Rédemption budgétaire et déblocage politique : cette double leçon venue de Suède - Par Raul Magni Berton et Laurence Daziano
Dans les années 1990, en réponse à une crise économique, les sociaux-démocrates de Suède ont adopté les principes de la "règle d’or" et le pays a été en mesure de redresser ses finances publiques.
Laurence Daziano : Il faut commencer par revenir sur ce qui constitue un grand malentendu : le “modèle suédois” n’a jamais vraiment existé. Tout au plus peut-on parler d’une philosophie suédoise, mais certainement pas d’un modèle. La population suédoise a compris la nécessité de construire une économie compétitive sur le plan mondial pour continuer à exister. De son côté, la France cherche juste à préserver les acquis du Conseil national de la Résistance, de 1944. Il est plus que temps de changer de logiciel ; en témoigne notre situation budgétaire, la crise économique qui nous pend au nez. À cet égard, la France pourrait prendre exemple sur la Suède. Les Suédois sont pragmatiques et il n’existe là-bas ni de SMIC ni de code du travail. L’intégralité de ces sujets se résout à l’aide de la négociation entre le patronat et les syndicats. Autrement dit, c’est à deux acteurs responsables qu’il revient de négocier ce qui relève de l’acceptable ou non, en gardant toujours en tête la nécessité de rester compétitif au niveau mondial.
Ce dont on parle, c’est donc d’une approche et d’une philosophie très différentes. En France, on a tendance à se dire “c’est comme ça” plutôt que de se demander “jusqu’où peut-on aller pour que ça marche”. C’est ce genre de décalage qu’alimente l’idée d’une exception française. Celle-ci n'existe pas : comme les Suédois, il nous faut avancer dans un univers compétitif mondial. Cela implique de faire preuve de pragmatisme. En Suède, l’économie est perçue pour ce qu’elle est, c’est-à-dire un outil, qu’il faut utiliser correctement pour protéger les uns et les autres. Protéger tout un chacun, cela signifie leur donner les outils nécessaires pour rebondir, les former tout au long de la vie de sorte à ce qu’ils puissent s’adapter à un marché du travail en constante évolution. C’est une différence d’approche très importante.
Atlantico : Il y a quelques années, la Suède était confrontée à une crise politique que la situation française pourrait aujourd’hui rappeler. Le Premier ministre, Stefan Löfven, fait l’objet d’une motion de censure le 21 juin 2021 et, après un certain nombre de retournements, les élections législatives de 2022 se caractérisent par une forte percée du parti Démocrates de Suède, classé à l’extrême droite. Quelles sont les leçons que la France pourrait tirer de la situation suédoise ?
Raul Magni-Berton : Lorsque la première censure du gouvernement en Suède a eu lieu en 2021, contrairement à la France, la gauche était au gouvernement. Les socio-démocrates menaient un gouvernement minoritaire - comme l'a été le gouvernement Barnier - dépendent du soutien des partis d'opposition. Dans le cas suédois, la chute du gouvernement a été due au parti de gauche, qui a retiré son soutien au gouvernement comme le RN l'a fait en France. C'est à la suite de cet événement, en 2022, que le parti d'extrême droite suédois (les démocrates) a connu un succès électoral important et est entré dans la coalition de droite menée par le parti modéré, qui pourrait être comparé aux Républicains en France. La comparaison, donc, n'est pas parfaite, mais il y a dans les deux cas des similitudes: la montée d'un parti d'extrême droite, l'existence d'un gouvernement minoritaire exposé aux motions de censure, et cette censure réussie inédite en Suède et peu commune en France (la dernière datait de 1962). Toutefois, une grande partie de cette comparaison est commune à beaucoup de pays d'Europe occidentale. Les partis nationalistes et anti-immigration montent, le système partisan se morcelle, il y a plus de partis qui peuvent prétendre au gouvernement, avec pour conséquence des gouvernements plus fragiles. C'est non seulement une situation qui va perdurer en France et en Suède, mais aussi dans de nombreux autres pays européens.
La Suède, peut-être faut-il commencer par là, a longtemps été gouvernée par les sociaux-démocrates. Ceux-ci s’inscrivaient dans une logique d’exemplarité et de flexisécurité (c’est-à-dire l’idée d’un welfare state capable de s’adapter au marché). Ce n’est pas si particulier au sein des pays scandinaves, mais il faut bien comprendre que c’est en Suède que l’immigration a été la plus forte. Au Danemark, qui n’a pas accueilli autant d’immigrés que la Suède, le parti socialiste local a réagi immédiatement quand l’extrême droite a commencé à percer électoralement. Il s’est repositionné sur les questions anti-migratoires, ce qui ne s’est pas passé en Suède. Le parti social-démocrate au pouvoir y était alors plus flexible et plus multiculturel. Cela a donné un certain espace à la droite pour développer un discours anti-immigration et gagner en poids politique. Les percées successives des formations de droite populiste, voire d’extrême droite, ont engendré le même genre de panique en Suède que ce qui peut être le cas aujourd’hui en France. Mais il existe tout de même une différence clé qu’il faut bien comprendre pour appréhender la réalité du problème : le système électoral, en Suède, diffère considérablement de celui qui est à l’œuvre en France.
En Suède, quand un parti représente un nombre de voix important, il est appelé à participer à l’exercice du pouvoir. En somme, la proportionnelle marche à plein. Plus l’extrême droite a commencé à peser, plus elle a été amenée à prendre ses responsabilités et plus elle a donc été exposée au jugement des citoyens suédois. Aujourd’hui, force est de constater que son capital politique s’effrite.
Comme en France, le gouvernement suédois a été censuré et l’extrême droite a joué un rôle conséquent dans la chute de l’exécutif. C’est le parti des Démocrates de Suède qui a déposé la motion de censure, laquelle a été soutenue par certains partis de droite et de gauche, permettant ainsi de renverser le Premier ministre Stefan Löfven. D’une façon générale, il faut bien comprendre que les partis d’extrême droite connaissent une croissance importante dans la plupart des pays d’Europe. La France a cela de différent qu’elle a réussi à tenir son extrême droite hors des accords de gouvernement et loin de l’exécutif. Cela explique sans doute, pour partie, le poids électoral dont celle-ci peut se vanter.
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