Mercosur : arrêtons les fantasmes ! - Par Emmanuel Berretta

La croisade française contre le Mercosur repose sur des fantasmes. Le projet d’accord comprend des protections solides pour nos agriculteurs. La Chine, elle, déloge l’Europe d’un marché majeur.


Le spectacle est navrant. La classe politique française, dans un concert unanime aussi rare que préoccupant, s'égare dans une croisade contre l'accord UE-Mercosur, transformé en épouvantail de tous les maux de notre agriculture. Cette posture, aussi démagogique que contre-productive, mérite d'être déconstruite à l'aune des faits.

Commençons par tordre le cou aux fantasmes sur l'invasion redoutée des produits agricoles sud-américains. Les quotas négociés sont, en réalité, dérisoires : 99 000 tonnes de bœuf, soit 1,6 % de la production européenne. Plus révélateur encore : l'Europe importe déjà 200 000 tonnes de bœuf du Mercosur. L'accord ne fera donc qu'abaisser les droits de douane sur des volumes déjà existants. Même constat pour la volaille (1,4 % de la production européenne) ou le porc (0,1 %). Où est l'apocalypse annoncée ?

Le Ceta : l'apocalypse n'a jamais eu lieu

L'exemple du Ceta est édifiant. Malgré les prophéties catastrophistes, le Canada, pourtant champion mondial de la viande bovine, n'utilise quasiment pas ses quotas d'exportation vers l'UE. La raison ? L'impossibilité d'utiliser des hormones de croissance, interdites par la réglementation européenne. Les cassandres d'hier – Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon en tête – en sont pour leurs frais.

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Plus grave encore, cette fixation sur l'agriculture masque les enjeux stratégiques colossaux. L'accord éliminerait 4 milliards d'euros de droits de douane pour les exportateurs européens. Il ouvrirait grand les portes d'un marché protégé par des barrières douanières massives : 35 % sur les voitures, 14 à 20 % sur les machines, 18 % sur les produits chimiques. La France, qui conserve un excédent commercial de 155 milliards d'euros avec l'Amérique latine – l'un des derniers au monde – se tire une balle dans le pied.

La Chine avance à grands pas, l'Europe piétine

Pendant que nous tergiversons, la Chine avance ses pions. Pékin comprend parfaitement l'importance stratégique de cette région, riche en matières premières critiques – lithium, cuivre, niobium – essentielles pour notre souveraineté industrielle. Déjà deuxième partenaire commercial de la région, Pékin a signé des accords de libre-échange avec cinq pays et noué des partenariats « Route de la Soie » avec pas moins de 22 nations latino-américaines.

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La prochaine visite d'État de Xi Jinping au Brésil – sa sixième sur le continent depuis 2013 – illustre cette offensive diplomatique méthodique, confirmée le 12 novembre par le porte-parole chinois du ministère des Affaires étrangères, Lin Jian. Le discours officiel chinois ne cache même plus ses ambitions, évoquant une « communauté d'avenir partagé » avec l'Amérique latine et des coopérations étendues aux secteurs stratégiques comme le numérique et l'aérospatial. L'Europe peut-elle se permettre de laisser le champ libre à la Chine, alors même que nous cherchons à réduire notre dépendance vis-à-vis de Pékin ?

La réalité est que nos problèmes agricoles sont avant tout franco-français. En 15 ans, la balance commerciale agroalimentaire européenne s'est améliorée de 60 milliards d'euros. La mondialisation n'est pas le problème, mais notre incapacité à nous adapter.

Agriculture française : cherchez l'erreur ailleurs

Le projet d'accord Mercosur contient d'ailleurs des garanties sans précédent : une clause de sauvegarde est applicable même aux produits sous quotas comme le bœuf, la volaille, etc. Avec cette clause de sauvegarde, l'UE pourrait intervenir rapidement et suspendre les importations en cas de « perturbation grave du marché ». C'est une garantie supplémentaire qui n'existe dans aucun autre accord commercial. Ceinture et bretelles pour protéger l'agriculture européenne !

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Sans parler des avantages du Mercosur pour les 357 indications géographiques européennes (dont les marques agroalimentaires, comme les fromages, les vins etc.). Les pays du Mercosur prendront, à la faveur de cet accord, des engagements contraignants sur la déforestation. Nos normes sanitaires restent intouchables, comme le prouve la récente suspension des exportations brésiliennes à la suite de défaillances dans le contrôle des hormones.

Mercosur, le bouc émissaire de nos lâchetés

La France et l'Europe ont tout à perdre dans ce repli frileux. Nos viticulteurs verraient tomber des droits de douane de 27 %. Nos industriels accéderaient à un marché majeur. Notre indépendance stratégique serait renforcée face à la Chine. Et nos agriculteurs ? Les volumes en jeu sont si faibles qu'ils pourraient être aisément compensés par la PAC.

En transformant le Mercosur en bouc émissaire, la classe politique française fait preuve d'une myopie dangereuse. Elle sacrifie nos intérêts stratégiques sur l'autel d'une démagogie à courte vue. L'Histoire jugera sévèrement ce moment où, par pusillanimité, nous aurons laissé la Chine s'emparer d'un partenaire crucial, tout en sabordant nos propres intérêts économiques. Il est encore temps de retrouver la raison.

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