Jean-Éric Schoettl : «Pourquoi la démission d’Emmanuel Macron ne serait pas un remède à la crise actuelle du politique»
Même en cas de départ du chef de l’État, le nouveau président élu ne bénéficierait pas d’une adhésion populaire majoritaire en raison de la profonde division du pays en trois blocs idéologiques, analyse l’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel Jean-Éric Schoettl.
Les effets chaotiques de la dissolution sont chaque jour plus visibles : élections législatives ne dégageant aucune majorité ; Assemblée nationale que son éclatement et la radicalité de certaines de ses composantes transforment en bateau ivre ; renversement, après trois mois seulement de mandat, d’un gouvernement de bonne volonté, mais enfanté dans la douleur ; spectre d’une France sans dirigeants et sans budget, que son instabilité politique enfonce dans un déclin économique et moral.
L’idée que rien ne sera viable tant qu’une dissolution ne sera pas possible – c’est-à-dire jusqu’à l’été – conduit à chercher désespérément une sortie de crise à terme rapproché. Les regards se tournent alors vers le chef de l’État : n’est-il pas à l’origine du marasme ? Le désaveu du pays ne devrait-il pas le conduire, en bonne doctrine gaullienne, à démissionner ? L’élection anticipée d’un nouveau président ne permettrait-elle pas de rebattre les cartes et de sortir de l’ornière ?
Ces supputations sur la démission d’Emmanuel Macron comme issue à la crise actuelle n’auraient de sens qu’à deux conditions. Il faudrait d’abord que la perspective d’une démission présidentielle dans les mois à venir présente une suffisante vraisemblance. Il faudrait ensuite que les élections (présidentielle et législatives) consécutives à cette démission reconstituent la configuration familière qui a fait les riches heures de la Ve république : un parti présidentiel (ou une coalition de partis favorables au Président) majoritaire à l’Assemblée ; l’alternance dans un cadre bipolaire.
La première condition est a priori non remplie en raison de la volonté explicitement exprimée par Emmanuel Macron d’exercer ses fonctions jusqu’à leur terme. Rien ne l’oblige, dans la Constitution, à cesser son mandat, sauf empêchement (art 7, 4e alinéa) ou destitution par le Parlement constitué en Haute Cour (article 68). Mais à moins d’un évènement exceptionnel, ces deux hypothèses ne se réaliseront pas en l’espèce. Certes, Emmanuel Macron pourrait se résoudre de lui-même à la démission si la situation de la France se dégradait et que cette dégradation lui était unanimement imputée. Son image s’en trouverait alors si altérée, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, que sa tâche deviendrait impossible et son existence présidentielle invivable. L’humiliation subie le conduirait, en dépit de son caractère de battant, à jeter l’éponge. Un scénario de ce type naîtrait d’une instabilité gouvernementale persistante et délétère, tenant à des censures à répétition, qui supposeraient une réitération de la coalition des contraires. Mais cet acharnement est-il politiquement plausible ? Il faudrait pour cela que ni les socialistes, ni le Rassemblement national ne voient s’élever leurs électeurs contre les conséquences négatives des censures, pour le pays comme pour leur image. C’est loin d’être évident.