«Peine non exécutée, laissez-passer consulaires, droit européen : l’affaire Philippine conjugue toutes les défaillances de notre politique migratoire» - Par Patrick Stefanini

Pour l'ancien secrétaire général du ministère de l'Immigration Patrick Stefanini, le meurtre de Philippine, 19 ans, dans le Bois de Boulogne condense nombre de dysfonctionnements de notre système.

Ancien secrétaire général du ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire de 2008 à 2009, Patrick Stefanini a notamment publié « Immigration. Ces réalités qu'on nous cache » (Robert Laffont, 2020). Il a notamment été directeur de campagne de Valérie Pécresse à l'élection présidentielle.


LE FIGARO. - L’homme suspecté du meurtre de Philippine est un Marocain sous le coup d'une OQTF. Pis, il avait déjà été condamné pour viol et libéré début septembre du centre de rétention administrative. Quelles questions soulèvent ce drame ?

Patrick STEFANINI. -
Le suspect du meurtre de Philippine a été condamné pour un viol commis alors qu'il était mineur, à 17 ans, et qu’il venait à peine d'entrer en France. Ce Marocain, aujourd’hui âgé de 22 ans, est entré dans notre pays au mois de juin 2019 et a commis son premier viol à la fin de l’été 2019, qui a conduit à son interpellation le 5 septembre 2019. Ce drame peut légitimement nous interroger sur les conditions de délivrance des visas de court séjour puisqu’il est entré régulièrement en France.

Par ailleurs, cet homme a été condamné donc pour ce premier viol à sept ans de prison. Mais il en est sorti le 20 juin 2024, c’est-à-dire moins de cinq ans après son son incarcération. Pourquoi les peines de prison ne sont-elles pas complètement exécutées en France, notamment quand il s'agit de crimes ? C’est une question à laquelle la classe politique ne pourra se dérober.

À sa sortie de prison, en juin 2024, le suspect a été placé en centre de rétention avec une obligation de quitter le territoire. Pour des raisons qui ne sont pas encore connues, il a quitté le centre de rétention administrative le 4 septembre, alors que le Maroc n'avait toujours pas délivré le laissez-passer consulaire. Deux réflexions s’imposent. La première, c'est que la procédure actuelle est très, trop complexe. Il faut savoir qu’une personne entre en rétention pour une période de quatre jours. À l’issue de ces quatre jours, un juge des libertés et de la détention doit autoriser la prolongation de la rétention pour une durée de 26 jours - soit 30 jours au total.

Ensuite, il est possible d’obtenir, dans des conditions restrictives, une prolongation de la rétention pour 30 jours supplémentaires. Et enfin, il est encore possible de prolonger par deux fois la rétention de 15 jours, soit une durée maximale de rétention de 90 jours fractionnée en plusieurs périodes avec, à chaque fois, l'intervention du juge des libertés et de la détention. Ne serait-il pas préférable de supprimer toutes ces étapes intermédiaires, qui mobilisent la magistrature, les services des préfectures, les services de police et de gendarmerie, et de faire entrer directement en rétention les étrangers qui font l'objet d'une mesure d'éloignement pour une durée maximale de 90 jours ? Ce ne serait pas attentatoire aux droits de l'homme puisque, encore une fois, la durée maximale de rétention est déjà fixée à 90 jours. Mais cela implique de modifier la loi et que le Conseil constitutionnel ne la censure pas.

L'article 66 de notre Constitution confie au juge judiciaire la protection de la liberté individuelle. C’est la raison pour laquelle on fait intervenir un juge des libertés de la détention pour prolonger la rétention. Mais les étrangers dont on parle dans nombre d’affaires, comme celle du meurtre de Philippine, font l'objet d'une OQTF. Ce sont des étrangers qui ont troublé l'ordre public. Pourquoi est-ce qu'on n’unifierait pas le contentieux de l'éloignement des étrangers en totalité au juge administratif ? Car ces mesures sont purement administratives. Cela implique toutefois une révision constitutionnelle.