Déficit ET impôts record : mais que fait donc la France de son argent que les autres pays ne font pas ? - Par Nicolas Marques et Jean-Luc Demarty
La question se fait d’autant plus pressante que la France emprunte désormais avec des taux d’intérêt plus élevés que la Grèce ou l’Espagne Par Nicolas Marques et Jean-Luc Demarty.
Atlantico : À 3 228 milliards d’euros, l’endettement de la France atteint de nouveaux sommets. Il représente 112 % du PIB, au lieu des 60 % maximum prévus par les règles européennes. Mais la France est aussi championne du monde des impôts, avec un taux de prélèvements obligatoires représentant 46,1 % du PIB, selon l'édition 2023 des « Statistiques des recettes publiques » de l'OCDE. Que fait donc la France de son argent que les autres pays ne font pas ? Quelle part de d'absolu nécessaire, quelle part de superflu ? Jean-Luc Demarty : Le chiffre le plus significatif est la part des dépenses publiques dans le PIB qui s’élève à 57%, de loin le record du monde. Cette part est de 50% en moyenne dans l’UE, dont 49% en Allemagne. Cette comparaison est d’autant plus pertinente que les modèles de protection sociale sont similaires. Cela signifie que la France a un excès de dépenses publiques de 200 à 230 milliards d’Euros par an qui n’est pas justifié. C’est à l’intérieur de ce montant que se situe le niveau des économies possibles dont au moins une première moitié de l’ordre de 115 milliards d’Euros ne devrait pas être trop difficile à effectuer. C’est le minimum pour seulement stabiliser l’endettement autour de 110% du PIB et éviter l’effet boule de neige qui auto-alimente la dette par les frais financiers lorsque les taux d’intérêt dépassent le taux de croissance du PIB en valeur. La France est proche de ce point de basculement. La question est le calendrier de réalisation de ces économies. En théorie le pacte de stabilité impose de les réaliser en 4 ans parce que l’endettement de la France dépasse 90% du PIB. Les économistes sérieux considèrent à raison qu’une période aussi courte étoufferait la croissance et que 7 ans seraient raisonnables.
La négociation avec l’UE devrait principalement porter sur ce point, dès lors que le minimum d’assainissement budgétaire n’est guère contestable. La présentation politique de l’effort à effectuer comme imposé par Bruxelles est grotesque. Les règles européennes sont du simple bon sens traduit en texte juridique. Règles européennes ou pas, la trajectoire budgétaire de la France est insoutenable, comme l’était celle de la France en 1958 lorsque le Général de Gaulle imposa le plan Pinay Rueff, avec pourtant un endettement limité à 20% du PIB.
La France a également le record du monde des prélèvements obligatoires à 46% du PIB avec néanmoins un déficit budgétaire de l’ordre de 6% du PIB. C’est pourquoi il faut d’abord réaliser l’assainissement budgétaire par la dépense. Si un peu d’impôts supplémentaires, hors réduction des dépenses fiscales, est probablement nécessaire à l’équilibre politique du paquet, il ne devrait en aucun cas dépasser 15 milliards d’Euros, soit la moitié du choc fiscal de François Hollande et Pierre Moscovici en 2012 qui avait plombé la croissance. Il faut éviter de remettre en cause l’attractivité retrouvée de la France pour les investisseurs internationaux. Malheureusement les premières déclarations du Premier Ministre Michel Barnier laissent augurer une approche moins courageuse. Nous serons fixés dans le discours de politique générale du Premier Ministre du premier octobre.
Nicolas Marques : La France est dans le trio de tête des pays les plus endettés avec 112% du PIB de dette publique. Seuls la Grèce et l’Italie font pire. Et c’est sans compter la dette hors bilan, liée aux promesses des régimes de retraite qui représente 400% du PIB selon Eurostat. Au global, les promesses faites aux marchés financiers et au retraités représentent près de 5 années de création de richesse.
Dans le même temps la France est la championne d’Europe des prélèvements obligatoires. Ils représentent 46% du PIB, contre en moyenne 40% du PIB dans l’UE. Nous avons plus de déficits, alors que nous taxons plus, à rebours des discours caricaturaux prétendant que la France aurait basculé dans « l’économie de l’offre » et que cela expliquerait les déficits.
Ce paradoxe – surfiscalité et endettement - est lié à l’absence de diversification du mode de financement des retraites. Dans toute une série de pays, les retraites sont financées de façon duale, par la répartition et la capitalisation. Une partie des cotisations retraite est placée et le rendement de l’épargne rapporte des dividendes et plus-values qui bonifient les retraites. En France, nous avons fait le choix du tout répartition. Corolaire, à prestation égale, il faut plus de cotisations sociales et de prélèvements obligatoires pour financer les retraites. Cela explique comment nous sommes champions des prélèvements. Si la France capitalisait comme la moyenne des pays développés, elle disposerait d’une manne de 80 milliards d’euros par an (3,2 % du PIB chaque année) de dividendes et plus-values pour financer les retraites. Elle aurait besoin de 80 milliards de prélèvements en moins.