Mathieu Bock-Côté : «L’État de droit divin»



Depuis une cinquantaine d’années, nous nous sommes affranchis de la définition strictement juridique de l’État de droit pour lui préférer une forme politique nouvelle, intouchable et étrangère à la démocratie libérale.


La polémique entourant l’État de droit a traversé la dernière semaine. Pour avoir soutenu que l’État de droit n’est pas sacré, Bruno Retailleau fut cloué au pilori et transformé en ennemi public, comme s’il venait de piétiner un totem. Jamais, toutefois, ceux qui se sont jetés dans la mêlée pour maudire le nouveau ministre n’ont cru nécessaire de préciser ce qu’ils défendaient autrement qu’à travers des formules emphatiques : il suffisait de prononcer les mots « État de droit » pour d’un coup susciter un respect obligatoire, compassé, doublé d’une fureur vengeresse contre ceux qui transgressaient le tabou, comme si on venait de réveiller un dieu.

La question manquante fut celle de sa définition – comme toujours. L’État de droit fait spontanément consensus quand on entend par là une mise en forme institutionnelle qui limite l’arbitraire des pouvoirs publics, appelés à se conformer à la hiérarchie des normes, soumis à une forme de contrôle de constitutionnalité. En un mot, les lois doivent être conformes à la Constitution, qui doit elle-même être interprétée à la lumière des intentions du constituant. Mais nous sommes bien obligés de constater qu’il s’est affranchi de cette définition depuis une cinquantaine d’années, et cela, partout en Occident. Derrière ce terme se cache une forme politique nouvelle, étrangère à la démocratie libérale.

Un homme nouveau

Comment se présente l’État de droit aujourd’hui ? On parle généralement d’un ordre se référant aux droits de l’homme, moins aujourd’hui proclamés que révélés, comme s’ils donnaient un visage nouveau, mais contrefait, à ce qu’on appelait le droit naturel. J’insiste sur leur dimension religieuse, car ils surgissent dans l’histoire comme une révélation censée rendre possible l’émancipation de l’homme sur terre, et même accoucher d’un homme nouveau – n’est-ce pas ce qu’on affirme quand on revendique des droits de l’homme pour justifier le changement de sexe publiquement subventionné ? Ils ont peu à voir avec ce qu’on appelait autrefois les libertés publiques. D’ailleurs, leur liste ne cesse de s’étendre.

Mais qui est appelé à interpréter le droit, à le faire évoluer, comme on dit ? Ce sont des juges pratiquant l’interprétation créative du droit, en s’improvisant, sans le dire, super-législateurs. Ils lisent des textes, des déclarations ou des conventions, adoptées sans que jamais les peuples n’aient été amenés à les valider, mais qu’on leur impose de force en les présentant comme autant d’engagements internationaux sur lesquels il serait immoral de revenir, puis en tirent des conclusions toujours plus contraignantes pour le pouvoir démocratique. C’est ce qu’on appelle avec raison le gouvernement des juges. Leur pouvoir, toujours croissant, se substitue à celui des élus, jugé suspect, car relevant d’un peuple hanté par ses préjugés. Ne devrait-on pas parler désormais de l’État de droit divin ?

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Que reste-t-il de la souveraineté ? Le périmètre du politique ne cesse de se rétrécir, même si l’état d’exception peut toujours être proclamé pour des raisons censées aller dans le sens de l’histoire, comme la santé publique au moment de la crise Covid, la transition écologique ou la lutte contre la haine. C’est d’ailleurs la part d’arbitraire propre à l’État de droit : ses textes peuvent être interprétés de manière très militante lorsqu’il s’agit de s’en prendre à ceux qu’il décrète ses ennemis, rassemblés sous la catégorie parapluie d’extrême droite.

Une réflexion de simple bon sens

Bruno Retailleau rappelait qu’à l’origine de l’État de droit il y a le peuple souverain qui peut déployer, s’il le juge nécessaire, un nouvel ordre institutionnel, un nouveau régime. Retailleau rappelait ainsi la puissance du constituant. Il ne plaidait pas pour l’arbitraire du politique mais pour le droit du peuple, à travers un processus établi, de modifier les paramètres constitutionnels qui structurent son existence collective. Il rappelait qu’un régime n’est pas accroché au ciel mais vient d’abord de la souveraineté populaire et des circonstances historiques – on rappellera d’ailleurs que la Ve république n’est pas née dans de chastes circonstances. Cette réflexion de simple bon sens est assimilée désormais à une tentation illibérale.

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L’État de droit divin, concrètement, conjugue le pouvoir de juges créant le droit en prétendant l’interpréter, de groupes militants convertissant médiatiquement leurs revendications en droits fondamentaux, d’autorités administratives « indépendantes » qui pratiquent sans en avoir reçu le mandat une forme agressive d’ingénierie sociale, et plus de prêcher une censure civilisatrice au nom de la lutte contre la haine et la désinformation, tout cela inséré dans une technostructure mondialisée qui ne cesse de vider la souveraineté nationale de sa substance. Qu’un tel ordre soit adapté pour notre temps, certains peuvent le croire. Qu’il soit sacré ne devrait pas être considéré comme allant de soi.

Mathieu Bock-Côté : «L’État de droit divin» (lefigaro.fr)
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