Jean-Denis Combrexelle : «Il faut passer du culte de la norme à la culture du résultat»
Jean-Denis Combrexelle analyse les causes de l’excès de normes en France. Alors que les tentatives de simplification administratives ont jusqu’à présent échoué, ce défi sera central pour le prochain gouvernement.
Chaque année, les normes issues de lois, ordonnances ou décrets prennent un poids démesuré dans la vie publique française. Multiplication, allongement des textes… En 2023, l'Ifrap évaluait à 100 milliards d'euros leur coût pour la société civile. Ancien président de la section du contentieux du Conseil d'État, directeur de cabinet de la première ministre Élisabeth Borne et directeur général du travail, Jean-Denis Combrexelle analyse les causes et les conséquences de l'inflation normative dans Les Normes à l'assaut de la démocratie (Odile Jacob). Il appelle notamment à « l'obsession de délivrer du résultat ».
LE FIGARO. - Vous affirmez sans concession que nous sommes entrés dans une société bureaucratique avec des normes de plus en plus éloignées des sociétés qu'elles sont censées régir. Pour beaucoup, les structures technocratiques et bureaucratiques qui entourent les élus en sont à l'origine. Qu'en est-il ?
Jean-Denis COMBREXELLE. - Le diagnostic posé lorsqu'il est question de normes est souvent erroné. Pour beaucoup, les administrations ont un fonctionnement courtelinesque et sont incompétentes. Or, c'est tout le contraire. Elles ont un tel souci de bien faire que cela se traduit par une accumulation de normes et de leurs effets délétères : ce que j'appelle le syndrome du Pont de la rivière Kwaï. Quand certaines réformes pourraient se traduire par trois à dix lignes dans un code comme le Code du travail ou de l'environnement, les fonctionnaires œuvrent à la construction de nouvelles cathédrales du droit.
Et pour cause, faire une loi est toujours plus spectaculaire et gratifiant politiquement. Mais les administrations centrales ne sont pas les seules responsables. On peut aussi mettre en cause la surtransposition des normes européennes dans le droit français, déjà fortement augmentées par les exigences des lobbies. Enfin, les parlementaires ont une responsabilité évidente dans l'accumulation des normes.
Ne faut-il pas y voir un moyen de sécurité juridique croissant ?
Nous sommes entrés dans un système où tous les acteurs, de l'État au particulier, veulent davantage de normes. On oppose souvent le monde de l'administration à celui de l'entreprise, qui serait un modèle de vertu. En tant que directeur général du travail pendant treize ans, j'ai constaté que les entreprises elles-mêmes, et plus encore les organisations professionnelles, sont demandeuses de normes. Elles exigent d'un texte, d'une loi ou d'une circulaire d'application, qu'il soit précis afin de s'assurer de ne pas franchir la ligne jaune du droit et ainsi de s'exposer à des sanctions pénales, administratives, voire médiatiques.
À lire aussi: Normes, lois, décrets: le calvaire des petits patrons
Sans compter qu'en France, le juge civil et commercial a une posture très proactive, n'hésitant pas à donner une interprétation large de la loi. Alors, naît un sentiment d'insécurité juridique qui conduit, en réaction, à ce que le texte initial d'un ministère puisse passer de trois à cinq pages après toutes les consultations.
Vous pointez du doigt la responsabilité de la communication et des médias dans la multiplication des normes. Faut-il en finir avec la communication positive ?
Il ne faut pas nier l'importance de la communication en matière politique car elle est nécessaire pour expliquer aux gens comment agissent leurs représentants. En revanche, posons-nous la question de la place qui lui est accordée dans l'action politique : celle-ci est démesurée. En plus de quarante ans de carrière, j'ai vu passer nombre de lois et de décrets inutiles.
Ce n'est souvent que le reflet de toutes ces déclarations faites sur les plateaux de télévision où des témoins exposent leur situation face à des ministres déjà prêts à répondre que leurs services sont en train de travailler sur un texte. Soulignons qu'à force, l'efficacité marginale des lois a tendance à décroître. Et les gens, lassés d'entendre de plus en plus de promesses sans observer de résultats concrets, sont à la fin tentés par les partis populistes, très virulents envers ce phénomène.
N'est-ce pas aussi le résultat d'un État-nounou auquel nous nous sommes habitués ?
Sans doute la France s'est accoutumée à la protection d'un État-nounou, mais surtout celui-ci a une approche juridique et administrative de l'action publique. Or, pour reprendre l'expression de l'ancienne première ministre Élisabeth Borne, « il faut avoir l'obsession de délivrer du résultat ». Cette obsession n'est pas forcément partagée par tous aujourd'hui. Beaucoup de fonctionnaires, de ministres, considèrent leur travail fini une fois le texte rédigé, participant ainsi à leur accumulation. (...)
Nous sommes entrés dans un système où tous les acteurs, de l'État au particulier, veulent davantage de normes. On oppose souvent le monde de l'administration à celui de l'entreprise, qui serait un modèle de vertu. En tant que directeur général du travail pendant treize ans, j'ai constaté que les entreprises elles-mêmes, et plus encore les organisations professionnelles, sont demandeuses de normes. Elles exigent d'un texte, d'une loi ou d'une circulaire d'application, qu'il soit précis afin de s'assurer de ne pas franchir la ligne jaune du droit et ainsi de s'exposer à des sanctions pénales, administratives, voire médiatiques.
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Vous pointez du doigt la responsabilité de la communication et des médias dans la multiplication des normes. Faut-il en finir avec la communication positive ?
Il ne faut pas nier l'importance de la communication en matière politique car elle est nécessaire pour expliquer aux gens comment agissent leurs représentants. En revanche, posons-nous la question de la place qui lui est accordée dans l'action politique : celle-ci est démesurée. En plus de quarante ans de carrière, j'ai vu passer nombre de lois et de décrets inutiles.
Ce n'est souvent que le reflet de toutes ces déclarations faites sur les plateaux de télévision où des témoins exposent leur situation face à des ministres déjà prêts à répondre que leurs services sont en train de travailler sur un texte. Soulignons qu'à force, l'efficacité marginale des lois a tendance à décroître. Et les gens, lassés d'entendre de plus en plus de promesses sans observer de résultats concrets, sont à la fin tentés par les partis populistes, très virulents envers ce phénomène.
N'est-ce pas aussi le résultat d'un État-nounou auquel nous nous sommes habitués ?
Sans doute la France s'est accoutumée à la protection d'un État-nounou, mais surtout celui-ci a une approche juridique et administrative de l'action publique. Or, pour reprendre l'expression de l'ancienne première ministre Élisabeth Borne, « il faut avoir l'obsession de délivrer du résultat ». Cette obsession n'est pas forcément partagée par tous aujourd'hui. Beaucoup de fonctionnaires, de ministres, considèrent leur travail fini une fois le texte rédigé, participant ainsi à leur accumulation. (...)