Outre-mer : territoires oubliés - Par Jean-Baptiste Noé
Les drames sociaux que connaissent les outre-mer sont totalement oubliés. Alors que ces territoires constituent un levier de puissance majeur pour la France, ils ne figurent dans aucune pensée et réflexion stratégique. Par Jean-Baptiste Noé.
Depuis plusieurs semaines déjà, la Martinique subit des émeutes violentes, des attaques de magasins, des pillages. Un couvre-feu a été ordonné par le préfet, à peu près aussi utile et efficace qu’un seau d’eau dans un incendie. En cause ? La « vie chère », terme fourre-tout qui désigne néanmoins une réalité : les prix sur l’île sont beaucoup plus élevés qu’en métropole. Les raisons sont multiples. Le coût du transport, alors que la Martinique s’approvisionne en France et non pas aux États-Unis ou dans ses pays voisins. Le coût de la main-d’œuvre locale, pour des activités agricoles qui sont très peu mécanisées (notamment la banane et la canne à sucre), alors que les salaires sont, comparativement, supérieursà ceux de la région. Il faudrait soit l’un (mécanisation forte, peu de main-d’œuvre), soit l’autre (peu de mécanisation, mais main-d’œuvre peu chère). L’île cumule les deux tares, essentiellement pour maintenir des emplois de type keynésien. La rentabilité est donc faible ainsi que le dynamisme économique.
Notons que la Guadeloupe n’est pas concernée par ce mouvement, alors que les conditions sociales et économiques sont similaires. Je n’ai pas d’explication à cette différence.
Les tentatives de développer le tourisme ont échoué. Rares sont les métropolitains qui se rendent aux Antilles françaises pour leurs vacances. En cause les prix, la qualité hôtelière et l’accueil. Encore un échec économique.
Le drame de l’octroi de mer
L’autre facteur incriminé est celui de « l’octroi de mer », une taxe spécifique qui remonte au temps de Colbert. Cet octroi est présenté comme suit sur le site des douanes :
« L’octroi est une imposition spécifique dont la particularité est d’être une taxe applicable aux régions d’outre-mer. Il se chiffre en fonction de la valeur marchande des biens.
Elle est un instrument essentiel pour le financement des territoires d’outre-mer. Elle permet notamment de protéger les productions locales des importations. L’octroi constitue également une source de financement pour les communes de la région Martinique.
Ainsi, que l’on importe le même bien ou non à la Martinique ou à en Guyane l’administration fiscale n’appliquera pas le même taux de taxe pour l’octroi de mer. Il faut également savoir que cette imposition de l’octroi de mer se divise en deux : l’octroi de mer et l’octroi de mer régional.
Pour le cas de la Martinique, l’octroi de mer comprend un total de onze taux qui varient de 0 à 50 % de la valeur du bien importé. L’octroi de mer régional est plus modeste dans la mesure où il varie de 0 à 2.5% de la valeur du bien. »
Les objectifs sont donc clairs : augmenter le prix des biens importés afin de protéger les productions locales. C’est-à-dire créer une barrière douanière pour favoriser les productions des Antilles. Les taxes s’appliquent donc notamment aux pâtes, aux conserves, aux couches. Comme chacun sait, le climat et la géographie des Antilles sont tout à fait adaptés à la production de blé pour les pâtes.
L’argent ainsi collecté sert au financement de la région et aux communes. Grâce à ces taxes, il est donc possible de financer des emplois de fonctionnaires, de l’associatif, de la solidarité. Supprimer les taxes, c’est donc mettre en péril l’équilibre redistributif du système politique.
Encore un bel exemple d’effets néfastes des systèmes socialistes. Un rapport de la Cour des comptes de mars 2024explique ainsi que cette taxe représente un tiers du budget des communes. On peut admirer la maitrise de l’euphémisme par les rédacteurs du rapport : « L’effet direct de l’octroi de mer sur la santé et le développement du tissu entrepreneurial ultramarin est au mieux non démontré, au pire négligeable. » C’est dommage, car c’était cela la raison d’être de l’octroi, non le gonflement des budgets municipaux afin de créer une clientèle locale. Le rapport poursuit : « Quant à l’effet sur la création d’entreprises, il reste globalement faible selon les estimations de la présente évaluation, qui constate cependant que l’octroi de mer a tendance plutôt à favoriser les entreprises présentes qu’à susciter des créations d’entreprises. »
Socialisme territorial
C’est là le classique effet du village fortifié : empêcher les autres de rentrer, empêcher les créations internes, mais maintenir les situations existantes et les rentes. L’octroi ne permet donc pas le dynamisme de l’île et en ne suscitant pas la création d’entreprise, c’est l’avenir qui est sacrifié. On ne s’étonnera alors pas que les habitants de l’île votent majoritairement socialiste : PS autrefois, RN aujourd’hui.
Le résultat, c’est que les problèmes sociaux, réels, de la Martinique et des outre-mer ne sont jamais traités. Pourquoi l’île Maurice a-t-elle réussi là où les îles françaises ont échoué ? Pourquoi de nombreuses îles des Caraïbes et des Antilles sont-elles plus dynamiques et développées que les îles françaises ? Ce sont les questions essentielles à poser et à résoudre.
Avec son corollaire : que veut-on pour ces territoires ? En faire des leviers effectifs de la puissance française, des points d’appui pour une présence mondiale ou des terres lointaines et folkloriques à qui quelques aides sociales permettent d’éteindre les incendies et d’acheter les fidélités ?
C’est aujourd’hui la Martinique qui connait des drames sociaux, comme la Nouvelle-Calédonie, dont les problèmes sont autres. Mais la même absence stratégique parcourt la Réunion, la Guyane, les îles de l’océan Indien et celles du canal du Mozambique. On ne peut pas à la fois être obnubilé par le Doliprane et développer une pensée stratégique mondiale.