Élection de Trump : «La récréation est terminée» - Par Édouard Tétreau
La victoire de Donald Trump prouve que l’homme d’affaires a su bâtir un projet collectif, contrairement à Kamala Harris, cantonnée aux intérêts minoritaires et catégoriels, analyse Édouard Tétreau. Il est temps que l’Occident sorte du logiciel de l’assistanat et de la prime victimaire, insiste l’essayiste.
Édouard Tétreau est essayiste. Dernier ouvrage paru : Les États généraux (éditions de L'Observatoire, 2020).
«It's not the economy, stupid !» Parmi les nombreuses leçons à tirer de la déroute électorale de Kamala Harris hier soir, et de la gauche américaine pour de nombreuses années, il en est une évidente : le sujet n'est pas l'économie, contrairement à ce que martelait Bill Clinton en 1992. Et derrière lui, tous ceux qui se sont laissé aller, en Occident, à cette facilité intellectuelle et programmatique ces trente dernières années. L'économie est un sujet secondaire pour les peuples lorsqu'ils se sentent menacés de l'extérieur, agressés au quotidien, contestés dans leurs modes de vie, «invisibilisés», pour reprendre un néologisme à la mode.
Comme en 2016, Trump a été élu alors que l'économie américaine est aussi florissante (4% de chômage, 87.000$ de PIB par habitant, près du double de la France) que la société américaine est malade. Fracturée, doutant d'elle-même, de sa place dans le monde, et de la solidité de ses valeurs fondamentales : promenez-vous dans les rues de San Francisco ou de New York pour respirer les effluves omniprésents des drogues de synthèse, et vous aurez une juste idée de la «work ethic» américaine au 21e siècle. Les 100.000 morts annuels par overdose d'opioïdes donnent eux aussi la mesure de l'incroyable déréliction de l'Amérique.
Le sujet n'est pas, n'est plus l'économie, mais bien l'identité, et le sens du collectif que peut encore se donner une nation. Les démocrates, avec leur si inaudible candidate de dernière minute Kamala Harris, se sont repliés sur leurs plus petits dénominateurs communs : un peu de communautarismes ici et là (photo-ops dans des églises d'Afro-Américains, rencontres artificielles de Latinos, de Blancs déclassés) ; on joue ad nauseam la carte de l'avortement, ce grand diviseur de la société américaine (visiblement sans succès, les femmes ayant peu suivi) ; on met en scène une prétendue supériorité morale et intellectuelle (la posture de la procureure de San Francisco surdiplômée, gentiment culpabilisatrice, mais entourée de toutes les stars du moment). Mais au fond, aucun projet collectif pour la nation américaine, à part des mots vides de sens tant ils sont éloignés du réel américain. La paix, la concorde, les petits oiseaux, formidable : mais pour qui, et comment ?
La campagne de Donald Trump était bien plus simple, et moins prétentieuse. Utilisant un vocabulaire souvent ordurier pour bien se faire comprendre, mimant des pratiques sexuelles clintonesques, passant de la musique en meetings lorsqu'il était à court d'arguments, Donald Trump, au fond, avait un message qui se résumait en quelques mots. Non pas «Make America Great Again», qui devenait «Make America Crazy Again». Mais les trois mots, si américains et si authentiques, qu'il prononça le poing levé, quelques secondes après sa tentative d'assassinat : «fight, fight, fight» ! «Battez-vous. Battez-vous pour vous-mêmes, votre famille, votre pays. Et moi, je me battrai pour vous. À coups de barrières douanières, de chantage à l'OTAN, de “deals” avec ceux qui parlent comme moi le langage de la force et de l'argent, de Vladimir Poutine à Elon Musk.»