norme féminine. Comme le montre le tableau ci-dessous, les taux de testostérone des hommes et des femmes se mettent à diverger grosso modo après treize ans. On voit aussi clairement qu'il n'y a pas de chevauchement entre les niveaux masculins et féminins une fois l'adolescence enclenchée.
Taux de testostérone typiques selon le sexe et l'âge, de 6 à 20 ans. Extrait de Divergence in Timing and Magnitude of Testosterone Levels Between Male and Female Youths, Senefeld, Coleman, Johnson et al. JAMA, 7 juillet 2020.
Comment des sportives peuvent-elles avoir un taux de testostérone trop élevé ? Notamment de deux manières : en se dopant ou en étant de sexe masculin.
Les communications de l'AIBA relatives à Khelif et Lin sont remises en doute par le CIO. Du fait de la mauvaise réputation de l'AIBA, et parce que le CIO affirme ne pas avoir eu connaissance des résultats des tests ayant justifié les disqualifications. Sauf que, selon le journaliste sportif Alan Abrahamson, l'AIBA a bien envoyé les résultats de Khelif en juin 2023.
Par ailleurs, des responsables de l'AIBA ont précisé que les deux boxeuses avaient des chromosomes XY et un taux trop élevé de testostérone.
Parler de « taux trop élevé » de testostérone indique que les mesures les sortaient de la norme féminine. Comme le montre le tableau ci-dessous, les taux de testostérone des hommes et des femmes se mettent à diverger grosso modo après treize ans. On voit aussi clairement qu'il n'y a pas de chevauchement entre les niveaux masculins et féminins une fois l'adolescence enclenchée.
Taux de testostérone typiques selon le sexe et l'âge, de 6 à 20 ans. Extrait de Divergence in Timing and Magnitude of Testosterone Levels Between Male and Female Youths, Senefeld, Coleman, Johnson et al. JAMA, 7 juillet 2020.
Comment des sportives peuvent-elles avoir un taux de testostérone trop élevé ? Notamment de deux manières : en se dopant ou en étant de sexe masculin.
Les communications de l'AIBA relatives à Khelif et Lin sont remises en doute par le CIO. Du fait de la mauvaise réputation de l'AIBA, et parce que le CIO affirme ne pas avoir eu connaissance des résultats des tests ayant justifié les disqualifications. Sauf que, selon le journaliste sportif Alan Abrahamson, l'AIBA a bien envoyé les résultats de Khelif en juin 2023.
Khelif et Lin sont-elles transgenres ?
À l'instar de Caster Semenya, rien n'indique que Khelif ou Lin se considèrent comme transgenre. Ce qui est logique vu que leur sexe a apparemment été déterminé comme féminin à la naissance – en d'autres termes, c'est ce que consigne leur certificat de naissance – et parce qu'être transgenre est en général une affaire de ressenti subjectif.
La confusion est cependant compréhensible, car le mot transgenre est aussi parfois utilisé pour désigner un homme qui se considère comme une femme. Ce qui est le cas de Khelif comme de Lin, en raison de leurs documents d'identité et de la manière dont elles ont été élevées.
En tout état de cause, et à tout le moins dans le domaine sportif, il semble que toutes les parties concernées les considèrent comme des individus présentant un trouble du développement sexuel.
À l'instar de Caster Semenya, rien n'indique que Khelif ou Lin se considèrent comme transgenre. Ce qui est logique vu que leur sexe a apparemment été déterminé comme féminin à la naissance – en d'autres termes, c'est ce que consigne leur certificat de naissance – et parce qu'être transgenre est en général une affaire de ressenti subjectif.
La confusion est cependant compréhensible, car le mot transgenre est aussi parfois utilisé pour désigner un homme qui se considère comme une femme. Ce qui est le cas de Khelif comme de Lin, en raison de leurs documents d'identité et de la manière dont elles ont été élevées.
En tout état de cause, et à tout le moins dans le domaine sportif, il semble que toutes les parties concernées les considèrent comme des individus présentant un trouble du développement sexuel.
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Que sont les troubles du développement sexuel et pourquoi ils importent pour le sport de haut niveau ?
Les troubles ou anomalies du développement sexuel recouvrent plusieurs réalités.
Certaines affectent uniquement les hommes, d'autres uniquement les femmes et certaines, les deux sexes. Comme on peut le voir dans la figure 2 ci-dessus, les seuls troubles du développement sexuel posant problème dans le sport concernent des hommes génétiques insensibles aux androgènes – soit totalement, par exemple dans le cas des athlètes présentant un déficit en 5-alpha réductase (D5R), soit substantiellement, comme on l'observe chez les athlètes présentant une insensibilité partielle aux androgènes (IPA).
Extrait de Doriane Lambelet Coleman, Sex in Sport, 80 Law and Contemporary Problems (2017). Merci à Jack Senefeld pour l'ajout des limites réglementaires en nanomoles.
Ce qui se justifie d'un point de vue réglementaire. Le but de la catégorie féminine est de s'assurer que les femmes se mesurent entre elles, et non à des sportifs mâles et donc biologiquement avantagés – les androgènes sont en effet le principal facteur des différences entre hommes et femmes en matière de performances sportives. Aussi rudes et maladroits qu'aient été les « tests de féminité » au cours de l'histoire, leur objectif a toujours été le même.
Les troubles ou anomalies du développement sexuel recouvrent plusieurs réalités.
Certaines affectent uniquement les hommes, d'autres uniquement les femmes et certaines, les deux sexes. Comme on peut le voir dans la figure 2 ci-dessus, les seuls troubles du développement sexuel posant problème dans le sport concernent des hommes génétiques insensibles aux androgènes – soit totalement, par exemple dans le cas des athlètes présentant un déficit en 5-alpha réductase (D5R), soit substantiellement, comme on l'observe chez les athlètes présentant une insensibilité partielle aux androgènes (IPA).
Extrait de Doriane Lambelet Coleman, Sex in Sport, 80 Law and Contemporary Problems (2017). Merci à Jack Senefeld pour l'ajout des limites réglementaires en nanomoles.
Ce qui se justifie d'un point de vue réglementaire. Le but de la catégorie féminine est de s'assurer que les femmes se mesurent entre elles, et non à des sportifs mâles et donc biologiquement avantagés – les androgènes sont en effet le principal facteur des différences entre hommes et femmes en matière de performances sportives. Aussi rudes et maladroits qu'aient été les « tests de féminité » au cours de l'histoire, leur objectif a toujours été le même.
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Les athlètes D5R ou IPA ont un complément chromosomique XY. Ils ont des testicules qui produisent de la testostérone bien au-delà de la fourchette féminine normale, des récepteurs androgéniques qui lisent et traitent leur taux élevé de testostérone et, en conséquence, leur corps se masculinise durant l'enfance et la puberté d'une façon qui importe pour le sport. Ensuite, leur taux de testostérone circulante a tous les effets habituels, connus pour jouer positivement sur les performances physiques.
En d'autres termes, lorsqu'ils participent à des compétitions féminines, leur constitution génétique leur confère un avantage.
Les athlètes D5R ou IPA ont un complément chromosomique XY. Ils ont des testicules qui produisent de la testostérone bien au-delà de la fourchette féminine normale, des récepteurs androgéniques qui lisent et traitent leur taux élevé de testostérone et, en conséquence, leur corps se masculinise durant l'enfance et la puberté d'une façon qui importe pour le sport. Ensuite, leur taux de testostérone circulante a tous les effets habituels, connus pour jouer positivement sur les performances physiques.
En d'autres termes, lorsqu'ils participent à des compétitions féminines, leur constitution génétique leur confère un avantage.
Khelif et Lin ont-elles des troubles du développement sexuel qui devraient les disqualifier de la catégorie féminine ?
À l'heure où j'écris ces lignes, il y a trois façons de répondre à cette question.
La première est celle de l'AIBA, avec sa mauvaise réputation, voulant que Khelif et Lin présentent effectivement une quelconque anomalie congénitale disqualifiante. En l'espèce, l'AIBA ou ses représentants ont déclaré qu'elles étaient génétiquement mâles, et que Khelif et Lin étaient donc indûment avantagées. On en déduit que leur testostérone est biodisponible – qu'il ne s'agit pas d'individus insensibles aux androgènes – et que leur masculinisation importe sur un plan sportif.
La seconde circule à la fois sur les réseaux sociaux et dans la presse. On y affirme – sans preuve – que Khelif et Lin sont entièrement des femmes, avec des chromosomes XX, des ovaires et tout le tralala. D'aucuns peuvent concéder que ces athlètes ont un phénotype masculin, tout en précisant que bien des femmes – un terme parfois employé dans un sens très large, pour inclure les femmes trans – ont ce genre de constitution et qu'il faut simplement s'y faire.
La troisième est visiblement la position actuelle du CIO, du moins si l'on tente de décrypter sa langue de bois. Certes, Khelif et Lin pourraient présenter une anomalie du développement sexuel, avec avantage masculin, mais comme leur certificat de naissance leur consigne un sexe féminin et qu'elles se considèrent comme des femmes, alors ce sont des femmes.
Quel est la responsabilité du CIO ?
Ces derniers jours, le CIO aura passé beaucoup de temps à déplorer les attaques contre Khelif et Lin. Ce que nous devrions tous regretter, vu qu'elles subissent un lynchage atroce. Reste que l'explosivité de la polémique est quasi entièrement de la responsabilité du CIO. Les messages qu'il envoie sont ambigus au possible, et comment s'en étonner vu sa relation pour ainsi dire compliquée avec les questions de sexe et de genre dans le sport.
En juin, le CIO publiait un guide terminologique interdisant l'utilisation d'un vocabulaire sexué pour décrire les athlètes aux JO et exigeant un traitement sans équivoque des athlètes XY se considérant comme des femmes : ce sont des femmes, point barre.
Un guide dans la droite ligne des positions prises par le CIO en 2021 : qu'il ne faut pas considérer les athlètes XY de genre différent comme ayant un avantage masculin sur le terrain simplement parce qu'ils sont de sexe masculin, et que des taux typiquement masculins de testostérone ne devraient pas être disqualifiants – qu'importe qu'il soit désormais scientifiquement établi qu'il s'agisse d'un facteur essentiel de l'écart de performance entre les meilleurs hommes et les meilleures femmes.
Ces derniers jours, le CIO aura passé beaucoup de temps à déplorer les attaques contre Khelif et Lin. Ce que nous devrions tous regretter, vu qu'elles subissent un lynchage atroce. Reste que l'explosivité de la polémique est quasi entièrement de la responsabilité du CIO. Les messages qu'il envoie sont ambigus au possible, et comment s'en étonner vu sa relation pour ainsi dire compliquée avec les questions de sexe et de genre dans le sport.
En juin, le CIO publiait un guide terminologique interdisant l'utilisation d'un vocabulaire sexué pour décrire les athlètes aux JO et exigeant un traitement sans équivoque des athlètes XY se considérant comme des femmes : ce sont des femmes, point barre.
Un guide dans la droite ligne des positions prises par le CIO en 2021 : qu'il ne faut pas considérer les athlètes XY de genre différent comme ayant un avantage masculin sur le terrain simplement parce qu'ils sont de sexe masculin, et que des taux typiquement masculins de testostérone ne devraient pas être disqualifiants – qu'importe qu'il soit désormais scientifiquement établi qu'il s'agisse d'un facteur essentiel de l'écart de performance entre les meilleurs hommes et les meilleures femmes.
À LIRE AUSSI Que vous soyez humain ou limace-banane, vous n'aurez jamais plus de deux sexes
La logique ? Que des controverses comme celles suscitées par Caster Semenya et Lia Thomas peuvent s'éteindre en faisant simplement disparaître les données biologiques pertinentes et en changeant la façon d'en parler.
Officiellement, le CIO se fonde sur le sexe consigné sur les passeports de Khelif et de Lin, où leur sexe légal est sans aucun doute féminin. On pourrait donc y voir le « test de genre » du CIO : le sexe légal commande l'éligibilité à la catégorie féminine.
Aussi, le CIO a déclaré n'avoir rien vu qui puisse indiquer que les informations sur les passeports de Khelif et de Lin ne correspondent pas à leur sexe. L'AIBA n'est pas de cet avis, bien sûr, mais pour le CIO, l'AIBA n'est pas fiable et les procédures intentées aux athlètes sont « arbitraires ».
En même temps, sur le fond, le CIO a reconnu qu'après la première victoire de Khelif, jeudi 1er août, la mention selon laquelle la boxeuse – et peut-être même également Lin – a un taux de testostérone élevé a été supprimée de leur site. Pour se justifier, le CIO a notamment affirmé que les taux de testostérone ne sont pas un critère pertinent, vu que beaucoup de femmes peuvent présenter un taux élevé.
Un argument sciemment trompeur. En effet, les femmes athlètes ayant un taux de testostérone élevé – par exemple, celles atteintes d'un syndrome des ovaires polykystiques – ont un taux se situant à l'extrémité de la fourchette féminine, mais pas en dehors, et encore moins dans la norme masculine. Cela ne remet en rien en question leur sexe biologique. J'insiste, dans le sport de haut niveau, dire qu'une athlète a un « taux de testostérone trop élevé » signifie deux choses : soit un dopage avec des androgènes exogènes, soit un sexe biologique mâle avec des androgènes endogènes biodisponibles. Et rien n'indique que Khelif ou Lin soient dopées.
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ÀLIRE AUSSI Quel est le plus vieux record du monde en athlétisme ?
Soit dit en passant, si tant d'institutions sportives, dont le CIO, se basent sur les taux de testostérone pour déterminer le sexe des athlètes, c'est qu'il s'agit effectivement d'un excellent indicateur : ni les ovaires ni les glandes surrénales ne produisent l'hormone à des taux typiquement masculins, seuls les testicules en sont capables. Si vous êtes à la recherche du sexe biologique et non pas du sexe légal, allez plutôt voir par là et laissez tomber le passeport.
Soit dit en passant, si tant d'institutions sportives, dont le CIO, se basent sur les taux de testostérone pour déterminer le sexe des athlètes, c'est qu'il s'agit effectivement d'un excellent indicateur : ni les ovaires ni les glandes surrénales ne produisent l'hormone à des taux typiquement masculins, seuls les testicules en sont capables. Si vous êtes à la recherche du sexe biologique et non pas du sexe légal, allez plutôt voir par là et laissez tomber le passeport.
Pourquoi Khelif et Lin ont-elles pu se présenter à des compétitions pendant des années, avant d'en être seulement exclues l'année dernière ?
Khelif et Lin ont effectivement participé à des compétitions internationales de boxe pendant plusieurs années. Ce n'est qu'en 2023 qu'elles ont été sorties du circuit international.
Avant 2022, l'AIBA ne jaugeait pas du sexe biologique ou de l'avantage masculin par des tests chromosomiques ou hormonaux. En revanche, à l'instar du CIO actuellement, elle se reportait au passeport des athlètes pour déterminer leur sexe et/ou leur éligibilité dans la catégorie féminine. Si une athlète était inscrite à une compétition internationale par sa fédération nationale dans la catégorie féminine et que ses documents d'identités indiquaient qu'elle était de sexe féminin, alors l'AIBA y voyait une preuve d'admissibilité.
Selon le CIO, l'AIBA aurait « soudainement » et « arbitrairement » changé de procédure en 2023. Si l'on en croit l'AIBA, les tests biologiques auraient en réalité commencé un peu après les Jeux de Tokyo – soit lors de ses championnats du monde de 2022 – mais ses premières exclusions dateraient de 2023.
Quel rôle attribuer ici à la politique du mouvement olympique ?
La politique du Mouvement olympique joue un rôle de premier plan, et ce d'au moins deux façons. La première est le conflit entre le CIO et l'AIBA. L'AIBA est alignée sur le Kremlin, par ailleurs hostile au CIO pour ses positions sur le dopage et la guerre en Ukraine.
La seconde est le choix politique du CIO de s'aligner sur les militants de la cause transgenre, contre les défenseurs d'une catégorie féminine basée sur le sexe. Sur ce point, le CIO n'est pas seulement en porte-à-faux avec l'AIBA, mais aussi avec certaines des fédérations les plus importantes du Mouvement olympique, telles que World Athletics et World Aquatics. Contrairement au CIO, ces fédérations sont déterminées à donner la priorité à l'équité et à la préservation de la catégorie féminine pour les athlètes féminines.
La politique du Mouvement olympique joue un rôle de premier plan, et ce d'au moins deux façons. La première est le conflit entre le CIO et l'AIBA. L'AIBA est alignée sur le Kremlin, par ailleurs hostile au CIO pour ses positions sur le dopage et la guerre en Ukraine.
La seconde est le choix politique du CIO de s'aligner sur les militants de la cause transgenre, contre les défenseurs d'une catégorie féminine basée sur le sexe. Sur ce point, le CIO n'est pas seulement en porte-à-faux avec l'AIBA, mais aussi avec certaines des fédérations les plus importantes du Mouvement olympique, telles que World Athletics et World Aquatics. Contrairement au CIO, ces fédérations sont déterminées à donner la priorité à l'équité et à la préservation de la catégorie féminine pour les athlètes féminines.
Et maintenant ?
Les affaires Khelif et Lin démontrent que tout le monde est perdant lorsque les règles d'éligibilité ne sont pas fermement établies d'une manière qui soit cohérente avec les objectifs de la catégorie de compétition. Les broncas que suscite cette question, aussi régulièrement que de manière prévisible, et les dommages qui en résultent pour les organisations et les athlètes concernés, devraient inciter au changement. Continuer à repousser le sujet sous le tapis – comme ont pu d'ailleurs le faire l'AIBA et d'autres fédérations, à l'instar de la Fifa – ne fera qu'engendrer d'autres vilaines controverses à l'avenir.
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Je conclurai en rappelant les trois points fondamentaux que j'ai pu, comme d'autres experts du sport féminin, appuyer depuis longtemps.
Premièrement, la catégorie féminine dans le sport de haut niveau n'a pas d'autre raison d'être que les différences biologiques entre les sexes qui entraînent des différences de performance entre ceux-ci, et l'écart entre les meilleurs athlètes masculins et féminins. L'idée que nous pourrions choisir de rationaliser les disciplines différemment – par exemple, sur la base d'une identité de genre autodéclarée – ou de faire des exceptions de plus en plus nombreuses à des fins d'inclusion (choix qui a visiblement été celui du CIO pour autoriser Khelif et Lin de concourir à Paris) ne fait sens nulle part ailleurs qu'au sein de quelques enclaves progressistes.
Deuxièmement, toute norme d'éligibilité – comme celle du CIO – qui nie ou ignore la biologie sexuelle est nécessairement dommageable à la catégorie.
Enfin, les fédérations s'engageant en faveur de la catégorie féminine et de la stricte égalité des chances de leurs athlètes femmes doivent prendre les devants et faire deux choses. D'abord, élaborer des règles fondées sur des données scientifiques et s'y tenir de manière cohérente. Ensuite, veiller à se ménager d'autres et multiples occasions pour accueillir la diversité sexuelle dans leurs sports.
Je conclurai en rappelant les trois points fondamentaux que j'ai pu, comme d'autres experts du sport féminin, appuyer depuis longtemps.
Premièrement, la catégorie féminine dans le sport de haut niveau n'a pas d'autre raison d'être que les différences biologiques entre les sexes qui entraînent des différences de performance entre ceux-ci, et l'écart entre les meilleurs athlètes masculins et féminins. L'idée que nous pourrions choisir de rationaliser les disciplines différemment – par exemple, sur la base d'une identité de genre autodéclarée – ou de faire des exceptions de plus en plus nombreuses à des fins d'inclusion (choix qui a visiblement été celui du CIO pour autoriser Khelif et Lin de concourir à Paris) ne fait sens nulle part ailleurs qu'au sein de quelques enclaves progressistes.
Deuxièmement, toute norme d'éligibilité – comme celle du CIO – qui nie ou ignore la biologie sexuelle est nécessairement dommageable à la catégorie.
Enfin, les fédérations s'engageant en faveur de la catégorie féminine et de la stricte égalité des chances de leurs athlètes femmes doivent prendre les devants et faire deux choses. D'abord, élaborer des règles fondées sur des données scientifiques et s'y tenir de manière cohérente. Ensuite, veiller à se ménager d'autres et multiples occasions pour accueillir la diversité sexuelle dans leurs sports.
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Doriane Lambelet Coleman enseigne le droit à l’université Duke. En mai, elle a publié On Sex and Gender – A Commonsense Approach, chez Simon & Schuster.
Cet article est paru dans Quillette.
Quillette est un journal australien en ligne qui promeut le libre-échange d'idées sur de nombreux sujets, même les plus polémiques. Cette jeune parution, devenue référence, cherche à raviver le débat intellectuel anglo-saxon en donnant une voix à des chercheurs et des penseurs qui peinent à se faire entendre. Quillette aborde des sujets aussi variés que la polarisation politique, la crise du libéralisme, le féminisme ou encore le racisme. Le Point publie chaque semaine la traduction d'un article paru dans Quillette.