Tensions entre les générations : la guerre n'aura pas lieu ! - Par Monique Dagnaud et Olivier Galland

Dans le contexte des dettes laissées aux nouvelles générations, s’accumulent de l’incompréhension et des rancœurs mutuelles, et se dessine un clivage perturbant pour la cohésion sociale (Monique Dagnaud). Mais il est peu probable que ces tensions débouchent sur une véritable guerre des générations (Olivier Galland).

Un désamour entre les générations? - Par Monique Dagnaud

La complicité entre les générations décline, alors que dans les décennies qui ont suivi mai 68 on a observé un rapprochement des valeurs entre les boomers et leurs enfants sous les auspices de la tolérance et de l’individualisme – les valeurs du libéralisme culturel. Certes, au sein des familles, l’affection et l’entre aide demeurent un ciment puissant. Mais, dans le contexte des dettes laissées aux nouvelles générations, s’accumulent de l’incompréhension et des rancœurs mutuelles, et se dessine un clivage perturbant pour la cohésion sociale.

Le Baromètre de la solidarité générationnelle publié en mars 2024[1] montre un climat intergénérationnel particulièrement morose : 60% (+5% par rapport à 2021) des sondés pensent qu’il y a un risque de conflit entre les générations, tensions alimentées par la dette écologique et l’état des finances publiques. Deux chiffres parmi une batterie d’indicateurs signalent un sentiment d’injustice des jeunes à l’égard des seniors : 61% des 18-26 ans pensent que « c’est la faute des générations précédentes si nous devons vivre dans un monde pollué » (contre 40% pour les plus de 60 ans) ; 42% des 18-26 ans estiment que « la génération des baby-boomers est égocentrée et ne pense qu’à elle » (contre 17% des plus de 60 ans) ; 46% des 18-26 ans pensent qu’« aujourd’hui, les retraités sont des privilégiés par rapport aux actifs (qualité de vie, revenus ,patrimoine) (contre 20% chez les plus de 60 ans). Des données étayent ce dernier sentiment : la richesse et le taux d’épargne des retraités sont en moyenne un peu plus élevés que celui des actifs, mais il existe évidemment d’énormes disparités entre les individus. Décrivons à partir de plusieurs travaux les traits de ce désamour. Le temps à rebours

Pessimisme sur l’humanité, absence de confiance en l’avenir, impression d’être pris dans le piège écologique, dénonciation du capitalisme générateur d’inégalités : le « malheur français » est pleinement ressenti chez les nouvelles générations. Ce qui, chez beaucoup de vingtenaires et trentenaires, se cristallise, c’est le sentiment d’un destin contrarié. Presque un « no future » à résonnance historique, un sentiment que paradoxalement on repère avec intensité chez des diplômés (Enquête Et maintenant 2 effectuée en 2022 avec France Culture et Arte)[2] : comme si l’humanité s’était fourvoyée de chemin en avançant, comme si, indépendamment de tout élément chiffré ou référence symbolique, c’était mieux avant : dans cette enquête, 51% des 25-39 ans pensent qu’à leur âge « mes parents avaient une meilleure situation que moi[3] » ; parmi eux 37% des cadres et intellectuels, 41% des enseignants, le pensent ainsi aussi. Une sensation se dégage des réponses à cette enquête : l’humanité avance en régressant, et marche droit vers un précipice. Ceux qui ont eu 20 ans dans les années 60-80 auraient connu un Eden, un âge de félicités inimaginables où l’on pouvait s’inventer un avenir lumineux, la jeunesse d’aujourd’hui reste encore bouché bée de la « veine » dont ces « boomers », ses parents et grands-parents, ont bénéficié. Peu importe si en réalité, comme le notait Eric Chaney sur Telos, les Trente Glorieuses, ce n’était pas une sinécure

Cette appréciation, particulièrement vive chez une large frange des jeunes diplômés, déborde largement le petit monde des amateurs de France Culture et d’Arte. Commentant les études du Cepremap sur le bonheur, l’économiste Claudia Senik[4] indique que presque personne aujourd’hui ne veut vivre dans l’avenir (autour de 3% même pour les jeunes), 30% disent qu’ils veulent vivre dans le temps présent, et presque les deux tiers préféreraient vivre dans un passé récent avec une préférence pour les années 1980, ou éventuellement les années 1990, un choix particulièrement affirmé chez les moins de 60 ans. Cet âge d’or englobe la période avant l’essor de la mondialisation, avant Internet, avant la financiarisation de l’économie, à une époque où la France pouvait encore se sentir préservée et privilégiée en cultivant son modèle[5] à l’intérieur de ses frontières.

Ainsi une projection commune découpe la société entre « monde d’avant et monde d’après » en référence à un contexte où la réalisation des espoirs portés par chacun semblait possible, les années 1980 ou 1990, opposé à un contexte où les espérances de chacun sont perçues comme inaccessibles, le monde d’aujourd’hui. Un climat plutôt désespérant pour la jeunesse. Ressenti des nouvelles générations

Pour les nouvelles générations cette amertume est redoublée par le fait qu’elles perçoivent dans le discours public d’incessantes récriminations contre les jeunes : un reproche qu’il faudrait nuancer, car le jeunisme des politiques et de nombre de boomers, jamais en manque d’ardeur pour imiter les comportements des jeunes, irrigue aussi la société. Mais, là encore, c’est le ressenti qui compte. En mars 2024 dans sa chronique de Philosophie magazine, la rédactrice en chef Anne-Sophie Moreau (passée par Normale Sup et l’ESSEC), pointant l’indécence des critiques répétées envers les jeunes (en tout cas selon sa perception de trentenaire), s’insurge et réclame, en retour, un réarmement civique des boomers : « À quand une manif de boomers réclamant au pouvoir en place (rappelons qu’ils sont les seuls à encore voter majoritairement pour le parti présidentiel) de cesser d’augmenter les pensions, de taxer les hauts patrimoines et d’augmenter les impôts sur les successions ? Un gouvernement responsable, c’est un gouvernement qui choisit d’investir dans l’avenir du pays – et ne se contente pas de financer des après-midis au golf pour satisfaire son électorat ». Et vlan : la guerre des générations est déclarée, avec au cœur, la dimension économique. Les boomers sont illustrés… par des joueurs de golf, ils apprécieront (pourquoi pas les propriétaires de SUV ou des habitués de croisières Costa ?). Peu de thèmes scintillent avec un tel éclat : la tension entre les générations traverse le débat public, relayée par l’indignation des trentenaires. Peu importe si l’évaluation globale est impressionniste, car on ne peut la tester qu’en approfondissant les paramètres : niveaux d’études ? revenus ? chômage ? accès à la propriété ? bien-être matériel ? fluidité de la communication ? Accès à certaines libertés ? Peu importe si les données socio-économiques mériteraient un affinement global[6] : ce qui résonne ce sont les aspects perçus comme des injustices infligées aux nouvelles générations par rapport à leurs parents et grands-parents. Dans un livre devenu best-seller, Sois jeune et tais-toi, la journaliste écologiste Salomé Saqué (Blast, France-Info et Socialter) revient sur le sujet des jeunes « qui ne sont pas écoutés » alors qu’ils sont confrontés à des obstacles : chômage, logement, pandémie, crise climatique. Elle occupe avec Camille Etienne[7], autre militante écologiste, le rôle de porte-drapeau de la jeunesse « sacrifiée » sur l’autel du libéralisme.

Tout changer : gaucho messianisme et conscience déchirée

Ce ressentiment des jeunes à l’égard des anciennes générations se traduit par une aspiration au Reset – terme issu de l’informatique qui signifie « réinitialiser ». Les anciennes générations se sont beaucoup fourvoyées, il faut tout changer, ce constat tombe sans l’ombre d’une hésitation. Dans l’enquête Et maintenant, seule une minuscule poignée, moins d’un jeune sur 10 des répondants (principalement des diplômés)[8] souhaite que l’on continue comme avant. C’est vraiment peu de candidats décidés à la poursuite de l’histoire sans de profonds changements. Première préoccupation pour la majorité des répondants : l’écologie, pour les trois-quarts des femmes et deux-tiers des hommes, alors que les générations de plus de 55 ans sont un peu moins obsédées par ce thème. Et pour cette population spécifique, le capitalisme est incompatible avec l’écologie, une appréciation émise par quatre répondants sur cinq des 25-39 ans. Les résultats des élections européennes de juin 2024[9] confirment cette réalité d’une jeunesse diplômée politiquement très à gauche, en tout cas pour ceux qui votent[10] : 40% des détenteurs d’un diplôme supérieur de second cycle de 18-35 ont voté pour la liste PS-Place publique (Raphaël Glucksmann) ou pour LFI (Manon Aubry), le score des 18-24 ans se déportant nettement plus vers LFI que vers le PS.

Cette radicalité exacerbée de la jeunesse diplômée s’articule à une vive sensibilité aux injustices sociales, un thème qui les atteint de façon paradoxale. Ils sont en effet au cœur des ambivalences des sociétés développées, au cœur de leurs fragmentations sociales et idéologiques. Ils reçoivent de plein fouet les débats sur les inégalités produites par le système scolaire, y compris ceux qui sévissent au sein de l’école elle-même sous l’influence de la pensée bourdieusienne. Dès lors, quelle image cette élite scolaire perçoit-elle d’elle-même ? Le mot élite dont l’aura s’est ternie et qui est devenu synonyme de pouvoir dominant et égoïste dans l’imaginaire populiste suscite interrogation ou même malaise chez eux. Ainsi, la connotation négative qui dans une bonne partie des médias assaille ce terme les agace, car parallèlement ils ont le sentiment d’avoir, par les efforts que leur parcours scolaire implique, dû gagner cette place de premiers de la classe. En même temps, avec lucidité, ils savent bien qu’ils ne sont pas représentatifs de l’ensemble de la société française, et plus largement, ils reconnaissent un certain enfermement social, car dans presque toutes les dimensions de leur existence, ils ne fréquentent que des personnes bac + 5 : les hauts diplômés travaillent entre eux, socialisent entre eux, se mettent en couple entre eux, et éduquent leurs enfants avec l’espoir d’en faire des hauts diplômés comme eux.

L’essayiste américain Richard V. Reeves (Dream Hoarders, Brookings Institute, 2017) a saisi pertinemment la conscience déchirée de la classe cultivée : « Je passe mes semaines à dénoncer la question des inégalités et je passe mes soirées et mes weekends à les renforcer. » Cette tension entre engagement idéologique et mode de vie caractérise une partie des nouvelles élites. Diplômées, soucieuses d’endosser les postures morales et progressistes, elles déclinent volontiers les thèmes de la lutte des classes et de la lutte des âges, et mènent une guerre culturelle contre le monde ancien et le libéralisme économique. Parallèlement, elles s’insèrent bien dans les fonctions de pouvoir et d’expertise, et assurent leur reproduction sociale. C’est à l’intérieur de cette conscience déchirée que germe l’aspiration au RESET. Une requête qui prouve, à fleurets mouchetés, que la guerre avec les anciennes générations est publiquement déclarée.

[1] Baromètre de la solidarité intergénérationnelle, Elabe, décembre 2023. C'est le second baromètre de ce genre ; le premier date de 2021.
[2] Et maintenant 2, enquête réalisée en 2022 avec France Culture et Arte, en collaboration avec la statisticienne Sika Alaye. Plusieurs articles issus de cette enquête qui a touché près de 60 000 répondants ont été publiés par Telos.
[3] 28% pensent qu’ils avaient une situation comparable et 21% qu’ils avaient une situation moins bonne. Cette situation est légèrement plus balancée en Allemagne (l’enquête a aussi été conduite outre-Rhin) puisque 42% des 25-39 ans pensent qu’à leur âge leurs parents avaient une meilleure situation et 33% pensent qu’ils avaient une moins bonne situation.
[4] Auteure de L’Économie du bonheur, Le Seuil, 2014.
[5] Claudia Senik, « L’économie du bonheur. La croissance rend-elle les individus heureux ? », Les carnets de l’Institut Diderot, 2023.
[6] La richesse collective n’a cessé de s’accroître au cours des quarante dernières années) ainsi que la richesse sectorielle (la machine à redistribuer n’a cessé de s’améliorer et de s’étendre. Voir aussi : Jean-Marc Germain, Mathias André et Michael Sicsic, « Approche élargie des inégalités et de la redistribution en France : enseignements du rôle des transferts et de la valorisation des services publics », INSEE, mars 2023.
[7] Monique Dagnaud, « Le conflit de génération autour de l’écologie, une polémique artificielle ? », Telos, 18 septembre 2020.
[8] Et maintenant 1, enquête réalisée en 2021 avec France-Culture et Arte, en collaboration avec Justine Dupuis (statisticienne). Plusieurs articles issus de cette enquête qui a touché près de 40 000 répondants ont été publiés par Telos.
[9] Jérôme Fourquet, Céline Colange, Sylvain Manternach, « Elections européennes, retour sur un séisme électoral », Fondation Jean Jaurès, 20 juin 2024.
[10] Seulement 40% des 18-24 ans se sont rendus aux urnes
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La guerre des générations aura-t-elle lieu? - Par Olivier Galland

Dans un article très convaincant, Monique Dagnaud pointe les risques et les signes de tension croissante entre les générations. L’idée que la génération des boomers a été, d’une part, économiquement très favorisée par rapport aux générations qui l’ont suivie et qu’elle est, d’autre part, en partie responsable, du fait de son mode de vie et de son mode de consommation, de la détérioration écologique de la planète, s’est effectivement installée dans l’opinion. Néanmoins, je voudrais montrer dans ce papier qu’il est peu probable que ces tensions débouchent sur une véritable guerre des générations. Quatre arguments vont dans ce sens.

1. La génération des baby-boomers n’a pas été aussi favorisée qu’on le dit

Ce qu’évoque Monique Dagnaud dans son article concerne le ressenti et l’on sait que les sentiments collectifs ne sont pas toujours en accord avec les données objectives. Cela n’empêche évidemment pas ces sentiments de s’exprimer et d’être une donnée incontournable de la vie sociale. On pourrait donc penser qu’il est inutile de rappeler cet écart. Ne pas le faire néanmoins accréditerait l’idée dangereuse que dans la vie de la société et dans sa gouvernance seuls comptent les sentiments même lorsqu’ils sont dénués d’un fondement objectif. Ce serait la porte ouverte à un populisme sans frein. Sur la question intergénérationnelle, il faut donc rappeler quelques faits bien établis.

Certes les baby-boomers ont vécu leur jeunesse dans une période de croissance qui était largement insensible aux questions environnementales et à ce titre ils pourraient être tenus pour coresponsables de la dégradation de l’environnement. Mais les jeunes générations actuelles, si elles avaient été placées dans le même contexte historique, auraient-elles été plus lucides ? On peut en douter. La responsabilité n’est-elle pas plus sociétale que générationnelle ?

Sur un autre plan, la génération du baby-boom a-t-elle été économiquement favorisée par rapport aux générations qui ont suivi ? Dans un article de Telos consacré à ce qu’on a coutume d’appeler, après Jean Fourastié, les Trente Glorieuses, Eric Chaney résume ainsi la situation des générations de cette période de l’histoire de France : « Les générations des Trente Glorieuses, y compris les boomers, vivaient moins longtemps, mourraient plus souvent au travail, avaient plus de chances de perdre leurs bébés, vivaient dans des logements plus petits et plus insalubres, souffraient d’une pollution industrielle plus élevée et, pour comble, travaillaient bien plus. » On est très loin d’un Eden, les conditions de vie étaient bien plus difficiles, l’équipement des ménages n’avait rien de comparable avec ce qu’il est aujourd’hui et le taux de pauvreté était bien plus élevé. En outre, des travaux d’économistes[1] montrent que sur l’ensemble des cohortes nées entre 1901 et 1979 aucune génération n’a connu une baisse de son niveau de vie par rapport à celle qui la précédait. La raison en est simple : le niveau de vie a considérablement progressé (il a été multiplié par 2,2 en euros constants de 1970 à 2018[2]) et il aurait fallu des facteurs inégalitaires extrêmement puissants pour qu’une génération particulière ne profite pas de cet enrichissement général. Cela n’a pas été le cas. Ce qui alimente le pessimisme actuel ce n’est pas le niveau de revenu (bien plus élevé que durant les Trente Glorieuses), c’est le fait que les perspectives d’amélioration sont bien moindres que ce qu’elles étaient autrefois. Concernant l’optimisme ou le pessimisme social la pente compte plus que le niveau.

Ce rappel étant fait, quels sont les éléments qui peuvent faire douter de l’avènement d'une guerre des générations ?

2. Il n’y a pas d’expression politique d’une lutte des générations

En effet, on ne discerne pas dans l’espace public d’expression collective d’une animosité particulière à l’égard des générations plus âgées. Les jeunes manifestent contre les riches, contre les puissants, contre le capitalisme, contre les grandes entreprises, contre le gouvernement…On ne les voit pas manifester contre les « vieux ». Il y a certainement chez une partie des jeunes (les plus diplômés comme le relève Monique Dagnaud) l’idée que les générations précédentes leur laissent une planète abimée, mais ce sentiment n’a jusqu’à présent pas trouvé de traduction politique.

Une des raisons qui l’explique peut-être est que le thème générationnel est un thème délicat à manier pour la gauche. En effet, par définition le concept de génération est un concept trans-classe. Ainsi, mettre au banc des accusés une génération entière revient à mettre dans le même sac ouvriers, employés, cadres, bourgeois et capitalistes, une vision bien peu compatible avec la conception classiste qui domine encore dans la pensée de gauche, même si le « peuple » a pris la place du « prolétariat » et les « élites » celle des « capitalistes ». On peut toujours accuser les anciennes élites bourgeoises et dédouaner le peuple, mais le thème générationnel perd alors de sa force.

Néanmoins, il faut reconnaître que LFI a peut-être amorcé un virage en abandonnant (au grand dam de François Ruffin) la vision ouvriériste de la gauche classique pour se tourner plus vers les jeunes et les « quartiers » plus sensibles à des questions sociétales qui peuvent cliver les générations. On verra si cette évolution perdure, se développe et trouve une traduction en termes générationnels.

3. Dans la vie privée et la sphère familiale la solidarité intergénérationnelle n’a jamais été aussi forte

En effet, alors qu’on a souvent annoncé la fin de la famille, c’est plutôt le contraire qui s’est produit. La famille est certes fragilisée par les divorces et les séparations. Mais les liens intergénérationnels se sont au contraire renforcés. Les parents considèrent autant et peut-être même plus qu’autrefois, du fait de la massification scolaire, que la vie de leurs enfants est une prolongation de leur propre vie et font tout pour que cette prolongation soit aussi une amélioration. Ainsi, ils soutiennent énormément leurs enfants durant leurs études et continuent de le faire, matériellement et affectivement, une fois ces études terminées. Ils sont d’autant plus conduits à le faire que l’entrée dans la vie professionnelle est plus longue et plus incertaine qu’autrefois. Durant cette période de fragilité, de doutes, parfois d’angoisse, l’accompagnement des parents constitue donc souvent un soutien fondamental. Les jeunes le savent et en sont reconnaissants. Dans une enquête Louis Harris pour l’Institut Montaigne conduite en 2022 auprès d’un échantillon représentatif de 8000 jeunes, 69% des jeunes interrogés déclarent que leurs parents les aident « juste comme il faut » et 18% pensent même qu’ils les aident « trop » ! Seuls 13% considèrent ne pas être assez aidés. Dans la même enquête, 83% des jeunes considèrent que les relations avec leurs parents sont « faciles » (très ou plutôt). Très peu de tensions à l’intérieur des familles donc.

Il peut toujours y avoir un écart entre la perception des rapports familiaux dans la sphère privée et la perception des rapports intergénérationnels à un échelon macrosocial, mais on peut penser que la bonne qualité moyenne des relations entre parents et enfants ne favorise pas l’éclosion d’une conscience générationnelle extrêmement vindicative.

4. Le libéralisme culturel n’est pas mort et il est transgénérationnel

La figure 1 montre l’évolution d’un indice de libéralisme culturel de 1981 à 2018 en fonction de l’âge. Le constat est celui d’une convergence générationnelle. Même les 60 ans et plus finissent par se rapprocher dans la dernière vague des autres classes d’âge qui ont convergé vers un niveau élevé de libéralisme culturel dès les années 2000. Le contraste est saisissant avec le début des années 1980. Par rapport à cette époque et plus encore sans doute si on disposait de données plus anciennes, les générations partagent aujourd’hui plus de valeurs en commun que ça n’a jamais été le cas dans l’histoire récente.

Figure 1. Indice (5-50) de libéralisme culturel en France en fonction de l’âge de 1981 à 2018



Source : EVS. Lecture : l’indice est la somme des réponses sur une échelle (de 1 à 10) de tolérance à l’égard de l’homosexualité, de l’avortement, du divorce, de l’euthanasie, du suicide ; l’échelle varie de 5 à 50.

Cette convergence générationnelle sur les valeurs de libéralisme culturel explique également le renforcement des liens intergénérationnels à l’intérieur des familles évoqué au point précédent.

Au total, il est vrai que la frange de la jeunesse la plus diplômée semble au contraire diverger d’avec les anciennes générations sur bien des points et se laisser tenter par des formes de radicalité politique. La question qui reste ouverte est de savoir à quel degré cette partie de la jeunesse représente une avant-garde qui exercera une force d’entraînement sur l’ensemble des jeunes. Pour le moment, comme le note Monique Dagnaud, cette élite scolaire semble plutôt close sur elle-même sans véritablement parvenir à créer une véritable et large identité générationnelle. Mais bien sûr la conjoncture politique très mouvante que nous connaissons aujourd’hui peut changer bien des choses à l’avenir.

[1] Hippolyte d’Albis, Ikpidi Badji, « Les inégalités de niveaux de vie entre les générations en France », Économie et statistique, 491-492, 2017, p. 77-99
[2] Voir : https://www.insee.fr/fr/statistiques/5371217?sommaire=5371304#tableau-figure1

La guerre des générations aura-t-elle lieu? - Telos (telos-eu.com)
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