Que veulent les Français? - Par Olivier Galland

L’idée de travailler plus est très largement rejetée par les Français. Mais leur préoccupation principale d’augmentation continue du pouvoir d’achat rentre en contradiction avec ce rejet. Dans tout pays, la richesse produite dépend collectivement de la quantité globale de travail effectuée. Aucun parti politique n’a cherché à faire passer cette idée simple et fondamentale dans l’opinion.


L’Assemblée nationale offre un spectacle affligeant. Alors que l’esprit de responsabilité devrait l’emporter face à la crise budgétaire que connaît le pays, chaque groupe politique, y compris ceux censés soutenir le gouvernement, ne cherche qu’à faire prospérer sa petite boutique en se démarquant, et souvent en s’opposant frontalement aux préconisations (timides) du Premier ministre et en faisant des propositions qui, si elles étaient appliquées, ne feraient qu’aggraver le déficit budgétaire.

Mais au fond, si l’on peut incriminer les partis politiques ne faut-il pas constater que ce qu’ils préconisent ne fait que refléter les aspirations des Français ? Ces derniers sont majoritairement favorables à la censure du gouvernement et ils sont massivement favorables à l’abrogation de la réforme des retraites. Le problème est que cette demande est incompatible avec une autre demande pressante concernant l’amélioration du pouvoir d’achat. Dans une enquête récente d’IPSOS (en novembre 2024), le pouvoir d’achat est de loin leur préoccupation principale (pour 56%) devant l’insécurité (42%). Mais comment améliorer le pouvoir d’achat si, collectivement, on travaille moins ?

Une réponse courante avancée par les Français qui refusent l’idée de collectivement travailler plus est la suivante : « de toute façon, il n’y a pas de travail ! ». À quoi on peut répondre que le travail se crée par l’envie de travailler, de produire, d’innover, d’entreprendre. Tout cela forme un tout, un état d’esprit favorable aux initiatives qui génèrent de l’activité, de l’innovation, des créations d’entreprises et, in fine, de la croissance économique. Cette « envie de travailler » dépend aussi d’incitations économiques (par exemple l’écart entre les revenus sans travailler et les revenus du travail) qui résultent elles-mêmes d’orientation de politiques publiques. Mais ces orientations ne résultent-elles pas au bout du compte de choix collectifs validés par des élections ?

Pourquoi les pays les plus performants économiquement, comme les États-Unis ou la Corée du Sud, sont-ils les pays où l’on travaille le plus ? Parce que cet état d’esprit favorable au travail et à l’initiative (et aux mesures de politiques publiques qui l’accompagnent) y prédomine. En France, c’est un état d’esprit collectif presque opposé qui prévaut : une préférence relative pour le non travail. Ce n’est pas que les Français rejettent la valeur du travail en tant que telle tant qu’ils sont actifs. Au contraire, lorsqu’ils travaillent ils veulent y trouver une forme d’accomplissement personnel, comme je viens de le montrer dans un livre récent[1]. Sur ce plan ils ne sont pas très éloignés des salariés scandinaves qui considèrent le travail comme une « vocation ». Mais pour les Français, la vie de travail doit être la plus courte possible pour profiter d’une seconde vie, aussi longue que possible, totalement dégagée des obligations professionnelles. L’enquête conduite par Bertrand Martinot[2] l’avait montré : l’opinion selon laquelle l’âge minimum légal de 62 ans n’est « pas assez élevé » est extrêmement minoritaire chez les actifs en emploi : seuls 7% sont de cet avis. En outre, ce niveau est déjà considéré comme « excessif » par 48% d’entre eux, une proportion plus importante que ceux qui le jugent « approprié » (45%).

Cette préférence pour une vie de travail courte a été traduite politiquement par le premier gouvernement socialiste de la présidence de François Mitterrand : parmi ses premières mesures, la retraite à 60 ans, l’extension des congés payés et les 39h (plus tard les 35h sous le gouvernement Jospin). Mais surtout, il instille l’idée délétère du « partage du travail » : le volume de travail serait une entité fixe qu’il faut partager pour que le plus grand nombre y ait accès. La philosophie du partage du travail n’était pas en tant que telle de réduire le volume global de travail, mais cette mesure a installé l’idée que travailler moins était vertueux. Une grande partie des Français y a adhéré et aucun politique ne l’a frontalement remise en cause.

Dans un article précédent j’avais présenté des données de l’OCDE montrant que la quantité de travail produite par les Français s’était nettement affaissée avec le passage de la retraite à 60 ans, la courbe française des heures travaillées par habitant décrochant alors de celle des autres pays industrialisés et de ses voisins immédiats d’outre-Rhin et d’outre-Manche. La courbe française se situe nettement plus bas que celle de l’ensemble de l’Union européenne des 27. La France n’a, depuis, jamais rattrapé son retard. Parmi l’ensemble des pays comparables, la France est celui où, en moyenne, on travaille le moins[3]. Je reproduis cette courbe ici (figure 1).

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