Philippe Nemo : «Impôt socialiste, impôt libéral… Aux origines philosophiques de notre cauchemar fiscal»

Pour le philosophe Philippe Nemo, la France a renoncé à toute réflexion en matière fiscale et l’ensemble de la classe politique a tourné le dos aux principes libéraux en la matière.


Normalien et docteur en philosophie politique, Philippe Nemo a notamment publié « Philosophie de l’impôt » (PUF, 2017) et « La Philosophie de Hayek » (PUF, 2023).

LE FIGARO. - Alors que la gauche a diminué les impôts qui pesaient sur les entreprises sous François Hollande, un gouvernement de droite s’apprête à augmenter la fiscalité des ménages les plus riches et des entreprises. Comment expliquer ce paradoxe ?

PHILIPPE NEMO -
Par le fait que la classe politique française, composée souvent de fonctionnaires et de personnes formées à Sciences Po et à l’université publique, est très largement acquise aux idées de la gauche en matière fiscale. Seuls, parmi les députés, quelques entrepreneurs ou quelques curieux de science économique ont entendu parler du fait que les impôts sont plus souvent un problème qu’une solution. La France est le pays le plus imposé du monde, et ce n’est certes pas le plus riche : cherchez l’erreur. Le plus triste, pour ne pas dire le plus décourageant, est d’avoir vu les députés du MoDem, prétendument centristes, entrer en concurrence avec ceux de LFI pour rajouter de la prédation fiscale tous azimuts lors de l’examen du projet de loi de finances en commission.

LE FIGARO. - Pourtant, historiquement, les philosophies socialiste et libérale de l’impôt sont tout à fait distinctes. Quelles sont leurs principales différences ?

L’impôt libéral fait contribuer les citoyens aux dépenses légitimes de l’État, liées à ses fonctions régaliennes (police, justice, diplomatie, défense, administration) et à la fourniture de biens et services qui ne peuvent être fournis adéquatement par le marché (infrastructures de transport et de communication, certaines dépenses de santé et d’éducation, certaines garanties sociales de base). C’est un coût qui peut être élevé, mais qui est fixe. Une fois que les contribuables ont payé leur part, selon un principe de proportionnalité, le prélèvement n’a pas de raison d’aller au-delà. D’autre part, c’est un impôt juste, en ce sens que celui qui le paie reçoit en échange un service réel. Il peut donc exister un consensus à son sujet.

L’impôt socialiste a un tout autre but, qui est de corriger les inégalités sociales, dans l’idée hautement problématique que celles-ci résulteraient d’une violence faite à une partie de la population par une autre. Il se présente comme la réparation d’une injustice, ce qui le dispense d’être juste lui-même. Et, comme il a pour horizon l’égalité, il n’a pas de limite. Tout ce qu’ont certains et que d’autres n’ont pas est une anomalie que l’impôt peut et doit corriger. L’impôt sera donc progressif, on lui ajoutera des tranches toujours plus confiscatoires, on décrétera des impôts sur le capital, sur l’héritage, on créera des taxations exceptionnelles, sans raison et sans vergogne. Or c’est un vol, puisqu’on ne donne rien en échange à ceux à qui on le prélève, qu’on veut simplement rendre plus pauvres. Sur cet « impôt sans contrepartie », il ne peut certes plus y avoir consensus. Il est créé par un pur rapport de forces. Or il est bien certain qu’en démocratie les « riches » ont moins de force politique que les pauvres, puisqu’ils sont une minorité de l’électorat. La classe politique n’a plus qu’à suivre la pente.

LE FIGARO. - Quelle est l’origine philosophique et politique de ces deux modèles d’impôt ?

Cela n’est pas dû seulement à deux philosophies explicites, mais à deux visions antagoniques de ce que doit être l’ordre social, visions profondément inscrites dans les inconscients et dont il est donc difficile de débattre rationnellement. L’une est celle qui prévalait dans les tribus avant l’émergence de la civilisation. Voyez le fameux rite « muru » des Maoris de Nouvelle-Zélande, qui consistait à venir razzier la maison d’individus que le groupe jugeait trop riches. Toute la communauté participait à ce rituel en chantant et en dansant, mais la contrepartie était que la société restait indéfiniment dans le même état de pauvreté. Les hurlements qu’on entend aujourd’hui en faveur de la création d’impôts supplémentaires relèvent de cet atavisme anthropologique. L’autre paradigme est celui qui a été peu à peu forgé dans les esprits en Occident depuis l’invention de la protection juridique de la propriété privée par le droit romain. Quand il y a propriété privée, il peut y avoir des échanges volontaires justes et mesurés, donc il peut y avoir une division efficace du travail. Celui-ci peut se spécialiser et devenir plus productif. La production et la consommation en sont exponentiellement augmentées. C’est ce modèle qui a rendu possible l’incroyable développement économique et démographique du monde depuis deux ou trois siècles, initié en Occident et étendu aujourd’hui à de vastes zones de la planète.

LE FIGARO. - Mais ce deuxième modèle crée aussi des inégalités qu’il est difficile de nier…

Certes, puisque alors l’économie est un « jeu à somme positive » où tous sont gagnants dans l’absolu, mais où il y a des gagnants et des perdants relatifs selon les talents et les chances de chacun. Mais il ne s’agit pas d’une inégalité structurelle, comme dans les sociétés de castes qui prévalaient avant l’époque moderne. C’est une inégalité qui s’autolimite, puisque celui qui s’est enrichi en produisant le premier un bien ou un service très demandé peut à tout moment être rattrapé et dépassé par la concurrence. L’essentiel est de comprendre que, si l’on intervient autoritairement dans le jeu en gommant ses effets en termes de revenus, alors que ceux-ci sont le guide cognitif essentiel qui permet à l’agent économique de connaître les besoins et les ressources sociaux et d’y faire correspondre exactement ses activités, on compromet la cybernétique même du système économique. On empêche l’économie d’atteindre le degré de productivité et de production qu’elle pourrait atteindre, et on appauvrit à moyen terme ceux-là mêmes qu’on avait promis d’enrichir en pillant les riches. C’est ce que démontrent toutes les expériences socialistes de l’histoire.

LE FIGARO. - Comment expliquer que l’augmentation continue de l’impôt s’accompagne de la dégradation des services publics essentiels ?

Les prélèvements obligatoires sont de l’argent qui, par définition, va à des bureaucraties publiques. Or plus les bureaucraties grandissent, moins il est possible d’y organiser efficacement le travail, surtout quand des règles syndicales et des habitudes d’autogestion rendent impossible un vrai management. Les individus sont déresponsabilisés, puisque personne ne peut vraiment ni vérifier ni récompenser leur travail. D’autre part, le poids politique de ces bureaucraties leur permet d’obtenir, par des menaces de blocages ou de grèves, une manne d’argent public toujours plus grande, qui leur sera octroyée au fil des promesses électorales par des responsables politiques à qui cet argent ne coûte rien personnellement. On aboutit ainsi à des situations où des millions de personnes ont des revenus ne correspondant nullement à la valeur marginale réelle du travail qu’elles ont fourni. Ceci répond donc exactement à votre question : à la fois, ces bureaucraties publiques sont de moins en moins efficaces et elles coûtent de plus en plus cher. On ne mettra fin à ce cauchemar qu’en rendant le plus possible d’argent à la société civile, pour qu’il y soit dépensé selon les logiques rationnelles de l’économie de marché où chacun est directement responsable et comptable de ce qu’il fait.

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