La capitalisation : un moyen de sortir par le haut de la crise des retraites ? - Par Bertrand Martinot

Le débat frénétique autour de la dernière réforme des retraites est de nouveau passé à côté de sujets essentiels. Enfermés dans une vision comptable et une vision apocalyptique du monde du travail, nous avons négligé les enjeux considérables en termes de performance économique et d’équité qui sont pourtant inhérents au choix d’un régime de retraite et de son mode de financement. Une note de Bertrand Martinot pour la FONDAPOL.


L’analyse économique aussi bien que les faits empiriques invalident l’idée selon laquelle la retraite par répartition serait par nature plus « juste » qu’un mode de financement diversifié faisant appel à un pilier par capitalisation. De fait, notre système actuel est doublement injuste : favorable aux retraités actuels, il fait peser un poids insupportable sur les générations d’actifs et de retraités futurs ; quant aux travailleurs les plus modestes, dépourvus d’épargne, ils sont de fait privés de l’accès à des rendements du capital qui croissent plus vite que les salaires.

Sur la base des paramètres du système actuel (durée légale et durée de cotisations) et des projections du COR, cette note présente une simulation détaillée de la montée en puissance d’un fonds de capitalisation collectif et obligatoire permettant à long terme de couvrir financièrement un tiers des dépenses de retraite du secteur privé.

La longue et délicate période de transition d’un système à un autre est étudiée : elle réclame nécessairement quelques sacrifices à court terme mais permettrait à l’horizon de quelques années une baisse sensible des cotisations de retraite qui sont aujourd’hui les plus élevées de l’OCDE. Elle est inséparable, par ailleurs d’un redressement général de nos finances publiques car un tel système ne saurait être financé par un surcroît d’endettement public.

En outre, cette solution apporterait une réponse à l’immense besoin de notre pays d’investir et de se projeter dans l’avenir tout en redonnant des marges de manœuvre à nos entreprises pour innover et éviter un décrochage de notre appareil productif. C’est pourquoi elle devrait figurer en bonne place dans un programme plus vaste de redressement économique et social du pays.



Retraites : la capitalisation, un vrai rêve marxiste ! 

Par Nicolas Bouzou

Economie. Notre chroniqueur (L'Express) soutient la proposition du sénateur Franck Dhersin d’introduire une dose de capitalisation. Idée partagée par l’économiste Bertrand Martinot, auteur d’une récente note sur le sujet.

Pure folie que de prétendre que l’on va revenir sur la courageuse réforme des retraites menée par Olivier Dussopt il y a dix-huit mois. Si l’on veut trouver un seul défaut à cette réforme, c’est d’avoir accordé, pour des raisons politiques, trop de concessions sur les dispositifs concernant les carrières longues, dispositifs qui coûtent cher. De fait, le régime de base pourrait être déficitaire dès cette année et il faudra remettre le couvert de la réforme d’ici quelques années. Encore une fois, il faudra trouver le moyen d’allonger la durée moyenne de cotisation. Encore une fois, la France sera bloquée plusieurs semaines. Encore une fois, le gouvernement sortira essoré de cette séquence, sans capacité à mener d’autres réformes. Et surtout, après la prochaine réforme, il faudra prévoir une autre prochaine réforme. Et oui, dans un pays où les gens vivent de plus en plus vieux et font de moins en moins d’enfants, un régime de retraite par répartition est amené à être réformé quasiment en continu pour décaler toujours plus tard l’âge moyen de départ en retraite à taux plein. Le mur de la démographie nous fait toucher du doigt les limites d’un système de pure répartition.

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Un système qui creuse les inégalités patrimoniales

C’est la raison pour laquelle l’amendement présenté au projet de loi de financement de la sécurité sociale par le sénateur des Hauts-de-France, Franck Dhersin (Horizons), qui introduit une dose de capitalisation dans notre système, arrive à point nommé. Pour bien comprendre l’enjeu, on lira la note que Bertrand Martinot vient de publier pour la Fondation pour l’innovation politique (La capitalisation : un moyen de sortir par le haut de la crise des retraites ?). Cet économiste souligne que le système français repose quasi exclusivement sur la répartition, avec 97,8 % des retraites financées par ce modèle. Ce choix se distingue des autres grandes économies, où la capitalisation occupe une place plus significative.

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Résultat : des dépenses publiques de retraites en France parmi les plus élevées au monde (plus de 13 % du PIB), des cotisations très élevées (27,8 % des salaires bruts) qui pèsent sur la compétitivité des entreprises et un système qui creuse les inégalités patrimoniales. En effet, les travailleurs modestes, dépourvus d’épargne, ne touchent qu’une petite retraite issue du système par répartition alors que les jeunes générations héritent d’une dette sociale insoutenable. Surtout, notre pays est incapable de mobiliser un capital qui s’investirait dans nos entreprises pour rémunérer les retraités. La capitalisation nous manque à tout point de vue.

Créer un fonds collectif et obligatoire

Bertrand Martinot rappelle un principe économique fondamental : le rendement du capital est structurellement supérieur à la croissance économique. Cet écart rend la capitalisation plus performante à long terme pour financer les retraites. Contrairement à une idée répandue, la capitalisation n’est donc pas plus risquée que la répartition, à condition de diversifier les investissements et de limiter les placements en actifs volatils, ce que la réglementation fera facilement. Plus encore, un pilier de capitalisation obligatoire permettrait de démocratiser l’accès au capital. En dotant l’ensemble des travailleurs d’un portefeuille d’épargne retraite collectif, on orienterait l’épargne nationale vers des secteurs stratégiques, favorisant ainsi la souveraineté économique.

Pour constituer une première couche de capitalisation, Bertrand Martinot propose la création d’un fonds de capitalisation collectif et obligatoire, destiné à couvrir à terme un tiers des dépenses de retraite du secteur privé. Pour alimenter ce fonds, un effort collectif serait nécessaire, qui devra être équitablement partagé : par les retraités actuels, par les actifs et les entreprises via l’introduction d’une cotisation à la capitalisation, et enfin par l’Etat, qui compenserait en partie ces efforts par une réduction d’impôts gagée par une réduction de ses propres dépenses. Une fois en place, ce système mixte alimenterait l’innovation et réconcilierait justice sociale et performance économique en permettant à tous les travailleurs de bénéficier des rendements du capital. Un vrai rêve marxiste !

A l’heure où la gauche est intellectuellement défaite et où la droite est à court d’idées, l’introduction d’une dose de capitalisation, pour les futurs retraités mais surtout pour notre puissance économique, est une excellente proposition. Puisse l’amendement Dhersin passer le cap du 49.3 !


Capitalisation : les pistes de la Fondapol pour réformer les retraites

Selon l’économiste Bertrand Martinot, il faut introduire une dose de capitalisation pour des raisons d’équité entre générations et d’efficience économique.

Propos recueillis par Philippine Robert (Le Point)

Économiste et ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy à l'Élysée, Bertrand Martinot propose dans une note pour la Fondapol (Fondation pour l'innovation politique), un think tank libéral, d'introduire une dose de capitalisation dans notre système de retraites.

Le Point : Pourquoi remettre sur la table le sujet de la capitalisation ?

Bertrand Martinot :
Ce système me semble pertinent, tout d'abord pour des raisons d'équité entre générations. Le taux de rendement de la retraite par répartition baisse tendanciellement au fur et à mesure que la population vieillit. Celui de la génération actuelle de retraités se situe à environ 2 % en moyenne, alors que pour ceux qui sont nés à partir de 1975, il sera en dessous de 0,5 %, même pas le taux de rendement du livret A…

À cause de la démographie, il n'y a pas d'équité entre les générations. La capitalisation serait également pertinente pour des raisons d'efficience économique : le rendement du fonds de capitalisation envisagé serait supérieur à la croissance économique et permettrait donc de financer le même niveau de pension avec, à terme, des taux de cotisation inférieurs. Ce fonds de capitalisation monterait à très long terme à 50 % du PIB, et serait en partie investi dans les fonds propres des entreprises françaises.

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Comment fonctionnerait le système que vous proposez ?

À long terme, la capitalisation représenterait un tiers du système et la répartition, deux tiers. Il est important de conserver les deux piliers pour diversifier les risques, qui ne sont pas les mêmes. Pour la capitalisation, le risque est financier. Pour la répartition, il est surtout politique et démographique. Il faut aussi conserver les deux pour des raisons de faisabilité : on ne peut pas demander un double effort trop important pour les générations actuelles.

Dans mon scénario, par convention, je n'ai pas touché au niveau des pensions ni à l'âge de départ, ce qui ne change rien au raisonnement. Les partenaires sociaux géreraient ce fonds, comme ils gèrent aujourd'hui l'Agirc-Arrco. Ce système ne concernerait que les salariés du privé, mais pourrait être étendu au public si l'on changeait les règles de calcul des pensions dans le public, ce qui est un autre sujet.

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Par ailleurs, la fonction publique dispose déjà d'une part de capitalisation : les syndicats gèrent un fonds de près de 45 milliards d'euros – l'Erafp. On peut également imaginer combiner ce système avec la retraite par points, comme en Suède. Pour créer un fonds de capitalisation, il faut également l'alimenter. Le faire par de l'endettement public supplémentaire serait impossible dans l'état actuel de nos finances publiques. Il faut le financer avec du « véritable argent », c'est-à-dire du travail et de l'épargne supplémentaires.

L'effort devrait être collectif. Les actifs devraient travailler plus, les entreprises subiraient des cotisations supplémentaires, les retraités actuels seraient aussi, pour la première fois lors d'une réforme des retraites, mis à contribution. L'État pourrait aussi prendre sa part : en diminuant ses dépenses, il dégagerait des marges de manœuvre pour baisser les prélèvements obligatoires et ainsi compenser en grande partie la hausse temporaire des cotisations sur les salariés et les entreprises…

On voit bien la difficulté à réformer les retraites… Pensez-vous que cela soit faisable politiquement ?

Pour le moment, non. Techniquement, les solutions existent, même si la période de transition pose beaucoup de questions. Mais politiquement… Il faut du courage et une vision de long terme. On peut déjà difficilement toucher à l'indexation des retraites sur six mois en 2025, donc ça commence mal [le gouvernement a finalement annoncé que toutes les pensions seraient revalorisées de la moitié de l'inflation en juillet, NDLR].

Pour aider à amorcer ce nouveau système, je propose notamment une désindexation partielle des retraites pendant plusieurs années. Sans changement de discours politique radical, qu'il soit de droite ou de gauche, et la prise de conscience qu'un effort collectif est nécessaire, nous n'y arriverons pas. Mais l'absence d'action sur le sujet rendra les gouvernements encore plus impopulaires sur le long terme… Il vaut mieux être impopulaire à l'instant T, et agir.

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Pour que cela fonctionne, il faut demander un effort collectif, et expliquer que ce n'est pas pour financer des dépenses publiques supplémentaires, mais pour financer l'économie, épargner pour faire face aux défis de demain – transition énergétique, forces armées, retard technologique, dépendance… –, donc se projeter dans l'avenir et renforcer les fonds propres de nos entreprises pour qu'elles investissent davantage. Il est également indispensable de protéger juridiquement ce système des tentations prédatrices de l'État pour s'assurer qu'il n'ira pas taper dans la caisse !

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