Afrique : Nouveau départ pour la France mondiale - Par Jean-Baptiste Noé
L’annonce simultanée, par le Sénégal et le Tchad, de la fermeture des bases françaises, a sonné une partie du camp militaire et politique. Cette annonce marque la fin de la présence coloniale française en Afrique, une période ouverte dans les années 1880 et qui n’a cessé de perdurer, même après les indépendances officielles.
De bases militaires françaises en Afrique, il ne va plus rester que la Côte d’Ivoire et le Gabon, où les effectifs vont être fortement réduits. Ce n’est qu’une question de temps pour que la France quitte aussi ces deux pays. Restera alors Djibouti, dont le modèle économique repose sur la location de territoire aux puissances étrangères. La France y est présente, comme le Japon, la Chine, l’Italie, les États-Unis… Il est peu probable que Djibouti change de modèle économique dans les années qui viennent.
Une fermeture et un choc
Cette fermeture est un choc pour une partie du camp militaire qui a vécu de l’Afrique, a rêvé des Opex, y a vu une continuité de la tradition française en matière d’interventionnisme. C’était le mythe de la Coloniale et du saut sur Kolwezi, mythes qui appartiennent désormais à l’histoire. Mais pour l’armée de Terre, c’est une crise existentielle qui s’ouvre pour elle et une remise en cause des raisons mêmes de son recrutement. Un militaire est là pour mener des opérations, non pour s’enterrer à Balard ou à l’École militaire, fut-il habillé en treillis. S’il n’y a plus la possibilité de mener des opérations extérieures en Afrique, c’est le sens même de la carrière de nombreux officiers qui va être posé.
Au Tchad, la France menait des opérations depuis 1983. Au Sénégal et en Côte d’Ivoire, la présence française se perd dans la nuit des temps des débuts de la colonisation. Ce qui va poser un grave problème de recrutement pour les jeunes officiers, dont beaucoup quittent l’armée après Saint-Cyr, pour des métiers plus porteurs et plus rémunérateurs.
Ce départ, bien que prévisible, oblige à une réflexion profonde sur le sens des missions de l’armée de Terre.
Révision de la doctrine
C’est aussi toute la doctrine stratégique française qu’il va falloir revoir, pour des analystes et des penseurs qui avaient fait de l’Afrique leur seul point de mire.
Ce départ militaire ne fait pourtant que suivre le départ du monde économique : que Bolloré vende ses participations dans les ports africains, que la Société Générale ferme ses guichets et abandonne le continent auraient déjà dû conduire les politiques français à s’interroger sur la pertinence de la présence africaine. Le départ des marchés précède le départ politique.
Mais mus par un mélange de colonialisme, de paternalisme et d’intérêts personnels, ils n’ont pas voulu voir que le monde d’aujourd’hui était différent de celui des années 1960.
Les échanges commerciaux entre la France et l’Afrique noire représentent à peine 25 Mds € annuels, quand ceux avec la Belgique se montent à 110 Mds €. Pour l’économie française, et pour les entreprises, la Belgique est beaucoup plus importante que le continent africain. C’est bien en Europe que se joue l’avenir de la France, dans ses échanges avec la Belgique, l’Italie et l’Allemagne, ainsi qu’en Asie et en Eurasie. Pas en Afrique, qui fut et reste un miroir aux alouettes.
Mus par un glaucome géopolitique qui provoque, depuis plusieurs années, une cécité intellectuelle, les analystes français n’ont pas compris que le monde avait changé.
On le voit en Syrie où ceux qui connaissent le pays, comme le géographe Fabrice Balanche, avaient annoncé l’offensive d’Alep. La Syrie, un ancien mandat français où la France a perdu toute influence par l’accumulation d’erreurs diplomatiques.
On le voit en Asie, où l’influence française au Vietnam est proche du néant, où la Chine est mal pensée, où le monde indonésien est quasiment inconnu. Désireux de prolonger l’aventure coloniale africaine, sous des formes actualisées, politiques et chefs militaires n’ont pas vu que le monde a changé.
Quitter l’Afrique : une chance pour les outre-mer ?
Cette fermeture est un choc pour une partie du camp militaire qui a vécu de l’Afrique, a rêvé des Opex, y a vu une continuité de la tradition française en matière d’interventionnisme. C’était le mythe de la Coloniale et du saut sur Kolwezi, mythes qui appartiennent désormais à l’histoire. Mais pour l’armée de Terre, c’est une crise existentielle qui s’ouvre pour elle et une remise en cause des raisons mêmes de son recrutement. Un militaire est là pour mener des opérations, non pour s’enterrer à Balard ou à l’École militaire, fut-il habillé en treillis. S’il n’y a plus la possibilité de mener des opérations extérieures en Afrique, c’est le sens même de la carrière de nombreux officiers qui va être posé.
Au Tchad, la France menait des opérations depuis 1983. Au Sénégal et en Côte d’Ivoire, la présence française se perd dans la nuit des temps des débuts de la colonisation. Ce qui va poser un grave problème de recrutement pour les jeunes officiers, dont beaucoup quittent l’armée après Saint-Cyr, pour des métiers plus porteurs et plus rémunérateurs.
Ce départ, bien que prévisible, oblige à une réflexion profonde sur le sens des missions de l’armée de Terre.
Révision de la doctrine
C’est aussi toute la doctrine stratégique française qu’il va falloir revoir, pour des analystes et des penseurs qui avaient fait de l’Afrique leur seul point de mire.
Ce départ militaire ne fait pourtant que suivre le départ du monde économique : que Bolloré vende ses participations dans les ports africains, que la Société Générale ferme ses guichets et abandonne le continent auraient déjà dû conduire les politiques français à s’interroger sur la pertinence de la présence africaine. Le départ des marchés précède le départ politique.
Mais mus par un mélange de colonialisme, de paternalisme et d’intérêts personnels, ils n’ont pas voulu voir que le monde d’aujourd’hui était différent de celui des années 1960.
Les échanges commerciaux entre la France et l’Afrique noire représentent à peine 25 Mds € annuels, quand ceux avec la Belgique se montent à 110 Mds €. Pour l’économie française, et pour les entreprises, la Belgique est beaucoup plus importante que le continent africain. C’est bien en Europe que se joue l’avenir de la France, dans ses échanges avec la Belgique, l’Italie et l’Allemagne, ainsi qu’en Asie et en Eurasie. Pas en Afrique, qui fut et reste un miroir aux alouettes.
Mus par un glaucome géopolitique qui provoque, depuis plusieurs années, une cécité intellectuelle, les analystes français n’ont pas compris que le monde avait changé.
On le voit en Syrie où ceux qui connaissent le pays, comme le géographe Fabrice Balanche, avaient annoncé l’offensive d’Alep. La Syrie, un ancien mandat français où la France a perdu toute influence par l’accumulation d’erreurs diplomatiques.
On le voit en Asie, où l’influence française au Vietnam est proche du néant, où la Chine est mal pensée, où le monde indonésien est quasiment inconnu. Désireux de prolonger l’aventure coloniale africaine, sous des formes actualisées, politiques et chefs militaires n’ont pas vu que le monde a changé.
Quitter l’Afrique : une chance pour les outre-mer ?
La France n’est pas une puissance africaine, c’est une puissance mondiale. C’est le pays des 13 fuseaux horaires, qui s’étend du Pacifique à la mer des Caraïbes. C’est là que résident les leviers de la puissance française, son originalité et sa distinction par rapport à ses concurrents. Des outre-mer qui ne sont jamais pensés autrement que par le traitement social.
Le 25 septembre 2024, auditionné en commission à l’Assemblée nationale, le chef d’état-major des armées a tenu des propos à la fois justes et inquiétants. Il a ainsi affirmé que la France n’était pas taillée pour protéger la Nouvelle-Calédonie en cas de conflit. En clair, les habitants de Nouvelle-Calédonie, qui sont Français, qui ont voté à trois référendums de suite pour rester Français, qui payent des impôts à la France, ne peuvent pas être protégés par leur pays. Des propos lucides du CEMA, qui sont un appel clair à former ses propres milices et à assurer sa sécurité de façon privée. On l’a d’ailleurs constaté quand la route reliant Nouméa au Mont-Dore (15 000 habitants) fut coupée plusieurs semaines par des bandes armées, empêchant toute communication et sans réaction de la gendarmerie, pourtant stationnée en masse en Nouvelle-Calédonie. Visiblement, les détachements de gendarmes n’ont pas reçu l’ordre de protéger la population française et d’assurer sa sécurité.
Cette fermeture des bases renvoie au problème lancinant de la sécurité intérieure. Difficile de prétendre sécuriser le Mali, la zone des trois frontières et le Tchad quand la France ne tient pas ses territoires d’outre-mer, que ce soit la Nouvelle-Calédonie, la Martinique et la frontière entre la Guyane et le Brésil.
Frédéric Bastiat, déjà, s’opposait à l’aventure coloniale en estimant que l’impôt des Français devait servir aux Français. La question est de nouveau posée. Pourquoi maintenir l’Agence française de développement (AFD) quand tant d’espaces français souffrent de sous-équipements ? Pourquoi maintenir une aventure coloniale africaine quand les outre-mer ne sont pas mis en valeur ?
À cet égard, la décision du Sénégal et du Tchad est une bonne nouvelle. Elle va obliger, espérons-le, à une remise en cause stratégique. Elle va surtout étouffer la mentalité coloniale qui demeure encore dans l’humanitaire et dans les opérations militaires, en permettant de nouer des partenariats adultes et d’égaux à égaux entre la France et les pays qui en feront la demande. Que ce soit pour former des officiers, des troupes, pour assurer des missions ponctuelles de sécurité. Cela a déjà commencé depuis plusieurs années, il ne reste plus qu’à le développer et l’étoffer.3
Le 25 septembre 2024, auditionné en commission à l’Assemblée nationale, le chef d’état-major des armées a tenu des propos à la fois justes et inquiétants. Il a ainsi affirmé que la France n’était pas taillée pour protéger la Nouvelle-Calédonie en cas de conflit. En clair, les habitants de Nouvelle-Calédonie, qui sont Français, qui ont voté à trois référendums de suite pour rester Français, qui payent des impôts à la France, ne peuvent pas être protégés par leur pays. Des propos lucides du CEMA, qui sont un appel clair à former ses propres milices et à assurer sa sécurité de façon privée. On l’a d’ailleurs constaté quand la route reliant Nouméa au Mont-Dore (15 000 habitants) fut coupée plusieurs semaines par des bandes armées, empêchant toute communication et sans réaction de la gendarmerie, pourtant stationnée en masse en Nouvelle-Calédonie. Visiblement, les détachements de gendarmes n’ont pas reçu l’ordre de protéger la population française et d’assurer sa sécurité.
Cette fermeture des bases renvoie au problème lancinant de la sécurité intérieure. Difficile de prétendre sécuriser le Mali, la zone des trois frontières et le Tchad quand la France ne tient pas ses territoires d’outre-mer, que ce soit la Nouvelle-Calédonie, la Martinique et la frontière entre la Guyane et le Brésil.
Frédéric Bastiat, déjà, s’opposait à l’aventure coloniale en estimant que l’impôt des Français devait servir aux Français. La question est de nouveau posée. Pourquoi maintenir l’Agence française de développement (AFD) quand tant d’espaces français souffrent de sous-équipements ? Pourquoi maintenir une aventure coloniale africaine quand les outre-mer ne sont pas mis en valeur ?
À cet égard, la décision du Sénégal et du Tchad est une bonne nouvelle. Elle va obliger, espérons-le, à une remise en cause stratégique. Elle va surtout étouffer la mentalité coloniale qui demeure encore dans l’humanitaire et dans les opérations militaires, en permettant de nouer des partenariats adultes et d’égaux à égaux entre la France et les pays qui en feront la demande. Que ce soit pour former des officiers, des troupes, pour assurer des missions ponctuelles de sécurité. Cela a déjà commencé depuis plusieurs années, il ne reste plus qu’à le développer et l’étoffer.3