Découverte et puissance de la liberté - Par Jean-Philippe Delsol

L’Occident a connu un développement exceptionnel, très supérieur à celui des autres civilisations, du moins avant que celles-ci travaillent à le rattraper en s’alignant plus ou moins sur le modèle occidental. Le succès de notre civilisation est dû sans doute à divers facteurs. Le climat, l’environnement, des mutations génétiques peut-être… ont pu jouer un rôle favorable. Mais il est très probable que la reconnaissance du libre arbitre, et donc de la liberté, puis le respect de la singularité personnelle et de la propriété ont été des éléments déterminants de la construction de l’Occident en tant que civilisation.


Jusque-là le monde était soumis au destin et à des dieux exigeants et souvent arbitraires : « Il faut porter d’un cœur léger le sort qui vous est fait et comprendre qu’on ne lutte pas contre la force du destin » énonce Eschyle (535/457) dans son Prométhée enchaîné (vers 103-105). Mais une heureuse conjonction a permis de faire émerger la liberté et la singularité humaine au travers de la religion juive, de la philosophie grecque et du droit romain tandis que d’autres civilisations restaient indifférentes à la liberté, dans les sagesses asiatiques notamment, ou hostile au libre arbitre, dans l’Islam en particulier, ce qui a été un handicap à leur développement.

Mais alors la question se pose de savoir pourquoi sur le plan économique, social et politique, il aura fallu attendre l’ère moderne, notamment des XVIIème et XVIIIème siècles pour amorcer l’essor incroyable, manifesté plus encore dans la révolution industrielle du XIXème siècle, de notre civilisation. Cet essor est dû à l’émergence de la liberté individuelle en trois grandes périodes où se sont toujours conjuguées des évolutions propres aux institutions, aux comportements individuels et à la pensée.

Le momentum du libre arbitre

Entre le VIIème et le Vème siècle avant JC advient le momentum du libre arbitre. Le monde méditerranéen découvre la liberté.

Le Judaïsme

D’abord, le judaïsme, probablement le premier monothéisme, avait commencé de penser l’homme comme être libre. Il est né peut-être à la fin du 2ème millénaire avant JC en pays d’Égypte ou Moïse aurait reçu l’inspiration du Pentateuque (la Torah des juifs). Mais il fut rédigé à partir sans doute du VIIème siècle pour trouver sa version aboutie au Vème. Dès la Genèse, Dieu laisse l’homme libre de manger le fruit de l’Arbre de la connaissance, mais, lui dit-il, « le jour où tu en mangeras, tu mourras » (Genèse, 2, 15-17). Le message de liberté est réitéré à moult reprises : « Et si vous ne trouvez pas bon de servir l’Éternel, choisissez aujourd’hui qui vous voulez servir… » (Josué, 24,15). Et l’histoire rappelle l’incroyable ténacité, la résilience de ce peuple pour défendre sa liberté de foi.

Rome

Rome a trouvé une certaine liberté par le droit. La République est instituée en 509 avant JC avant que, 60 ans plus tard, soient édictées les lois des douze tables (autour de 450) qui reconnaissent des droits aux individus, une sorte de prémisses d’un état de droit. La propriété était reconnue et protégée. La justice était garantie à tous avec la possibilité de faire appel. Les crimes et délits étaient prévus et les peines fixées. Tous les citoyens avaient les mêmes droits. Les justiciables avaient la possibilité de faire prévaloir leur accord sur la décision des juges.

Rome respectait les libertés privées tant qu’elles ne nuisaient pas à celle de la Cité. La jurisprudence des jurisconsultes puis des préteurs y établirent un droit évolutif et attentif aux situations individuelles. Les citoyens, tous égaux en droit, étaient théoriquement libres de grimper dans la hiérarchie des honneurs qui était celle de l’État. « En ce qui concerne le droit, la loi, la liberté, la chose publique, écrivait Caton l’ancien, il convient que nous en jouissions tous en commun également ; mais pour ce qui est de la gloire et des honneurs, à chacun de se les procurer comme il peut ». La famille y était sanctuarisée sous l’autorité du Pater familias qui avait tous les droits chez lui, qui y révérait ses propres dieux, ses Pénates, et dont la propriété était respectée. Ensuite le droit évolua en même temps que l’empire se muait en monarchie bureaucratique et souvent despotique.

La Grèce

Les XII tables d’ivoire romaines s’inspiraient sans doute en partie des lois de Solon (vers 640/558 av. JC) qui esquissa une des premières constitutions et qui se prévalait d’avoir « rédigé » un droit, la dikè, égal pour tous. Puis vint le siècle d’or de Périclès. Celui-ci a, le premier peut-être, considéré que « l’objet des constitutions n’est pas de confirmer la prééminence de tout intérêt que ce soit, mais d’y faire obstacle ; qu’il est de veiller avec un soin égal à l’indépendance du travail et à la sécurité de la propriété ; de protéger les riches de l’envie et les pauvres de l’oppression ». Dans son oraison aux mort au champ d’honneur (en 431 ?), Périclès, par les mots que Thucydide (460/400-395) lui prête, résume les principes de liberté qui animèrent Athènes et permirent sa grandeur. Certes, il s’agit d’une liberté ordonnée à la Cité. Mais c’est au nom de cette liberté que les Grecs combattaient. Les citoyens se sentaient libres parce qu’ils décidaient de leurs lois, au risque d’en abuser parfois. Leur supériorité était de n’être esclaves de personne, de se battre pour eux-mêmes, ce qui leur permit de vaincre les Perses, beaucoup plus nombreux et puissants, à Marathon en 490, puis sur la mer à Salamine en 480. « Leur victoire sur mer, dit au siècle suivant l’orateur Lysias après Salamine, montra qu’une poignée d’hommes affrontant la lutte pour la liberté vaut mieux que des foules d’esclaves combattant sous un roi pour leur servitude ».

Cette liberté revendiquée fut ensuite mise en scène par Sophocle avant que d’être conceptualisée par Aristote. Chez Sophocle (495/406), dans sa tragédie Électre, Oreste et sa sœur Électre prennent d’eux-mêmes la décision de venger leur père Agamemnon en tuant son assassin Égisthe devenu l’amant de leur mère. « Ne comprends-tu pas, chante le chœur, comment tu ne dois qu’à toi-même les misères où, sans respect de toi, tu t’es jetée ? ». La fille d’Œdipe, Antigone se lève, elle, contre le destin pour enterrer son frère Polynice. Au siècle suivant, la pensée grecque fait émerger le libre arbitre. « L’homme est principe de ses actions » observe Aristote. Il délibère sur les fins qu’il veut atteindre et il choisit les moyens qu’il croit appropriés à ses fins car « là où il dépend de nous d’agir, il dépend aussi de nous de ne pas agir, et là où il dépend de nous de dire non, il dépend aussi de nous de dire oui ». Aristote influença ensuite une large partie de la philosophie gréco-romaine, en particulier celle de Cicéron qui dans son De fato a reconnu le libre arbitre humain.

Une liberté limitée

Et néanmoins, cette liberté n’était encore, disait Lord Acton, que celle de ceux qui « concentraient tant de prérogatives dans le giron de l’État qu’il ne restait plus d’espace d’où quiconque eût pu contester ses décisions ou fixer des limites à son action…. Les obligations les plus sacrées s’effaçaient devant les intérêts supérieurs de l’État. Les passagers n’existaient que pour le bien du bateau ».
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