Benjamin Morel : «Le centre a utilisé le “front républicain” contre le RN, pour former un gouvernement qui tient grâce au RN»

L’ancien commissaire européen Michel Barnier a été nommé premier ministre ce jeudi 5 septembre. Pour l’universitaire Benjamin Morel, le Rassemblement national est désormais l’arbitre de ce nouveau gouvernement.


Benjamin Morel est maître de conférences en droit public à l'université Paris 2 Panthéon-Assas. Dernier ouvrage paru : Le Parlement, temple de la République. De 1789 à nos jours (Editions Passés Composés, 2024).

LE FIGARO. - Michel Barnier à Matignon… Peut-on parler d'un gouvernement techno bis ?

Benjamin MOREL. -
Michel Barnier présente un profil intéressant : son passage à la Commission européenne et son rôle de négociateur du Brexit lui ont conféré une stature plus consensuelle, au-dessus des partis. En cela, il possède un profil à la Mario Monti, ce qui correspond effectivement à ce que l'on peut considérer comme un gouvernement technique. Pour autant, il a été parlementaire pendant plus de 15 ans, ce qui lui donne une connaissance approfondie du fonctionnement de la Chambre, un atout crucial en l'absence de majorité.

Cependant, il est encore un peu tôt pour qualifier ce gouvernement. En effet, l'avantage d'un gouvernement technique ne réside pas tant dans les compétences des ministres que dans la déresponsabilisation des forces politiques qui en acceptent le principe. Les groupes politiques, n'ayant pas de membres dans un tel gouvernement, n'en assument pas le bilan. Comme n'y figurent pas non plus des membres des formations politiques opposées, on ne peut pas les accuser de se compromettre avec des individus ou des idées qu'ils prétendent combattre. À ce stade, il est trop tôt pour savoir si le gouvernement Barnier adoptera une telle configuration.

Michel Barnier est-il capable de contenter Renaissance et LR tout en conciliant le RN sur l'immigration, et donc d'éviter une motion de censure ?

Les prises de position de Michel Barnier sur l'immigration, les traités européens et la CEDH peuvent effectivement résonner aux oreilles du RN. Toutefois, il ne faut pas se leurrer, il n'y aura sans doute pas de grands textes sur ce sujet dans les prochains mois, et le RN ne soutiendra pas le gouvernement uniquement pour sa politique en matière d'immigration. Si le RN ne renverse pas le gouvernement, c'est qu'il y trouve un intérêt. La motion de censure n'est toutefois pas exclue. D'abord, Marine Le Pen a déclaré qu'elle attendrait le discours d'investiture. Ensuite, il est encore possible que les oppositions se cristallisent sur le budget. Le gouvernement se retrouvera alors face à un dilemme complexe : soit il tente de faire adopter le budget sans recourir à l'article 49 alinéa 3, mais il est difficile d'imaginer quelle coalition pourrait se former pour le voter ; soit il engage sa responsabilité, mais il se peut alors qu'en décembre, il soit renversé, nous laissant sans budget ni gouvernement.

Le gouvernement actuel sera-t-il dépendant du RN ? Dans ce cas de figure, peut-on dire que, le «cordon sanitaire» formé lors des élections législatives n'est-il qu'une fiction électorale ?

Quoi que certains puissent en dire et s'en défendre, si le gouvernement tient parce que le RN ne vote pas les motions de censure, il s'agit bien d'un soutien sans participation. Ainsi, le centre et LR auront utilisé le «front républicain» pour obtenir des députés, avec d'importants reports de voix de gauche, pour finalement former un gouvernement tenant grâce au Rassemblement national. On voit mal comment, à l'avenir, on pourrait ressusciter le «front républicain».