Conseil ou Cour constitutionnelle? - Par Dominique Schnapper

Telles les « marronniers » de la rentrée, le rôle des francs-maçons, le palmarès des cliniques ou des lycées, les nominations au Conseil constitutionnel suscitent tous les trois ans les mêmes critiques. Tous les neuf ans, elles sont d’autant plus virulentes que l’un des trois nouveaux membres nommés, celui qui est choisi par le président de la République, deviendra le président du Conseil constitutionnel. Les critiques sont de deux ordres : la politisation, le rôle indu d’une institution non élue dont les décisions peuvent s’imposer à la volonté des élus.


Les cours suprêmes sont par nature des instances qui prennent des décisions sinon directement politiques, du moins à horizon politique, même si elles sont justifiées par un argumentaire juridique. Que les conseillers aient une formation juridique est évidemment souhaitable. La Constitution de la Ve République ne prévoit aucune condition de compétence en ce domaine. Dans d’autres pays, les personnalités nommées par les autorités ont été des juges ou des juristes reconnus. Il n’est que de consulter les biographies des membres de la Cour suprême aux Etats-Unis ou ceux de la Cour de Karlsruhe, la plus respectée des cours européennes. Prenons l’exemple de la cour américaine, la première qui a influencé nombre de cours plus récentes. Les juges qui y sont nommés à vie ont fait des carrières de magistrats ou de professeurs dans les universités les plus prestigieuses ; de plus, ils ont à leur disposition une armée de collaborateurs également diplômés de Yale ou de Harvard. Leur bagage proprement juridique est donc sans rapport avec celui des conseillers français. Leurs décisions sont-elles pour autant moins « politisées » et plus « juridiques » ? On peut en douter. Depuis l’acceptation des lois dites Jim Crow qui séparait le monde des Noirs et des Blancs dans les Etats du sud au début du siècle, jusqu’à l’opposition à la politique du New Deal de Roosevelt et aux récentes décisions sur le droit à l’avortement, il semble que la compétence juridique n’empêche pas de prendre des décisions orientées par les sensibilités politiques. La cour actuelle est formée d’une majorité désormais acquise à la cause des Républicains les plus conservateurs et personne ne pense que ses décisions sont ou seront purement « juridiques ». À la cour de Karlsruhe également, les juges ont une compétence supérieure à celle de la majorité des conseillers français, ce sont le plus souvent les juristes des partis politiques et ils sont proposés par eux. Des décisions récentes sur le rapport avec le droit européen sont incontestablement « politiques », autre forme d’une politisation inévitable des cours chargées de juger de la conformité des lois à la constitution.

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