Le rapport Ravignon sur le millefeuille territorial va donner lieu à... un nouveau rapport ! - Par Romain Delisle et Philbert Carbon
Depuis 2015 et l’adoption des lois NOTRE (nouvelle organisation territoriale de la République) et MAPTAM (modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles), la simplification du millefeuille territorial français n’a pas été poursuivie.
Le 9 juillet dernier, l’Iref se faisait l'écho du rapport de Boris Ravignon qui mettait notamment en exergue le coût de l’enchevêtrement des compétences des collectivités territoriales et une action publique locale éclatée. Le maire de Charleville-Mézières (Ardennes) l’estimait à 7,5 milliards d’euros (Md€) par an. Dans son rapport, Boris Ravignon ne restait pas au niveau du constat. Il faisait aussi des propositions – 36 au total – pour tenter de remédier à la situation.Il nous semblait que le Gouvernement et le Parlement disposaient ainsi d’une base solide pour lancer des réformes d’ampleur. Ce n’est pas l’avis de Michel Barnier début novembre !
Les compétences enchevêtrées des collectivités locales et de l’État: un fouillis territorial à 7,5 milliards d’euros par an
écrit par Romain Delisle - 9 juillet 2024
Le rapport Ravignon et celui d’Éric Woerth ont cependant le mérite d’attirer l’attention sur ce serpent de mer de notre vie politique qu’est la suppression de compétences enchevêtrées entre l’État et les collectivités locales ainsi qu’entre les collectivités elles-mêmes, dont les organismes doublonnent ou « triplonnent » fréquemment sur un certain nombre de missions.
Décentralisation : une rationalisation stoppée au milieu du gué
Interrogés par les rapporteurs, via un sondage, les Français semblent avoir saisi avec acuité que « tous les niveaux d’administration sont en charge de tout », les sondés ayant, en moyenne, identifié 1,73 strates de collectivités par compétence (telles que la santé, l’urbanisme, la ruralité, les politiques sociales ou économiques).
Avec les lois NOTRE et MAPTAM, le législateur avait pourtant essayé de clarifier la situation en limitant la clause de compétence générale aux communes, en réduisant le nombre de régions métropolitaines (de 22 à 13) et d’EPCI (le seuil de création passant de 5 à 15 000 habitants). Mais, laissant son œuvre inachevée, il a maintenu un certain nombre de compétences légalement partagées par toutes les collectivités comme la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes, la culture, le sport, le tourisme ou certaines compétences éducatives. L’ensemble de ces domaines d’intervention concentre 10,6 % de la dépense des collectivités, soit 23,4 Mds€ en 2022 : ce qui est très loin d’être marginal.
Une indigestion de normes préjudiciable aux finances publiques
Dans les faits, le flou entretenu par un partage incohérent des compétences, la multiplication des délégations possibles entre collectivités, l’inefficacité d’un « chef de file » (la région en matière économique par exemple) et l’empilement de normes par l’État (34 schémas, 51 plans, 42 dispositifs de zonage et 4 416 lois et règlements depuis 2009) ont fini par créer un véritable chaos territorial où chacun empiète sur le rôle de l’autre.
En cherchant bien on peut trouver, par exemple, 1 115 aides différentes versées aux particuliers pour la réalisation de travaux à leur domicile, 338 pour l’acquisition d’un vélo et 150 relatives à l’accession à la propriété. Le total des financements croisés, c’est-à-dire, des sommes allouées en subventions visant le même public mais au travers de collectivités différentes, atteignant 14 Mds€.
Selon les calculs de la mission conduite par le maire de Charleville-Mézières, le coût total de cet enchevêtrement des compétences s’élèverait à 7,5 Mds€, dont 6 Mds€ pour les collectivités et 1,5 Mds€ pour l’État. Il prend en compte le temps perdu en démarches inutiles entre plusieurs agents administratifs s’occupant des mêmes problèmes ; et la valeur de ce temps est elle-même estimée à partir du taux horaire d’un fonctionnaire de catégorie A.
D’un point de vue analytique, l’organisation des rapports entre toutes les strates de collectivités, avec ce que cela suppose de ressources humaines pour coordonner le travail de tous ces acteurs, mobilise 85 % du budget des dépenses ; suivent les financements croisés, 13,1 %, et la « comitologie » (comprendre les « comités Théodule ») pour le reste.
Depuis les lois Deferre de 1981, et l’acte II de la décentralisation des années 2000, le transfert de compétences de l’État vers les collectivités territoriales a été conduit sans souci de rationaliser la dépense publique. Les administrations publiques locales ont ainsi dépensé bien plus que l’augmentation de leur périmètre de compétence ne le laissait prévoir. Aussi faut-il recommander la suppression d’une strate de collectivités, les conseils départementaux par exemple, ainsi qu’une réforme globale de la fiscalité locale, via un système de centimes additionnels à l’impôt sur le revenu peut-être, ou mieux encore un rétablissement de la taxe d’habitation sur des bases claires et simples. Cela pousserait les élus locaux, toujours prompts à tendre la sébile vers l’Etat, à plus de responsabilité en matière fiscale. Il faut également leur donner la liberté de s’associer comme ils l’entendent, plutôt que d’imposer un format unique de coopération à des collectivités locales très diverses. Les choses sont plus simples à gérer lorsque l’on laisse les acteurs concernés les prendre en main.
Les compétences enchevêtrées des collectivités locales et de l’État : un fouillis territorial à 7,5 milliards d’euros par an - IREF Europe FR
Le rapport Ravignon sur le millefeuille administratif va déboucher sur… un nouveau rapport
écrit par Philbert Carbon le 17 novembre 2024
Rappel - Dans son rapport, Boris Ravignon faisait 36 propositions pour tenter de remédier à la situation avec trois objectifs :
- revoir la décentralisation française pour associer toujours à l’attribution d’une responsabilité politique, le transfert de compétences cohérentes et la disposition des moyens financiers nécessaires ;
- mieux respecter le principe de libre administration dans la création de normes applicables aux collectivités territoriales ;
- simplifier les normes pesant sur les collectivités territoriales.
La lettre de mission précise les quatre axes autour desquels il doit articuler son travail :
- la simplification des relations entre l’État et les collectivités territoriales ;
- la refondation du financement des collectivités territoriales ;
- la performance des collectivités ;
- les contours d’une nouvelle gouvernance partenariale avec les collectivités locales pour « réduire efficacement l’impact du millefeuille normatif sur les finances des collectivités ».
Michel Barnier a raison, rien ne presse. Ce n’est pas comme s’il était urgent de réduire nos dépenses publiques et notre bureaucratie. Celui qui se dit gaulliste serait-il finalement un disciple d’Henri Queuille ? Ce radical-socialiste, qui fut trois fois président du Conseil sous la IVe République, disait : « Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout » !