4 décembre 1642 : le cardinal Richelieu meurt d'épuisement à 57 ans...


Alors que la France est en passe de devenir la première puissance militaire européenne, confirmant la justesse de la politique du cardinal, Richelieu meurt d'épuisement à Paris, le 4 décembre 1642, à 57 ans après avoir passé 18 ans au pouvoir.

"Fin novembre, il souffre de fièvre et se plaint de grandes douleurs dans les côtes ; les médecins diagnostiquent une pleurésie fausseet le saignent à deux reprises. Le 2 décembre, il étouffe et crache le sang. Toute la famille est à son chevet. Il est à nouveau saigné deux fois et Bouvard, médecin du roi, s’installe chez lui. "

"A cette heure de la mort, le roi singe la parfaite entente et même l’amitié avec son ministre, qui exige la décence d’un raccommodage de façade : ce 2 décembre 1642, dans l’après-midi, juste après avoir accédé aux exigences de renvoi de M. de Tréville, le capitaine de ses mousquetaires, et venant de Saint-Germain, il rend visite au mourant, s’entretient en particulier avec lui, lui présente même les deux jaunes d’œuf qu’on veut lui faire absorber. Mais on note ce rire qu’il n’aurait pas contenu face aux tableaux qu’il contemple, une fois sorti de la chambre du cardinal, dans ce palais dont il pressent qu’il va bientôt pouvoir prendre possession. Quel soulagement pour lui d’entrevoir qu’enfin il va être débarrassé de la tyrannie de ce ministre dont qualités, qui lui paraissaient jadis si admirables, lui sont maintenant si pesantes ; quelle appréhension aussi de devoir continuer à assumer la charge de l’Etat sans lui… "

"Le lendemain, mercredi 3 décembre, le roi, informé par Bouvard de la gravité de l’état de son ministre, lui rend une ultime visite et exprime enfin de la tristesse. Le 4 décembre au matin, le mourant reçoit encore en envoyé… puis prend congé de sa nièce en lui déclarant qu’elle était la personne du monde qu’il avait la plus aimée. Il est assisté dans son agonie par un carme, le père Léon de Saint-Jean, qui lui donne la dernière absolution et, vers midi, lui ferme les yeux. Le tyran, que tant de conspirateurs et d’ennemis ont tenté de faire périr de mort violente, meurt donc chrétiennement dans son lit le 4 décembre 1642, à l’âge de cinquante-huit ans ! ".

Extrait du "Richelieu" de Françoise Hildesheimer, Flammarion, 2011, page 472.

Richelieu souffre dans les dernières années de sa vie de fièvres récurrentes (peut-être la malaria), de rhumatismes et de goutte (il ne se déplace plus que dans une chaise à porteurs et litière), de ténesme (provoqué par des hémorroïdes à répétition et probablement contracté par sa gonorrhée lors de sa formation militaire, ce qui suscite des sarcasmes triviaux au sujet du « cardinal au cul pourri »), de tuberculose intestinale (avec comme conséquence des fistules et une ostéite tuberculeuse qui fait suppurer son bras droit) et de migraine, ce qui accentue son hypocondrie. Les lavements et saignées pratiqués par ses médecins ne font que l'affaiblir.

Louis XIII se fend d'une visite, juste avant la mort de Richelieu. Le cardinal, mourant, lui murmure quand même (on notera la modestie) :

« Sire, voici le dernier adieu. En prenant congé de Votre Majesté, j’ai la consolation de laisser votre royaume dans le plus haut degré de gloire et de réputation où il ait jamais été. »

Crachant fréquemment du sang, il meurt, à 57 ans, le 4 décembre 1642.

Louis XIII, en lui abandonnant les rênes du gouvernement, ne lui donna jamais son affection. En apprenant qu’il venait d’expirer, il se contenta de dire froidement :
 
"Voilà un grand politique de mort."

Les exigences de sa politique ont rendu le cardinal tellement impopulaire qu'à l'annonce de sa mort, le peuple allume des feux de joie pour fêter l'événement. Partout dans les rues des villes, on voit fleurir de sympathiques petites satires, comme :

"Ci-gît (que personne ne pleure) le cardinal. S’il est bien, Dieu le garde mal. S’il est au diable, à la bonne heure."

Le Palais-Royal avait été bâti par le cardinal de Richelieu, sous le nom de Palais-Cardinal ; il en fit don au roi. Il voulut que sa sépulture même se ressentît de la grandeur avec laquelle il avait vécu. Il fut inhumé dans l’église de la Sorbonne, qu’il avait relevée avec une magnificence vraiment royale. Le mausolée qu’on y voyait, était le chef-d’œuvre du célèbre Girardon. De toutes les épitaphes que lui firent les poètes du temps, nous ne rapporterons que celles de Benserade, à qui il faisait une pension, et de Corneille, dont il fut à la fois le bienfaiteur et l’ennemi :

"Ci-gît, oui gît, morbleu,
Le cardinal de Richelieu,
Ah ! ce qui cause mon ennui,
Ci-gît ma pension avec lui."

(Benserade)

"Qu’on parle mal ou bien du fameux cardinal,
Ma prose ni mes vers n’en diront jamais rien :
Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal,
Il m’a fait trop de mal pour en dire du bien."

(Corneille)

Par allusion au bien et au mal qu’on a dit de lui, et par allusion aussi à la Sorbonne, on a prétendu que la seule épitaphe qui lui convenait était celle-ci : 

"Magnum disputandi argumentum" (Ci-gît un grand sujet de dispute)

Charlotte de Montmorency, mère du grand Condé, sœur du maréchal de Montmorency, décapité à Toulouse, étant allé un jour en Sorbonne voir le mausolée du cardinal, lui adressa ingénieusement ces paroles de l’Evangile :

"Domine, si fuisses hic, frater meus non fuisset mortuus" (Seigneur, si vous eussiez été ici, mon frère ne fût pas mort).

Le tsar Pierre étant en France, fut conduit en Sorbonne, où on lui montra le fameux mausolée. Il n’eut pas plus tôt aperçu la statue de Richelieu, qu’il s’élança pour l’embrasser, en s’écriant : 

"Ah ! que n’es-tu en vie ! je te donnerais la moitié de mon empire, pour m’apprendre à gouverner l’autre." "Il ne vous laisserait pas longtemps cette autre moitié", lui dit un grand seigneur de sa suite.

En octobre 1793, c’est l’époque de tous les grands sacrilèges. La Basilique Saint-Denis est saccagée par les révolutionnaires qui profanent tous les tombeaux présents. La chapelle de la Sorbonne, fermée au culte depuis deux ans, échappe miraculeusement aux dégradations. Cela ne va pas durer. Après une première tentative qui a échoué grâce à l’intervention d’Alexandre Lenoir, qui créera plus tard le musée des Monuments français, les révolutionnaires reviennent le 5 décembre 1793. Lenoir est encore présent, mais cette fois la foule est trop grande et il n’y a pas moyen de s’y opposer.

Le bruit court qu’un trésor est enfoui dans les caveaux. Ordre est donné de fouiller les tombes, et spécialement celle de Richelieu. Les sépultures de la famille du cardinal et des docteurs de la Sorbonne sont ouvertes, les ossements jetés en vrac sur le sol. Le cercueil de Richelieu est ouvert. Il a l’air de dormir dans son extraordinaire parure écarlate. Très vite, les révolutionnaires se saisissent du corps, coupent la tête du cardinal pour la montrer aux spectateurs dans l’église. Le corps ressort par la porte de la chapelle, et on ne sait pas ce qu’il est devenu. On pense qu’il a été jeté à la Seine, avec son fameux manteau rouge.

En revanche on sait ce qui est advenu de sa tête. Un révolutionnaire nommé Cheval, bonnetier à Paris, arrive à la placer sous son manteau, sort de la chapelle le plus discrètement possible et rejoint sa boutique rue de la Harpe. Cet homme voue une véritable admiration à la famille Richelieu, car il a travaillé pour le maréchal de Richelieu, grand ami de Louis XV.

Il a l’idée de déposer la tête dans un carton à chapeau en cuir recouvert de soie capitonnée, un cadeau justement de son défunt maître, avec les armes de la famille de Richelieu. Cheval cache ce trésor au fond de sa cave, sous des fagots de bois. Mais la Révolution change de visage avec la Terreur, et il ne fait pas bon avoir dans ses collections la tête du ministre de Louis XIII. Cheval cherche à s’en débarrasser au début du mois de septembre 1794.

Un de ses clients, un prêtre breton défroqué du nom de Nicolas Armez, propose de la récupérer. Et voilà que commence le nouveau séjour de Richelieu en terre bretonne. Nicolas Armez a une belle carrière pendant l’Empire, et préside le Conseil départemental des Côtes du Nord. Il est député au moment des 100 jours dans le château de Bourblanc, près de Paimpol.0

La tête de Richelieu est carrément placée sous un globe de verre, et devient un objet de visite, avant que des insectes ne commencent à l’attaquer. Nicolas Armez la fait traiter par un pharmacien de Saint-Brieuc.

Mais voilà que chute Napoléon et que les Bourbons sont à nouveau sur le trône. Le président du conseil de Louis XVIII est un arrière-petit-neveu du cardinal. Le Duc de Richelieu ignore que la tête de son aïeul est en Bretagne. Les années passent, et jusqu’à la Monarchie de Juillet en 1848, elle est placée sur une estrade durant la distribution des prix au Collège de Saint-Brieuc.

Le fils Armez est élu député sous Louis Philippe. Lorsqu’il part pour Paris, il emmène la tête de Richelieu, et n’hésite pas à montrer la relique à ses collègues. Pendant ce temps, le tombeau de la Sorbonne reste vide. Napoléon III s’agace de cela et exige de la famille Armez qu’elle offre la relique à l’Etat. N’ayant pas vraiment le choix, elle finit par plier devant l’ordre impérial.

Le préfet des Côtes du Nord ramène la tête de Richelieu à Paris. Une grande cérémonie a lieu le 15 décembre 1866, en présence du ministre de l’Instruction publique et de l’Archevêque de Paris. On dépose la tête du Cardinal dans son mausolée de la fin du 17e siècle, repos qui sera pour son éminence d’assez courte durée.
En 1895, le ministre des Affaires étrangères, le fameux Gabriel Hanotaux, va profiter de sa fonction pour ouvrir le tombeau, étudier la relique et même prendre une photo…

On sait que le cardinal de Richelieu voulut avoir la même influence dans le monde littéraire que dans le monde politique. Son plus beau titre littéraire est l’établissement de l’Académie française. L’homme de lettres, dès les premiers pas qu’il faisait dans la carrière, fixait ses regards sur le but, et s’animant à cet aspect, faisait des efforts dont il eût été incapable sans cet objet d’ambition. Il n’y avait qu’un ministre plein de lumières qui pût saisir tous les avantages résultant de ce mélange de gens de lettres et de gens de la cour, mélange qui flattait et honorait les uns et les autres, qui entretenait à la cour le goût du savoir, et qui donnait aux gens de lettres plus de politesse, plus d’aménité, un tact plus fin, et un goût plus sûr.

Sources :
Paul Servant, Les Derniers Jours de Richelieu, C. Blot, 1886, p. 36.
Augustin Cabanès, « Le Médecin de Richelieu », Le Cabinet Secret de l'Histoire, 4e série, Paris, Dorbon Ainé, 1905, p. 16-43
David Cusin et 50Minutes.fr,, Richelieu : Un cardinal à la tête de la France, 2015, 78 p.
Franck Ferrand raconte...L'histoire inouïe de la tête de Richelieu