Iran : la clef du Moyen-Orient - Par Jean-Baptiste Noé
Au Moyen-Orient, l’Iran est à la manœuvre. Financement du Hezbollah et du Hamas, lutte contre Israël, soutien aux Houthis, c’est par Téhéran que passent les routes de la guerre et de la déstabilisation. C’est désormais un bras de fer entre Israël et l’Iran.
Dans l’histoire des dernières décennies du Moyen-Orient, la guerre a d’abord été un affrontement entre Israël et les pays arabes, affrontement soldé par les défaites successives, puis un affrontement entre Israël et les mouvements palestiniens, dont l’OLP. Désormais, c’est entre Israël et l’Iran que l’affrontement se joue. La question palestinienne n’est pas le sujet, ou plutôt n’est plus le sujet. Aucun pays arabe de la région ne souhaite voir la naissance d’un État palestinien autonome, la Jordanie, l’Égypte, le Liban, gardant de très mauvais souvenirs de la gestion des réfugiés de Palestine. Les monarchies du Golfe, riche de leur pétrole, se désintéressent complètement du sort des Palestiniens. Leurs préoccupations sont ailleurs. Comme s’en désintéressent aussi les responsables du Hezbollah et du Hamas : cela n’est pour eux qu’un prétexte.
C’est l’Iran qui joue désormais le facteur de la guerre, pays dont l’idéologie au pouvoir depuis 1979 est celle d’un anti-occidentalisme exacerbé et d’une lutte vitale contre Israël, qui est la caution de survie du régime. L’Iran a donc ses proxys : le Hamas, le Hezbollah, les Houthis, qui bombardent les positions israéliennes et qui sèment la désolation dans les territoires qu’ils contrôlent.
Fragilités iraniennes
Le régime iranien est dans une situation extrêmement fragile. L’année dernière, il a eu à affronter de nombreuses et violentes manifestations qui ont été réprimées dans le sang. La base populaire, soutien du régime, est presque inexistante. Le régime tient par le contrôle de la police et par l’absence d’alternative crédible. S’il devait perdre une guerre frontale contre Israël, cela pourrait aboutir à son renversement. Vue d’Occident, et analysé de façon rationnelle, l’Iran n’a pas intérêt à la guerre. Mais ce n’est pas parce qu’il n’a pas intérêt qu’il ne le fera pas. La rationalité des mollahs n’est pas la nôtre. Une guerre contre un ennemi clairement désigné est aussi la meilleure façon de souder la population en activant la nécessaire union nationale.
Quoi qu’il en soit, l’élimination des cadres du Hezbollah, qui va au-delà de la seule mort de Nasrallah, fragilise l’Iran en réduisant son principal relai d’influence et de puissance dans la région. Les conséquences seront importantes au niveau politique, mais aussi au niveau de la criminalité. Comme l’a très bien démontré Emmanuel Razavi dans son ouvrage enquête La Face cachée des mollahs (Cerf, 2024), l’Iran et ses proxys tirent une grande partie de leurs revenus du trafic de drogue, qui transite notamment par le golfe de Guinée. L’attaque contre le Hezbollah a donc provoqué des remous sur les marchés mondiaux de la drogue.
En Côte d’Ivoire, dans le port de Sassandra, par où transite une partie importante du trafic de cocaïne, des émeutes se sont déroulées sitôt la mort de Nasrallah connue, les cartels du Nigéria ayant tenté de prendre le contrôle du trafic tenu par les hommes du Hezbollah. Celui-ci s’est implanté en Afrique dès les années 1980, c’est-à-dire dès le moment de sa création. Les financements du Hezbollah reposent à 30% sur le trafic de drogue, dont une grande partie passe par les routes africaines, c’est-à-dire la connexion entre l’Amérique latine et le golfe de Guinée, profitant de la diaspora libanaise installée en Afrique de l’Ouest et au Brésil. Autant dire que le combat contre cette organisation et contre le régime des mollahs ne passe pas uniquement par le bombardement de leurs infrastructures, mais aussi par l’assèchement de leurs réseaux financiers.
Quelles suites ?
L’Iran a donc réagi en lançant une salve de missiles contre Israël, dont une grande partie a été interceptée. Entre les drones et les missiles, le total s’élève à près de 200 attaques balistiques. Pas de quoi saturer le système de défense israélien ni mettre le pays en danger. Pour l’instant, c’est donc une réponse mesurée, surtout symbolique. Comme la dernière fois, où l’Iran avait fait prévenir les États-Unis, ce qui ne semble pas être le cas cette fois-ci. Israël devrait répondre, puisqu’il ne lui est pas possible de ne pas réagir. Une partie de ping-pong qui maintient l’équilibre des forces, qu’aucun belligérant ne semble vouloir rompre, pour l’instant.
Mais il n’est pas à exclure que l’Iran monte d’un cran en allant au bout de son programme nucléaire et en finalisant le développement de la bombe. Des essais souterrains devraient alors avoir lieu pour permettre de finaliser le processus. Si tel était le cas, il est évident qu’Israël ne pourrait pas laisser l’Iran se doter de l’arme nucléaire, et qu’en conséquence une réponse militaire serait inévitable, beaucoup plus puissante que les simples échanges de tir. Là seraient la véritable rupture et le principal risque pour la région. C’est donc bien l’Iran qui, aujourd’hui, détient les clefs du Moyen-Orient.