Michel Aubouin: «Un ministre de l’immigration, pour quoi faire?»
Le pays a besoin d’une politique cohérente et unifiée en matière d’immigration, pointe l’ancien préfet. Un ministère consacré à cette question permettrait également de faire porter la voix de la France à Bruxelles.
Ancien préfet et inspecteur général de l’administration, Michel Aubouin a exercé de 2009 à 2013 les fonctions de directeur du ministère de l’Intérieur en charge de l’intégration des étrangers et des naturalisations. Il a notamment publié « 40 ans dans les cités » (Les Presses de la cité, 2019) et « Le Défi d’être français » (Les Presses de la cité, 2023).Les Français qui n’ont fréquenté ni cabinet ministériel ni administration centrale d’un ministère ignorent en partie les relations souvent ambiguës qui lient les uns aux autres, c’est-à-dire le ministre à ses services. Les sujets de plus en plus techniques auxquels doit faire face un membre du gouvernement, en matière budgétaire, en matière juridique ou en savoirs scientifiques, peuvent rebuter ceux qui n’en sont pas familiers.
Comment comprendre les milliers de pages d’un code, fait de textes législatifs produits par ajouts successifs, et de textes réglementaires que seuls peuvent décrypter une poignée de spécialistes, quand on entend conduire une politique nouvelle ? Le ministre néophyte n’a pas le temps de tout apprendre, il doit composer avec une matière incertaine.
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D’une certaine façon, surtout s’il manque de vision personnelle, il devra faire confiance à son cabinet. Dans les « grands » ministères, les cabinets sont animés par des hauts fonctionnaires de la « maison ». On reste entre soi. On se comprend. Et comme on prépare son retour dans l’administration, on évite de fâcher ceux avec lesquels on travaille au quotidien.
Volatilité des ministres
Face à lui - quand il les reçoit ! -, le ministre trouve les directeurs d’administration centrale, patrons tout-puissants d’équipes qui pèsent parfois plusieurs milliers de fonctionnaires et gèrent des budgets qui dépassent quelquefois le milliard d’euros. Leur force tient à leur cohésion mais, surtout, à la volatilité des ministres en charge des portefeuilles dont ils ont la charge (j’ai personnellement connu, en tant que directeur, quatre ministres en quatre années). Eux, d’une certaine façon, ont une vision personnelle de leur action et il arrive souvent qu’ils proposent au ministre qui arrive des projets qu’ils ont déjà présentés à leur prédécesseur. Par construction, ils sont légalistes et certains sont mêmes d’authentiques juristes. Jamais ils ne critiqueront une décision du Conseil d’État, même contestable. Et s’ils le peuvent, ils l’anticiperont.
À quoi sert un ministre si sa marge de manœuvre est ainsi réduite ? Sauf à inaugurer des établissements ou à défendre devant le Parlement un texte qui viendra corriger à la marge une loi déjà en vigueur ? La question se pose en ce qui concerne l’immigration. Le thème est-il suffisamment important pour justifier un portefeuille ministériel ? Ou, à l’inverse, n’y a-t-il pas un risque à afficher une thématique que beaucoup aimeraient continuer d’ignorer ? Les avis divergent. Même les spécialistes sont partagés. À titre personnel, je plaide pour sa création (ou sa re-création), pour deux raisons au moins.