Affaire Philippine : «Cette loi absurde du Code de séjour qui facilite la remise en liberté des clandestins» - Par Morgane Daury-fauveau

Le refus de prolonger la rétention du meurtrier de Philippine par le Juge des libertés et de la détention a été permis en vertu d’une application stricte de la loi, déplore la professeur de droit privé Morgane Daury-Fauveau.


Morgane Daury-Fauveau, professeur de droit privé, secrétaire générale de l'UNI et présidente du Centre d'études et de recherches universitaires (Ceru).


Depuis trois jours, on entend tout et son contraire sur l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention qui a refusé la prolongation de la rétention du violeur et meurtrier de Philippine. Un point de droit s'impose.

Selon le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, après le placement, au bout de quatre jours, une première autorisation du JLD est nécessaire pour une prolongation de 26 jours. Au terme de 30 jours de rétention donc, le JLD doit être saisi pour une deuxième autorisation de prolongation d'un délai à nouveau de 30 jours.

Puis, une fois ce délai expiré, l'article L. 742-5 du code prévoit une troisième prolongation, dite exceptionnelle, de quinze jours cette fois et une quatrième prolongation, encore plus exceptionnelle, de quinze jours. Ces deux dernières prolongations ne sont pas soumises aux mêmes conditions.

La troisième est régie par l'article L. 742-5, al. 1 à 9. Qu'on nous permette de reproduire le texte : «À titre exceptionnel, le magistrat du siège du tribunal judiciaire peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l'article L. 742-4, lorsqu'une des situations suivantes apparaît dans les quinze derniers jours :

1° L'étranger a fait obstruction à l'exécution d'office de la décision d'éloignement ;

2° L'étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d'éloignement :

a) une demande de protection contre l'éloignement au titre du 5° de l'article L. 631-3 ;

b) ou une demande d'asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;

3° La décision d'éloignement n'a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé et qu'il est établi par l'autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai. Le juge peut également être saisi en cas d'urgence absolue ou de menace pour l'ordre public. Si le juge ordonne la prolongation de la rétention , celle-ci court à compter de l'expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d'une durée maximale de quinze jours».

On souligne que le motif relatif à l'ordre public n'est pas introduit par un 4°. C'est donc que la menace est évaluée en fonction de l'infraction qui a été commise avant le placement en CRA, les circonstances de celle-ci et la personnalité de son auteur. C'est ce motif qui a justifié la troisième prolongation de Taha O.

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La quatrième prolongation, celle qui nous intéresse, est prévue par le dixième et dernier alinéa du texte aux termes duquel : «Si l'une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l'avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n'excède alors pas quatre-vingt-dix jours».

L'alinéa sept dont il est question est celui-ci relatif à la menace à l'ordre public. Pour la quatrième prolongation, la menace à l'ordre public doit donc être apparue pendant les quinze derniers jours. Aussi sidérant que cela puisse paraître, le législateur a décidé que si la personne retenue est restée tranquille quinze jours, sa rétention ne peut pas être prolongée sur ce motif. Cette terrible affaire appelle plusieurs remarques.

D'une part, comment est-il possible que le préfet n'ait pas eu le moindre élément permettant d'établir que «la décision d'éloignement n'a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé et qu'il est établi par l'autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai» (art. 742-5, 3°) ? Compte tenu de la rédaction de l'ordonnance de refus de la prolongation, qui insiste sur la dangerosité du criminel, on peut penser que tout élément (comme les échanges mails entre les autorités françaises et marocaines) aurait convaincu le juge.

D'autre part, comment est-il possible que le législateur ait adopté ce dernier alinéa en l'état, ôtant quasiment toute efficacité au motif du trouble à l'ordre public et détachant ainsi la décision de la quatrième prolongation de l'acte criminel commis par la personne placée en CRA ? Est-ce de l'incompétence, voire de l'insuffisance intellectuelle ? Ou la volonté délibérée de paralyser ce motif jugé par certains dangereux pour les libertés individuelles ? Ceux-là portent aussi la responsabilité de la mort de Philippine.

Affaire Philippine : «Cette loi absurde du Code de séjour qui facilite la remise en liberté des clandestins» (lefigaro.fr)
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