L’urgence climatique épuise l’opinion et menace la transition - Par Eric Leser

La lassitude de l’opinion, à force de lui annoncer l’apocalypse climatique et énergétique, est devenue aujourd’hui l’un des principaux obstacles à la transition énergétique. Agiter les peurs mobilise mais finit aussi, à force de leçons moralisantes et d’emphase, par être contre-productif. La transition énergétique est ainsi maintenant rejetée par une frange grandissante de la population. 


La fable d’Ésope est universellement connue, mais sa leçon a été oubliée par bon nombre de militants écologistes et leurs relais médiatiques. C’est l’histoire d’un berger qui sans cesse criait au loup et a fini un jour par se faire dévorer, lui et ses moutons, quand l’alerte a fini par être réelle mais n’a plus attiré l’attention de personnes lassées d’être appelées au secours pour rien.

On la retrouve décrite de façon plus scientifique par l’économiste américain de la Brookings Institution, Anthony Downs, en 1972, avec sa notion d’issue attention cycle (le cycle de l’attention aux problèmes). Il distingue cinq stades de ce cycle.

Alarme et volontarisme

Le premier est celui de l’apparition d’un problème dont la perception reste cantonnée au cercle des experts. La question de l’impact des émissions de gaz à effet de serre a ainsi été débattue par les climatologues tout au long des années 1980 sans que le grand public ne s’en préoccupe outre mesure. Deuxième stade, celui de la découverte du problème soudaine et alarmante par le public et parallèlement d’un certain optimisme sur la capacité de la société, si elle se mobilise, à y faire face. Il a commencé il y a environ trente-cinq ans, lorsque le problème rebaptisé changement climatique a fait irruption dans la sphère publique. La couverture médiatique mondiale du climat et de la transition énergétique a ainsi été plus que décuplée.

Au point d’ailleurs que certains médias qui se veulent exemplaires comme Radio France ont pris l’engagement solennel d’en faire « un axe éditorial majeur » et a même lancé « le plus grand plan de formation de son histoire à destination de ses journalistes, ses producteurs et équipes de production, et ses animateurs, sur les questions climatiques ». Le greenwashing ne concerne pas seulement les grands groupes industriels… Jusqu’à la fin de la décennie 2010, les engagements climatiques ont ainsi été marqués par une réelle ferveur, parfois naïve, pour se mobiliser et trouver les moyens de résoudre le problème.

Un pur mirage

Mais près de dix ans après la COP 21 de 2015 à Paris, qui a été le sommet de cet élan portant la transition, la réalité a balayé l’optimisme et l’enthousiasme. L’engagement unanime pris en 2015 consistant à limiter l’ampleur du changement climatique en éliminant les émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici 2050 via la transition énergétique apparaît comme un mirage. Les émissions ont atteint un niveau record en 2023 tout comme la consommation de pétrole, de charbon et de gaz naturel. Et ce sera très certainement encore le cas cette année et les suivantes. Les combustibles fossiles représentent encore plus de 80% de la consommation d’énergie primaire dans le monde et les efforts plus ou moins efficaces des pays développés et notamment européens ont un impact insignifiant, effacés par la volonté, légitime, des pays en développement de faire de l’augmentation du niveau de vie de leurs populations la priorité. Et cela passe par l’accès à une énergie bon marché et abondante, c’est-à-dire en l’état actuel des choses, fossile.

La difficulté de mener la transition énergétique, c’est-à-dire de substituer dans des conditions économiques, sociales et politiques acceptables les carburants fossiles par des énergies bas carbone en l’espace de quelques décennies a été et est sous-estimée par les institutions, les militants, les politiques et les médias. La transition énergétique est d’abord et avant tout une transformation physique. Ce qui est souvent mal compris par les donneurs de leçons qui bâtissent des scénarios et des stratégies imparables sur quelques décennies.

À l’ère numérique, nous nous sommes habitués à des transformations rapides. Il a fallu neuf mois à TikTok et deux mois à ChatGPT pour atteindre 100 millions d’utilisateurs. Mais un système énergétique est une entité physique. Les transitions énergétiques historiques ont pris plusieurs décennies, voire plusieurs siècles. Ceux qui travaillent dans cette industrie le savent bien et ont longtemps prêché dans le désert.

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