La liberté d’expression et l’Etat de droit sont les meilleurs régulateurs des réseaux sociaux - Par Jean-Philippe Delsol
Ces dernières années, comme beaucoup d’entreprises, le réseau Meta (Facebook, Instagram et WhatsApp) avait adopté une politique dite « inclusive » conçue pour soi-disant favoriser la diversité, c’est à dire les minorités ethniques et sexuelles, au détriment des critères de compétence et de qualité, notamment en matière de recrutement, de formation, de sélection des fournisseurs. Meta avait également institué une politique de « fact-checking » consistant à confier à des tiers – plus de 80 organisations chargées depuis 2016 de vérifier les informations dans plus de 60 langues – un contrôle des contenus publiés sur les réseaux. D’une manière générale ce contrôle était très influencé idéologiquement par l’anti-culture ambiante. Il avait abouti à bannir du réseau le président Trump qui s’est bientôt chargé de créer un réseau concurrent, Truth Social.
L’ abandon du fact-checking
Après la victoire de Trump, Mark Zuckerberg, le patron de Meta, a changé de camp. Il a remis en cause sa politique de « diversité, égalité et inclusion » (DEI) et son programme de fact-checking. « Nous allons nous débarrasser des fact-checkers […] en commençant par les États-Unis », a-t-il déclaré. Il s’est dit particulièrement choqué par les propos du président Joe Biden considérant que les réseaux sociaux « tuaient des gens ».
Aussitôt, bien sûr, se sont élevés les maîtres du pouvoir que leur hubris conduit à accaparer le contrôle de la pensée et la parole. Michael O’Flaherty, commissaire aux droits de l’homme au Conseil de l’Europe, a dénoncé des risques de « conséquences négatives pour les droits humains » de l’abandon du fact-checking. Thierry Breton a espéré que la réglementation européenne DSA qu’il a mise en place permettrait de s’opposer aux dispositifs de Facebook et X. Les présidents Lula et Macron, seuls jugent sans doute du vrai et du faux, auraient convenu ensemble que « la liberté d’expression n’est pas synonyme de liberté de propager des mensonges ».
Accusés de biais politiques par Meta, les fact-checkers, dont notamment l’Agence France Presse (AFP), éplorés comme un cœur de vierges woke violentées, ont dénoncé une décision inique et dangereuse pour le journalisme. En fait les fact-checkers pleurent surtout la source de revenus significative que Meta leur procurait en payant leur service de fact-checking. Le service consacré à cette activité de l’AFP, AFP Factuel, emploie près de 150 journalistes dont une dizaine aux États-Unis. Selon les informations du Figaro, pour sa participation au programme de fact-checking de Meta, Libération aurait touché 100.000 dollars en 2017 et 245.000 dollars l’année suivante pour 249 articles entrés dans la base de Facebook.
Mark Zuckerberg remplacera le fact-checking par le système de community notes adopté par Elon Musk sur X. Il s’agit de permettre à une communauté de lecteurs autorisés d’intervenir pour recontextualiser, préciser ou corriger les informations délivrées sur le réseau, y compris la publicité. En dessous de tout post considéré comme imprécis ou fallacieux, seront publiées leurs observations qui auront recueilli une adhésion consensuelle.
A dire vrai, cette idée qu’un consensus ferait la vérité est elle-même une erreur car chacun sait que l’opinion est moutonnière jusque, et peut-être surtout, dans l’erreur, la haine ou la violence.
L’Etat n’est pas garant de la vérité
On ne tue pas l’erreur en la censurant mais en la combattant par la raison et par la réalité. Quant à la vérité, elle est loin d’être toujours certaine. Certes, il y a des vérités scientifiques, mais il a fallu parfois des Copernic et des Galilée pour les faire aboutir en brisant les consensus du moment. Au XXème siècle, l’abbé Georges Lemaître proposa la théorie du Big Bang contre le consensus scientifique, mais parvint à le faire admettre, notamment à Einstein, par l’argumentation et le débat.
Pas plus que n’importe quelle entreprise ou autre communauté humaine, l’Etat ne peut être le garant de la vérité. Mais il doit lutter contre la manifestation du mal avéré et veiller à établir des lois qui permettent de punir ceux qui propagent la violence, qui calomnient, qui insultent, diffament… Et il doit permettre à chacun de faire prévaloir efficacement ses droits contre ceux-ci. A l’image de toutes les antiques sagesses, le décalogue énonce des interdictions sauf à honorer son père et sa mère et à se reposer le septième jour. L’Etat est appelé à dire, non sans précaution, ce qu’il ne faut pas faire, pas ce qu’il faut faire ; il garantit la liberté de chacun de vivre à sa manière dans le respect des autres à faire de même. Le propre des Etats totalitaires est précisément que ce qui n’y est pas autorisé est interdit, tandis que la pratique des Etats libres est à l’inverse que ce qui n’y est pas interdit est autorisé.
La liberté d’expression est l’une des premières garanties due par l’Etat à ses citoyens parce qu’elle répond au besoin humain naturel, fondamental, métaphysique de recherche de la vérité, et parce que c’est elle qui permet le mieux de révéler la vérité dans le processus de tâtonnement, d’essais et erreurs, et de libre contradiction d’où est né le progrès humain. La liberté de pensée et de parole est créatrice. L’humanité s’éteint quand elle perd son esprit critique et c’est d’ailleurs pourquoi les despotismes finissent toujours par s’étioler avant de s’effondrer. Pour prospérer, la démocratie a moins besoin d’un Etat qui dicte leur conduite et leurs propos aux individus que d’un Etat qui assure à tous la possibilité de s’exprimer et se conduire librement dans le respect de règles communes et communément adoptées. A cet égard l’Europe participerait mieux à la consolidation de nos démocraties en favorisant la création de nouveaux réseaux sociaux et la concurrence des idées au travers de celle de leurs supports d’expression plutôt qu’en érigeant, façon Thierry Breton, des règles si rigides qu’elles laissent les Américains et les Chinois seuls maîtres de ce marché.
L’abandon du fact-checking est une bonne nouvelle pour la liberté, mais il faut souhaiter que l’institution d’un nouveau contrôle par « consensus » fasse elle-même long feu. Car le meilleur moyen de combattre le mensonge, c’est de le contester avec la force de l’intelligence et la vérité des faits. A cet égard, il faut favoriser la libre expression des opinions et la contradiction sur les réseaux plutôt que vouloir les brider. En cas d’excès, le meilleur moyen de s’opposer à la violence physique ou verbale, sous toutes ses formes et y compris sur les réseaux sociaux, c’est de disposer d’un dispositif légal adapté et d’une justice efficiente.