Charles Consigny : «Derrière la chute de Michel Barnier, le déshonneur de notre classe politique»
Pour Charles Consigny, avocat et essayiste, Michel Barnier a fait ce qu’il a pu lors de sa mission impossible à Matignon, sans aller assez loin dans la réduction des dépenses publiques. Selon lui, les députés qui ont voté la censure n’agissent pas dans le sens de l’intérêt supérieur de la nation.
En arrivant à Matignon, Michel Barnier, 50 ans de carrière, ancien Commissaire européen reconnu par ses pairs, figure haut de gamme du «vieux monde», a été surpris par le niveau de dégradation générale : à la fois des finances publiques, mais aussi de la gestion de l’État, de la fonction politique elle-même. Là où ne sévissait plus que la communication pure et la tactique à la petite semaine, il s’est attelé à « remettre du sérieux ». Hélas, ça n’a pas plu, et le voici auréolé du titre dont il se serait bien passé de premier ministre le plus éphémère de la Ve République.
Qui, pourtant, peut lui contester d’avoir essayé de sauver ce qui pouvait l’être d’un pays au bord de l’abîme ? Et qui ne voit pas que ceux qui l’ont fait tomber – du RN à la gauche en passant par le «socle commun» dont beaucoup de leaders ont joué un double jeu – se moquent de la situation de notre pays, privilégiant leur petite politique ?
On ne peut pas reprocher à Michel Barnier la façon dont il a essayé de gouverner, en exerçant pleinement le pouvoir tel qu’il lui est dévolu par la Constitution, et cela même si Emmanuel Macron en a été insatisfait. Les institutions ne sont pas à la disposition des hommes qui, toujours temporairement et dans le cadre prévu par nos textes fondamentaux, assument les plus hautes fonctions publiques. On ne pourra pas plus lui faire grief d’avoir cherché à traiter avec une Assemblée à la composition inédite, puisqu’il n’y disposait d’aucune majorité ni d’aucun mandat clair des Français. Il s’est efforcé d’agir pour l’intérêt général, sans voir que le Rassemblement national poursuivait, lui, manifestement un agenda caché.
On pourra considérer, en revanche, que le budget qu’il a présenté, ne tirait pas toutes les conséquences de la situation catastrophique de nos finances, et de façon générale du laisser-aller invraisemblable de ses prédécesseurs sur les dépenses publiques. Avec plus de 3200 milliards d’euros de dette – c’était 2000 milliards en 2017 – et 58,1% de notre PIB consacré aux dépenses publiques, la France est engagée sur un chemin fou qui l’amène à sa perte. Augmenter les prélèvements obligatoires, dans ces conditions, était nettement moins urgent que de diminuer, puissamment, les dépenses publiques, alors même que celles-ci continuaient d’augmenter avec ledit budget, comme elles n’ont cessé de le faire ces sept dernières années sous la présidence d’un ancien banquier d’affaires qui s’était présenté comme moderne et libéral, et que nous avons même sans cesse continué de recruter des fonctionnaires supplémentaires quand il fallait y aller à la serpe. Là où Michel Barnier a peut-être péché – mais ça n’est pas ce que lui reprochent ceux qui aujourd’hui le font tomber, au contraire – c’est en ne sabrant pas davantage dans ces dépenses.
Les uns et les autres n’ont rien voulu entendre. Chacun a poussé sa petite revendication catégorielle, dans un but exclusivement politique. L’un avec les retraités (Laurent Wauquiez), l’autre avec les charges patronales (Gabriel Attal), la dernière avec les médicaments (Marine Le Pen), et même jusqu’à ceux refusant de rationnaliser des avantages d’Ancien Régime, comme Elisabeth Borne qui a opposé une fin de non-recevoir au souhait exprimé par Barnier de réduire le traitement des anciens Premiers ministres, qui bénéficient encore – on se demande en quelle année on est – d’une voiture avec chauffeur pour le restant de leurs jours. Personne n’a fait le moindre effort dans le sens de l’intérêt supérieur de la nation.
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Cette classe politique-là devra rendre des comptes. Elle fera encore semblant, quand la situation sera telle que les Français pauvres deviendront encore plus pauvres, quand il faudra diminuer d’un tiers, comme cela a été fait en Grèce, les pensions de retraite, quand le chômage repartira à la hausse, quand la France décrochera si durablement dans le peloton des nations que nous n’aurons, sur la scène internationale, plus voix au chapitre sur rien – ce qui est, on ne peut que le constater, déjà un peu le cas –, que ça n’est pas de sa faute, elle conservera ses privilèges comme Mme Borne et incriminera des responsables imaginaires. Mais la réalité sera là.
Une partie de la France a commencé à dessiller le regard. Elle sait que l’État est devenu un monstre impotent, que le niveau des prélèvements obligatoires n’a plus de sens, que cette folie est en train d’asphyxier tout le pays et de le tuer. Elle sait aussi qu’elle demeure un grand pays capable d’étonner le monde. Elle est en train de comprendre que ceux à qui elle paye des chauffeurs et permet des petits coups politiques dérisoires ne s’agitent que pour eux-mêmes et que le temps est venu de les remplacer par ceux qui croient encore à cette patrie éternelle.